On se souvient qu’en mars 2011, au moment où Monsieur Yayi Boni était en train de perpétrer son holdup électoral, son ami Jonathan était venu gronder les Béninois sous prétexte qu’il ne voulait pas avoir de guerre à ses portes. Aujourd’hui, la guerre n’est pas aux portes de celui qui la craignait mais il est à craindre qu’elle ne s’infiltre chez nous à la faveur d’une connivence dans l’irresponsabilité.
Les gouvernements africains, sous prétexte que les mœurs politiques sont universellement implacables, ne se dévouent jamais à montrer le bon exemple. Ils ne le font pas, et on le voit dans le domaine de la bonne gouvernance avec son lot de corruptions et de médiocrité, mais il ne le font pas non plus dans le domaine de l'éthique, de la justice, de l'équité citoyenne et du respect des autres. Ainsi, au Nigeria, non seulement le gouvernement de Jonathan ne se sent pas fautif dans l'enlèvement des jeunes lycéennes de Chibock, non seulement il a traîné avant de se voir obliger de bouger, mais lorsque la pression venue de l'extérieur a monté sur sa tête, M. Jonathan était très agacé, voire même en rogne. Toute honte bue, il a commencé à gesticuler, à accepter toutes sortes de propositions incohérentes et sans rime. Comme par exemple le fait d'aller s'abaisser en France alors qu'entre pays africains, le Nigeria aurait pu réunir les gouvernements frères et prendre des décisions d'une action concertée contre le terrorisme. Depuis la guerre de Biafra, on le sait, la France n’a jamais vu d'un bon œil ce très grand pays anglophone que constitue le Nigeria, aussi bien d'un point de vue géographique que démographique et économique. Ce gigantisme qui empêche le pays de Foccart de néo-coloniser en rond et de regarder l'Afrique de l'Ouest comme une vaste chasse gardée. Mais, en dehors de ces tares de M. Jonathan et de son gouvernement, s'exposent d'autres plus pernicieuses parce bassement politiciennes. C'est la politisation de l'enlèvement des lycéennes. Au lieu que le pays s'unisse pour affronter le mal et libérer les jeunes filles, le gouvernement s'en donne à cœur joie d'attiser le feu de la division autour du drame. Plus d’une preuve étaye ce triste constat, des preuves à la fois internes et des signes d’une externalisation de la division. Que Jonathan soit agacé que l'Occident lui remonte les bretelles sur son devoir non assumé se comprend. Mais au-delà de l'agacement et d'une sourde colère inexprimée, le président nigérian est persuadé que les manifestants qui déferlent sur le pays et débordent vers l'extérieur font l'affaire de l'opposition. Pire, il soupçonne que les manifestants sont pour la plupart manipulés par l’APC, le grand parti d’opposition qui ambitionne le pouvoir et fait flèche de tout bois pour y accéder. C'est pour cela que, en deux temps trois mouvements, son gouvernement a donné naissance à un autre mouvement identique et rival du mouvement BBOG qui jusqu'ici avait la marque déposée de la protestation spontanée contre l'enlèvement des jeunes filles de Chibock. L'argumentation de M. Jonathan qu'il a martelée maintes fois aux manifestants dirigés par l'ancienne ministre OBY EZKWEZILI est que ceux-ci doivent adresser leurs protestations non à son gouvernement mais directement aux terroristes. C'est pour appuyer et traduire dans les faits cette argumentation qu’un autre mouvement a vu le jour sous l'égide du gouvernement avec un mot d'ordre sans ambiguïté : « Release our Girls », c'est-à-dire « libérez nos jeunes filles » et dont les membres, arborant la même couleur rouge, ressemblent à s'y méprendre aux manifestants du mouvement BBOG adoubé par Mme Obama. Déjà, le fait que le gouvernement se laisse embarquer dans ce jeu politicien qui divise la société au moment même où elle doit afficher son unité est d'une tristesse affligeante ; il traduit l'esprit d'irresponsabilité des gouvernements africains, et ce refus ou cette incapacité à donner le bon exemple. Pire encore, non seulement le gouvernement nigérian contribue à la division au plus mauvais moment, mais il aggrave son irresponsabilité en incitant à des actes d'agression du mouvement des primo-manifestants par une horde montée de toutes pièces et stipendiée pour faire pendant à ceux-ci. C'est ainsi qu'hier jeudi, le groupe initial BBOG a été vandalisé par la horde violente du pseudo groupe ROG sous le regard passif de la police à Abuja, dans la capitale nigériane. Ces faits illustrent de manière éloquente l'incurie du leadership en Afrique. Non seulement le gouvernement nigérian n'avait pas été en mesure de protéger le lycée de jeunes filles contre leur enlèvement, non seulement il n'a pas voulu se décarcasser lorsque le drame est arrivé, mais maintenant, préoccupé de son espérance électorale, le président est plus intéressé à instrumentaliser le drame à des fins de polémiques politiciennes que de savoir comment faire dans l'unité et la cohésion nationale pour s'en sortir. Pendant ce temps, des jeunes filles innocentes souffrent le martyre aux mains de ravisseurs bestiaux sans foi ni loi. Et, il est