La première plaie de la vie sociopolitique africaine, touche à l’inversion des valeurs. En Afrique, les vraies idées et les bonnes personnes sont marginalisées, mises sous éteignoir et privées d'existence sinon éliminées. L’Afrique est probablement le seul continent au monde où l’inversion des valeurs est naturalisée par héritage d’une histoire de violence exogène : les médiocres, les criminels, les prévaricateurs parviennent au pouvoir ; ceux qui se donnent comme continuateurs de l'ordre répressif et spoliateur que l'Afrique subit depuis des siècles émergent dans leur médiocrité nécessaire et triomphante. Tandis que les gens honnêtes et compétents sont méthodiquement et violemment écartés, réduits au silence, éliminés ; c'est pour cela que les gens finissent par prendre les armes. La deuxième plaie touche à l’insensibilité à la question de la responsabilité. Dans les grandes démocraties du monde, la problématique de la responsabilité politique est très intériorisée : aussi bien par les institutions que par les individus. La presse dévoile des irrégularités et des affaires éclatent. Et si un homme politique est visé, il n'attend pas d'y être obligé avant de présenter sa démission. Dans certaines nations où l'exigence de responsabilité se conjugue avec l'observance de règles éthiques et l'influence culturelle, comme en Asie, certains hommes politiques fautifs n'hésitent pas à faire contrition, à s'excuser publiquement en versant des larmes ; d'autres dans des gestes plus dramatiques vont jusqu'à mettre fin à leurs jours, tellement ils regrettent leurs fautes et n’y trouvent pas plus haute sanction que la mort. En Afrique, rien de tel. Nos hommes politiques sont sans états d'âme. D'abord nos institutions, souvent instrumentalisées --le récent verdict de la cour suprême dans l'affaire Talon au Bénin en est un exemple--ne jouent pas leur rôle et les hommes politiques au pouvoir sont intouchables. Si la presse qui n'est pas sous contrat, parvient à révéler une affaire, pendant quelques jours, on observe une agitation politique ou médiatique puis l'affaire fait vite long feu. Ainsi, depuis huit ans que Yayi Boni est au pouvoir au Bénin toute une série de scandales ont éclaté concernant aussi bien les membres de son gouvernement que de hauts cadres nommés par lui ; mais aucune de ces affaires n'a donné lieu à un procès qui est allé à son terme. En somme, les hommes politiques africains estiment qu'ils sont venus au pouvoir pour en jouir et non pas pour en souffrir et les faits de malversations, de prévarication et de corruption qui les touchent ne sont que des détails, et c'est leur chercher la petite bête que de les leur reprocher sans même parler de les en inquiéter. La responsabilité, la comptabilité-- au sens anglo-saxon de devoir rendre compte--n'est ni à l'ordre du jour ni dans les mœurs politiques africaines. L'impunité est une règle non écrite qui régit la vie politique africaine. Il en est de la responsabilité pénale comme des autres formes de la responsabilité politique. Par exemple, au Nigéria, Jonathan est surpris lorsque tout à coup une certaine mobilisation intérieure exige que son gouvernement agisse pour libérer les 200 lycéennes et plus kidnappées par Boko Haram. Surpris et agacé, le président nigérian n'a commencé à s'activer que sous la pression extérieure notamment américaine. Ainsi est formaté l'entendement de nos dirigeants qu’ils ne comprennent pas de la même manière que leurs homologues des grandes Démocraties ce que leur fonction et leur mission comportent de service et de devoir envers le peuple. Cette méconnaissance peut paraître étonnante, mais en vérité elle découle du fait que dans le fond, les élections sont des mascarades et que le peuple y étant exclu d'entrée, continue à subir le statut d'une masse de laissés-pour-compte, abandonnée à elle-même et à son sort, et qui n'est pas de nature à inquiéter la longévité politique des dirigeants. En fin de compte, non seulement par rapport au nombreux et fréquents manquements à leur responsabilité--sans même parler des crimes qu'ils commettent au pouvoir--les hommes politiques, comme des pachydermes, ont la peau éthique si dure qu’ils ne sont pas sensibles à l'idée de démissionner comme c'est le cas dans les grandes démocraties du monde. Démissionner ne fait pas partie de leur dictionnaire. Au contraire, -- et cela est hélas quasi systématique sur le continent, -- les hommes politiques africains s'accrochent au pouvoir, modifient au besoin la constitution pour s'y éterniser. Tels sont les deux grandes plaies éthiques qui minent la vie politique en Afrique--la mise à l'écart des personnes compétentes et intègres, tandis qu’accèdent au pouvoir une venimeuse engeance de médiocres et de criminels ; et l'insensibilité morale à la problématique de la responsabilité.
Ces plaies sont à l’origine du spectacle affligeant de misère, de souffrances, de désordre, de conflits et de guerre qu’offre l’Afrique à la face du monde ; il est temps que nous en guérissions car, à terme, elles risquent de nous être fatales.
Adenifuja Bolaji
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