L'esclavage en son temps d'airain de violence physique et morale implacable, en tant qu'il supposait le Noir, attrapé comme un animal, mis dans les fers et dans les cales de négriers, vendu, revendu, fouetté dans les plantations, épuisé par de longues journées de travail, violé par ses maîtres, battu, lynché par la société blanche raciste ; cet esclavage, trois cents ans après, a indéniablement cessé, comme a cessé la jouissance de ces vendeurs d'esclaves, de ces négriers, de ces propriétaires de plantations pour qui la réification du Noir était la signature de leur supériorité raciale de blanc, et qui faisaient fortune sur la souffrance, la réduction du Noir au rang d'animal. Maintenant que cette tragédie particulière est entrée dans l'histoire, et que la mort a séparé les protagonistes de ce drame cruel absolu, que dire de la souffrance de l’un et de la jouissance de l'autre ? Bien sûr, l'Afrique peine toujours dans les séquelles de la violence inouïe qu'a constitué au cours des siècles cette ponction humaine de la traite négrière, ce tourment pluriséculaire, ce harcèlement bestial, cet arrachement à soi ; et si l'esclavage existait en Afrique sous forme artisanale aussi bien de manière locale que dans ses échanges violents avec le monde arabo-musulman, force est de reconnaître qu'avec l'entrée de l'Occident sur la scène africaine, il a pris une dimension industrielle, déshumanisante inédite. Bien sûr, la richesse actuelle de l'Occident et d'une manière générale du monde doit beaucoup à l'émergence du capitalisme qui a pris appui sur l'esclavage des Noirs.
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Il y a encore des malheurs en Afrique consécutifs à cette tragédie, et la richesse de l'Occident est tributaire de cette barbarie absolue. Mais, en tant que personnes, l'esclave noir d'il y a trois siècles et le maître blanc d'il y a trois siècles ont disparu, ils sont morts. Et la souffrance de l’un a cessé comme a cessé la jouissance barbare de l'autre. Quand on regarde dans la balance morale du temps, il va de soi que celui qui a perdu dans la mort sa souffrance retrouve pour ainsi dire une heureuse délivrance éternelle. En revanche, celui que la mort a séparé de sa jouissance terrestre fondée sur la violence, la cruauté et l'inhumanité la plus abjecte ne peut que tomber dans le malheur éternel : malheur d'être éternellement séparé de l'horrible source de son bonheur terrestre. Telle est la revanche de l'esclave noir sur la cruauté de son maître blanc
Éloi Goutchili
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