à craindre que la politisation de l'enlèvement des lycéennes de Chibok prenne une tournure internationale. Le Bénin est sans doute le premier terrain extérieur ou la polémique semble s'exporter. On le sait, M. Yayi est un fidèle ami et coreligionnaire de Jonathan. Celui-ci était venu gronder les Béninois en 2011 au moment où Yayi Boni perpétrait son hold-up électoral de triste mémoire. On s'en souvient, M. Jonathan qui, ironie du sort, devait lui-même connaître des troubles postélectoraux dans son propre pays causant plus de 800 morts, était venu menacer les Béninois de se tenir tranquilles sous prétexte qu'il « ne [voulait] pas avoir de guerre aux portes de son pays. L'amitié des deux hommes qui est dans la suite des relations de connivence intéressée que Yayi Boni à tissées précédemment avec Obasanjo prend aussi une forme de communion religieuse. Bien souvent, depuis Obasanjo, et excepté le court intermède du musulman Yar’Adua, Yayi Boni et ses confrères nigérians successifs ont pris l'habitude de se réunir à la chapelle présidentielle à Abuja pour des séances de prières évangéliques. C'est à l'une de ces séances de prières que récemment, Yayi Boni à demandé à Jonathan et au Nigeria de pardonner les terroristes du groupe Boko Haram, « parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ». Ces déclarations irrationnelles dignes de l'imaginaire d'une époque antique dépassée--celui des temps bibliques--donne la mesure du type de réponse que les dirigeants africains proposent volontiers aux problèmes urgents de leurs peuples en cette période moderne où ils prennent eux-mêmes des avions, roulent dans des voitures climatisées, téléphonent sur portable, surfent sur Internet, et boivent du champagne. Cela résume la profondeur abyssale de leur irresponsabilité et l’égoïsme dans lequel ils se complaisent. L'inconditionnelle obligeance de Yayi Boni à l'égard de son grand ami Jonathan peut aussi expliquer pourquoi il y a eu au Bénin deux manifestations contre l'enlèvement des lycéennes de Chibock. Rappelons d'abord que dans toute l'Afrique de l'Ouest, des pays francophones au pays anglophones, les sociétés ont bougé pour exprimer leur indignation et leur solidarité. Tel a été le cas au Sénégal, au Ghana, au Burkina Faso etc. et bien sûr au Bénin. Mais, alors que le Bénin, pays frère et directement frontalier du Nigeria, a mis un certain temps avant d'entrer dans la danse protestataire, contrairement aux autres pays où on s'est contenté d'une seule manifestation, au Bénin on s'en est fendu de deux. Il y a eu d'abord une manifestation le 15 mai sur le même modèle que partout ailleurs en Afrique de l'Ouest. Elle était spontanée, protestataire sous la forme d'une marche avec des pancartes portant le mot d'ordre BBOG et une pétition que les manifestants allaient lire à la représentation du Nigeria. Et puis, on ne sait pourquoi, une semaine après, soit le 23 mai, il y eut une autre manifestation, ou plus précisément une réunion d’un collectif d'associations. À l'issue de la réunion, qui s'est tenue au chant d'oiseau à Cotonou, une déclaration commune a été rendue publique et dans laquelle on pouvait lire en substance : « Nous soutenons le gouvernement nigérian dans ses efforts pour la libération immédiate, sans condition et en toute sécurité de nos jeunes filles. » Comme on le voit, outre sa forme qui s’oppose au modèle protestataire et public, la deuxième manifestation béninoise qui s'est tenue à huis clos, s'adresse non plus au gouvernement nigérian comme partout dans le monde le message des manifestants du BBOG l'a initié et établi, mais aux terroristes du groupe Boko Haram, comme l'a voulu et martelé M. Jonathan, et comme le groupe que ses amis ont créé de toutes pièces le proclament dans la violence ciblée. Il va sans dire que la logique de la division que suscite l'enlèvement des lycéennes de Chibock s'exporte en dehors du Nigeria. Le Bénin, pays voisin semble selon toute vraisemblance y avoir prêté flanc et forme, à travers cette deuxième manifestation qui a toutes les apparences d'un message de soutien, d'amitié et de solidarité avec M. Goodluck Jonathan. Mais pour Yayi Boni, c’est aussi une manière de se démarquer, et de faire patte blanche. Car comme on le sait en amitié il faut toujours éviter d'ajouter sa part de blessures à celle de la meute et, au contraire, montrer sa solidarité. Ne dit-on pas en anglais : « a friend in need Is a friend indeed » ? Le plus important dans cette histoire toutefois n'est pas que Yayi Boni s'entende à danser au son de la musique de son ami Jonathan ; celui-là qui jadis l'avait aidé à instiller une petite note de frayeur dans l'esprit des Béninois au moment du hold-up électoral de mars 2011. Non, ce qui est plus préoccupant c'est l'abîme d'irresponsabilité et d’égoïsme dans lequel se complaisent nos dirigeants en Afrique, obsédés par leur pérennité au pouvoir, sans se préoccuper un seul instant de ce qu'implique légalement, humainement et moralement le fait d'avoir ce pouvoir.
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