En Afrique, si vous êtes un homme politique influent, et dont la volonté ou la notoriété menace le pouvoir en place ; ou même si vous êtes déjà au pouvoir et d'autres forces plus ou moins coalisées veulent vous en déloger, vous n'avez pas intérêt à être originaire d'une zone frontalière de votre pays. Car le pouvoir ou le nouveau putschiste peut retracer la frontière à votre détriment et, quitte à concéder le bled dont vous êtes originaire au pays voisin, faire de vous et des vôtres des étrangers à leur propre pays. Cette mise en garde n'est pas de la science-fiction. C'est arrivé entre le Togo et le Bénin, et la victime de ce coup tordu--succession de coup d'état et de coup de canif territorial-- n’est tout autre que Sylvanus Olympio, le premier président élu du Togo. La confirmation de ce qui n'était jusque-là qu'une vague rumeur ou des racontars outre-frontière m'en a été faite, il y a quelques jours, par des amis togolais lors d'une fête de leur association dont j'étais un membre observateur. Nous étions en train de deviser sur les trucages et les manipulations qui, dans beaucoup de pays africains francophones, amènent des ressortissants de pays plus ou moins voisins à prendre pied dans la vie politique d'un pays d'où ils ne sont pas originaires, et même à en devenir le président. Le modèle en ayant été initié par le colonisateur lui-même--surtout français. Car, forcée de décoloniser ses possessions en Afrique, la parade trouvée par la France a été de passer la main à un homme ludion, minoritaire ou même étranger dont les intérêts, opposés à ceux de la majorité du pays, s'identifient volontiers à ceux de la France, avec laquelle le sournois élu noue une alliance objective. Ainsi, comme je l'expliquais à mes amis, bien que le Sénégal soit un pays musulman, un curieux hasard a voulu que son premier président soit un chrétien, époux d’une Française. La Côte d'Ivoire, paraît-il s'était retrouvé dans un cas similaire ou même plus grave car son premier président, Félix Houphouët-Boigny serait d'origine ghanéenne. Le Bénin aussi n'a pas échappé à ce modèle néocolonialiste car son premier président, M. Hubert Maga, était voltaïque par son père. Au Nigéria, le dictateur Sani Abacha serait d'origine tchadienne, et enfin l'actuel président de la Côte d'Ivoire amené de force par la France et époux d'une française, n'a pas encore sérieusement prouvé son origine ivoirienne. J'en étais à faire l'inventaire de ces bizarreries politiques à visée néocoloniale ou politicienne qui minent la vie politique africaine lorsque, parlant du Togo où je rappelai le cas de Sylvanus Olympio, je fus arrêté dans mon élan par un ami togolais, qui me dit que le premier président du Togo ne pourrait être considéré comme relevant du cas de ces transhumants internationaux qui font main basse sur la vie politique de pays dont ils ne sont pas originaires, vu que Sylvanus Olympio était effectivement togolais. Mais, lui fis-je remarquer, Sylvanus Olympio est enterré dans sa ville natale à Agoué où se trouve sa tombe. Moi-même étant originaire de cette ville par ma mère, je savais de quoi je parlais. Oui, concéda mon ami togolais, Sylvanus Olympio est bien originaire d’Agoué, et a été inhumé dans cette ville. Sauf que, me dit-il, avant le coup d'état fatal de 1963 où il trouva la mort, Agoué était partie intégrante du Togo. C'est après que Sylvanus Olympio a été tué par Eyadéma que celui-ci, craignant la révolte des gens de l'ethnie de sa victime, a habilement redéployé la frontière togolaise vers Hilacondji, de façon à exclure la zone d’Agoué du territoire du Togo. Ainsi, les gens d’Agoué, meurtris par l'assassinat de l'un des leurs, pouvaient se révolter tout leur saoul, sauf que leurs états d'âme et leur révolte n'avaient plus rien à voir avec l'État togolais. C'est donc par cette machiavélique intervention chirurgicale à la frontière qui a vu le Togo déjà relativement petit perdre encore une partie de son territoire que Eyadéma a noyé le poisson du crime politique inaugural de son règne qui fut un long chapelet de crimes politiques. Moralité de l'histoire, le débatteur et conférencier que j'étais en a appris un peu plus sur le sujet qu'il était en train d'exposer ; et comme je le disais au commencement, en Afrique on n'a pas intérêt à être originaire d'une région frontalière de son pays si on a de grandes ambitions politiques car les forces du mal qui détiennent le pouvoir ou veulent s'en accaparer sont toujours prêtes à sacrifier quelques arpents du territoire national pour vous exclure et faire de vous un étranger à votre propre pays. Dans le cas particulier du Président Sylvanus Olympio, il s’agit d’un double assassinat : on a d’abord tué l’homme qu’il était, puis ensuite on a tué le togolais en lui.
Bessanvi Amètépé
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