Mais, comme le ver qui est déjà dans le fruit, la raison de mon mépris initial est ce choix de la capitale de la puissance coloniale et néo-coloniale pour cette séance de kermesse de mendicité. On aurait bien pu faire la même chose à Cotonou même si l'absence préjudiciable du patronat béninois pourrait en paraître encore plus bizarre. Mais, il va de soi que la pléthorique délégation Yayique qui s'est déplacée sur les bords de la Seine--à commencer bien sûr par son chef--n'y aurait pas trouvé son compte : aussi bien en termes de dépaysement personnel, qu’en termes des indemnités et autres bonus de déplacement qui vous enrichissent en quelques jours un Ministre ou un DG plus que ses émoluments mensuels officiels ne peuvent le faire. Quand on analyse la structure des dons effectués ou promis à cette table ronde, et qu'on constate que 80 % de ces promesses sont structurelles et proviennent déjà de programmations financières de la part des PTF, des banques comme la FMI, la BAD, ou la Banque mondiale, on se demande pourquoi mettre en jeu un coût aussi faramineux pour le dépaysement illusoire d'une opération qui aurait rapporté les mêmes montants pour une dépense plus intelligente, plus patriotique et moins onéreuse. Ce qui pose comme tu le vois bien la pertinente question du coût réel de l'opération que soulève M. ASSOGBA, le président de l'O.N.G. ALCRER. Tu vois mon cher ami pourquoi, ayant bien d'autres chats à fouetter, j'ai vite fait de classer la soi-disant table ronde de Paris au nombre des non-événements, ou plus exactement des supercheries d'une minable coterie de corrompus en mal de publicité. Donc, pour moi, on aurait bien pu faire la même table ronde à Cotonou, et les résultats financiers n’en auraient pas été moins reluisants. Au lieu de quoi, cette bande de farfelus complexés qui ne jurent que par le reflet de leurs tares dans le miroir fantasmatique des Blancs, est allée jouer les singes admirateurs de leurs maîtres dans l'espoir que déteindront sur eux leurs vertus et leurs lumières supposées. Plus de 50 ans après les indépendances, en être encore à rechercher en toute chose la médiation paternaliste de l'exploiteur historique est la preuve d'une aliénation et d'une puérilité congénitales dont les titres de Dr, de Me, ou de Prof. dont nos dirigeants aiment à s'affubler ne sont que des masques pathétiques. Deuxième effet de manipulation qui justifie mon boycott, c'est le paradoxe apparent du jeu sur les chiffres et les devises. D'abord la mise en scène grossière qui consiste à paraître viser la moitié de ce que l'on sait en mesure d'obtenir pour ensuite crier qu'on a pu avoir le double n’échappe à personne. Elle en dit long sur la concavité retorse de l'opération, son côté show et manque de sérieux ; le fait que l’essence même de l'opération n'est pas le financement mais un besoin de publicité du régime failli de Yayi. Ce besoin pourrait être nécessité par la fin d'un régime piteux et calamiteux que l'on veut parer des atours démagogiques de l'originalité, de la bonne volonté et de la détermination technologique. Mais il peut aussi, dans une tragique ambiguïté, anticiper un plan de perpétuation au pouvoir auquel 75 % des sommes récoltées, dont on s'est qu'ils entreront dans le circuit obscur de la corruption, serviront pour une bonne part. Mais outre cette entrée en matière frauduleuse, il y a surtout le paradoxe consistant à désigner ou décrire dans la devise locale des sommes qui ont été récoltées à Paris et donnée par des instances, des pays ou des organisations dont la devise de référence est le dollar ou l'euro. Pourquoi Yayi Boni rechigne-t-il à dire en dollars ou en euros des sommes qu'il prétend être allé récolter dans un pays où l'on utilise l'euro, et données par des gens qui ne raisonnent qu'en dollars ? Mystère ! En fait, le schmilblick est bien simple. Les 6000 milliards de franc CFA soi-disant récoltés à Paris ne font que 12,5 milliards de dollars ou 9, 2 milliards d'euros. Mais avec des chiffres comme 12,5 ou 9, 2 milliards, l'effet de vertige recherché dans l'esprit du Béninois moyen ne risque pas d'être au rendez-vous. Mais