Deux cents lycéennes ont été enlevées par le groupe terroriste Boko haram, et le Nigéria s'émeut enfin des exactions des islamistes. L'émotion en devient contagieuse et gagne le monde occidental. Diverses personnalités et pays occidentaux, qui semblent découvrir l'existence de Boko haram, manifestent leur réprobation et leur condamnation de cet acte barbare d'un autre temps. L'idée de l'esclavage qui hante l'inconscient partagé de l'Occident et de l'Afrique affleure et rappelle de terribles souvenirs. Occasion pour les Blancs de faire une opération de « plus jamais ça » alors que de leur responsabilité dans l'horreur absolue et pluriséculaire de l'esclavage, ils n'ont jamais tenu à répondre concrètement, notamment en termes de réparation. Tout le monde feint de découvrir la barbarie de Boko haram. Pourquoi l'enlèvement des 200 lycéennes soulève-t-il plus d'émotion que jamais ? Est-ce parce que les victimes sont jeunes ? Est-ce parce qu'elles sont des filles ? À plusieurs reprises pourtant, des dizaines de garçons ont été brûlés vifs dans leurs dortoirs par Boko haram. Le Nigéria est resté coi, n'a pas manifesté d'émotion particulière ; le monde entier encore moins. Pourquoi l'enlèvement des filles soulève-t-il soudain une si vive émotion comparée aux horreurs précédentes ?
Comme si toutes les femmes du Nigéria, d'Afrique ou du monde devaient se sentir concernées plus que les hommes, de grandes voix féminines laissent libre cours à la corde sensible de la militance ou de la vigilance féministe. On imagine que lorsque Obama décide enfin d'écouter l'un des mille et un cris de souffrance émanant du Nigéria depuis plusieurs années, ses deux filles et son épouse y ont mis des leurs. L'émotion semble toute enracinée dans l'identification au genre. Et, rétrospectivement, comparé à des violences atroces dont le peuple nigérian innocent est la victime de la part du groupe Boko haram, saute aux yeux un double standard pour le moins affligeant. Aussi bien de la part des Nigérians qui, pour la première fois, font entendre leur voix et manifestent leur réprobation, que pour les Occidentaux qui découvrent cette violence et montrent enfin qu’ils ne sont pas tout à fait indifférents au malheur de l'Afrique.
Cette manifestation tardive d'une sensibilité tout au moins formelle au malheur de l'Afrique prouve bien que les occidentaux n'ont pas oublié l'histoire. Plus que les incendies de lycée ou mouraient des dizaines de lycéens dans le silence général, l'enlèvement de 200 lycéennes n'est pas sans rappeler les mœurs de l'esclavage basé sur le rapt, la capture et l'enlèvement. Cela peut expliquer en partie pourquoi l'Occident, par acquit de conscience, donne de la voix. Lui qui, sciemment, malgré l'absolue barbarie de l'esclavage, n'a pas songé à faire réparation à l'Afrique, traîne sans le dire la croix de son immonde culpabilité. Mais la différence de sensibilité dans les souffrances selon qu’elles frappent un sexe ou l'autre, et dans laquelle le monde entier s'identifie, est aussi due à la différence des représentations associées à chacun des sexes. Alors que le discours moralement correct traditionnel proclame à tue-tête l'égalité des sexes, tout à coup, dans la souffrance, les filles bénéficient d'un préjugé favorable, basé sur l'image de douceur, d'innocence, de fragilité, de délicatesse et de sensibilité qu'on leur confère volontiers. Tout à coup aussi prévaut la représentation du sexe féminin comme étant « l'Origine du Monde », source universelle des plaisirs et des douceurs. Alors que dans un élan unanime tout le monde s'entend à attribuer aux garçons les qualités inverses, et que dans un contexte de violence terroriste, on a du mal à croire que le sexe masculin qui est pourvoyeur de cette violence peut en être aussi la victime. C'est pour toutes ces raisons –– historiques et mentales –– que le monde entier commet le péché incroyable de l'indifférence à la mort de plusieurs dizaines de lycéens nigérians brûlés vifs dans leurs dortoirs par les terroristes alors que ce même monde n’a qu’indignation, réprobation et écœurement pour l'enlèvement de 200 lycéennes dont le sort, au pire, sera d'être esclaves sexuels.
L'esclavage, fut-il sexuel, est-il pire que la mort par incendie de jeunes lycéens innocents ? Contrairement à l'Occident dont la sensibilité sélective à nos malheurs a ses motivations propres, l'Afrique devrait se soucier de ses malheurs sans exclusive ni discrimination.
Adenifuja Bolaji
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