dire 6000 milliards alors voilà de quoi enivrer de stupéfaction, de fantasme et de rêve n'importe quel Béninois, et c'est bien là l'effet recherché par cet évitement astucieux ou ce choix exclusif de traduire la manne miraculeuse de Paris en franc CFA. En somme, nous préférons Paris lorsqu'il s'agit d'y aller nous réunir pour faire des choses que nous aurions pu faire chez nous ; mais dès qu'il s'agit de rester cohérents avec notre préférence pour décrire le résultat financier de notre initiative, eh bien nous revenons à nos monnaies bien locales. Cet occidentalocentrisme qui transforme nos présidents et nos dirigeants en adolescents au mépris de la dignité de nos peuples n'en est pas à sa première manifestation concernant le culte imbécile de Paris par les dirigeants nègres. Le Nigéria aussi a cédé récemment à cette manie en faisant une table ronde sur sa sécurité… à Paris ! Cette rencontre, tu t'en souviens, qui a vu la réunion des pays limitrophes du Nigéria à Paris sous l'égide de François Hollande. Que ces pays africains soient incapables de se réunir entre eux, chez eux, pour parler de choses les concernant directement, voilà qui constitue un piteux démenti au proverbe du linge sale qui se lave en famille. Pourquoi a-t-on besoin d'aller à Paris avant de se serrer les coudes entre Africains pour lutter contre le terrorisme qui nous frappe ? Nous donnons beaucoup trop d'importance aux Blancs alors qu’ils n’en ont ou n’en demandent pas tant. Un exemple est encore douloureusement dans nos mémoires. Quand les filles de Chibok ont été enlevées par Boko Haram, nous sommes tous allés nous jeter dans les bras des occidentaux en pensant qu’il suffit d'aller crier au loup chez eux pour que miraculeusement les lycéennes soient libérées. Mais depuis plus de deux mois c'est le statu quo ; preuve qu'en la matière, les Blancs vers lesquels nous nous tournons comme le tournesol vers le soleil n'ont pas la solution miracle à nos problèmes. Car, au fond, il n'y a meilleure solution à nos problèmes que celles que par nos efforts, notre volonté et notre intelligence nous élaborerons nous-mêmes. Dernière référence au Nigéria concernant cette affaire de la table ronde de Paris. Dans la conversion des devises effectuées plus haut pour relativiser les sommes mirifiques qu'agite le gouvernement dans la conscience populaire, il a été montré que la somme récoltée par la virée bling-bling de Yayi Boni à Paris était de 12,5 milliards de dollars. Eh bien, mon cher ami, sais-tu qu'au Nigéria, une seule affaire de corruption sur des milliers qui minent l'économie de ce pays--la disparition de fonds du revenu pétrolier révélée par l’ex-gouverner Sanusi--porte sur la bagatelle de 40 milliards de dollars ! Et pour le dire dans la devise vertigineuse chère à nos manipulateurs au petit pied de Cotonou : 20 000 milliards de franc CFA ! Moralité de toute cette affaire ? Eh bien si les dirigeants africains consentaient à être un peu plus honnêtes, un peu sérieux qu'ils ne le sont, nous n’irions pas plus faire de réunion sur Boko Haram à Paris que de table ronde de financement du Bénin au bord de la Seine car l'argent, à l'instar des idées et des solutions, est bien chez nous-mêmes. Voilà donc, mon cher ami, quelques-unes des raisons pour lesquelles je pense qu’il sied de faire table rase de la table ronde de Paris. Pour moi il s'agissait moins d'une réunion de bailleurs de fonds que de brailleurs de fonds. Grande Vadrouille de manipulateurs d'un régime de médiocrité, de corruption à la pointe de l’indignité nationale voire continentale. Quand je flaire les intentions frauduleuses et à terme criminelles de cette tourbe infecte de mécréants, je suis d'autant plus écœuré que je sens à quel point ces vampires sans foi spéculent sur le sang de notre peuple et l'avenir de notre race. Alors, vois-tu, mon cher Pancrace, bien que d'habitude je sois économe de mon mépris, je n'hésite pas à compter ces chevaliers d'industrie au nombre de ses piètres nécessiteux.
Porte-toi Bien, et bonne fin de Mission à Ottawa
Binason Avèkes
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