Dans « Redemption Song », sa chanson culte, Bob Marley nous questionnait : « pendant combien de temps tueront-ils nos prophètes pendant que nous restons là à les regarder faire ? » La situation des Africains de notre génération relève du conditionnement mental. Notre passivité, ou le sentiment que l'état des choses est normale, fatal ou inéluctable, nous sera imputée par l'histoire. Et, comme n'importe quel esprit sensible d'aujourd'hui, les générations futures auront honte de notre passivité. Ils auront du mal à croire que tous autant que nous étions, nous avons laissé faire ceux qui nous imposent ce conditionnement inacceptable. Nous ne sommes pas des bêtes, et il y a même des choses que les bêtes n'acceptent pas. La soumission n'est pas dans notre sang. Nombre de nos ancêtres étaient capables d'héroïsme. Comme l'a montré l'étude de leur traversée forcée sur des négriers, le combat pour la liberté a attisé en permanence chez nos frères et sœurs infortunés le feu de la révolte. Alors pourquoi acceptons-nous ce qui se passe en notre temps ? Des injustices incroyables, obscènes et scandaleuses qui nous assaillent à longueur de temps et que nous endurons sans regimber. Pourquoi nous laissons-nous réduire au silence par la division, l'égoïsme, le chacun pour soi, les solutions de facilité, la peur ou l'indifférence à notre sort collectif au motif illusoire que nous avons des solutions individuelles ? Regardez un peu notre histoire postcoloniale, surtout nous autres de la zone francophone de l'Afrique. Tout se passe comme si nous n'avions pas droit à la liberté. La France décide de tout chez nous et nous impose sa volonté. Et cela est devenu une seconde nature dans notre histoire du quotidien. Et nos élites à divers niveaux en sont venues à être les bras séculiers ou les ouvriers zélés de cette domination multiforme. Et pourtant, l'obscénité politique crève les yeux ! La tromperie est grosse comme le nez au milieu de la figure. Des gens nous imposent comme à des gamin des choses qu’ils ne peuvent pas faire chez eux. Ils sont sans pitié dans l'imposition de l'ordre de leurs intérêts. Ils tuent nos dirigeants qui ont compris leur nature maléfique. Ils nous divisent et exploitent notre division à leur profil. Tout se passe comme si nous ne pouvions pas respirer sans passer par eux, et que Dieu nous a créés pour assurer leur gloire. Nous ne sommes pourtant pas des chevaux ou les ânes mais ils n'ont de cesse de vouloir nous chevaucher. Nous ne sommes pas des objets mais ils ne pensent qu'à nous utiliser. L'Afrique ne peut survivre qu'en hurlant la mise à distance de cet étouffement et de cette possession criminels. L'Afrique ne peut survivre que si nous rejetions le statu quo de notre condition actuelle. L'Afrique ne peut survivre que si nous criions la bizarrerie de ce qui nous est imposé comme normal, fatal, ou banal. Regardez ce qui se passe depuis 1960 que nous sommes censés être indépendants. Régulièrement, dans nos pays, un conflit éclate entre deux parties : jusque-là disons-nous, rien que de très normal, de très dialectique dans les collectivités humaines. Mais, à chaque fois depuis 1960, la partie qui gagne dans ces conflits fratricides est toujours du même côté : c'est la partie soutenue par les (et servile aux) blancs, en l'occurrence les Français en ce qui nous concerne. Qu’elle est donc cette anomalie que nous feignons de ne pas voir ? Qu’il y ait lutte, nous sommes d’accord ; mais que ce soit toujours la même partie qui gagne voilà qui relève de la subornation, de la duperie, de l’escroquerie. Si vous jouez un jeu et c’est la même personne qui gagne à chaque fois et si vous n’en tirez aucune conclusion active, alors ou bien vous êtes imbécile, ou bien vous êtes masochiste.
Ils ont eu Sékou Touré à l'usure parce qu'il avait préféré être pauvre indépendant qu’esclave dans l'opulence. Ils ont tué Marien Ngouabi qui prêchait l'égalité et la justice pour l'Afrique ; ils ont tué Ruben Um Nyobe aussi. Au Togo, l’opposition entre Olympio et Eyadema s’est soldée en faveur de ce soldat de la Françafrique. Eyadéma qui règnera pendant plus de 30 ans d'une main de fer a si bien fait que pour cacher ses crimes, à commencer par le meurtre d’Olympio, ils ont eu le cran de mettre son fils à sa place pour lui succéder. Et nous avons accepté cela ! Le Togo a accepté cela, l'Afrique a accepté que le fils d’un criminel, perpétue le sang impur de son père, et tout est normal sous notre soleil tropical. Rien de grave, nous sommes gavés d’horreur, nous sommes chloroformés et cela n'empêche pas le soleil de se lever. Cette bizarrerie inacceptable et crapuleuse n'empêche pas la terre de tourner. Combien de temps leur faut-il pour cacher les preuves du mal ? Au Gabon aussi, le fils a remplacé le père au pied levé, la politique est devenue une masturbation intramuros héréditaire. Cela ne les empêche pas de se dire des démocrates et de nous donner des leçons en la matière. Au Burkina Faso, de même, deux parties étaient en conflit. La partie de l'Afrique intègre et la partie de l'Afrique nègre, la partie de l'Afrique objet du blanc. Et c'est comme toujours cette dernière partie qui l'emporta. Et ils ont massacré notre héros, ils ont brisé notre vie, ils ont liquidé notre espoir parce que notre liberté est leur déclin, notre intelligence leur bêtise. En Côte d'Ivoire, naguère deux partie luttaient. La partie de l'Afrique qui aspire à redresser la tête, et la partie des renégats, des zombies, des aliénés, des béni-oui-oui ; la partie de ceux qui ne s'inquiètent pas d'avoir une âme. Et c'est cette partie de serviteurs zélés de l'intérêt de nos assassins séculaires, de nos saigneurs séculaires, c'est cette partie de la haine et de l'exploitation du Noir qui l’a emporté encore une fois sur la partie de l'espérance et de la libération de l'Afrique. Et sans vergogne ni scrupule, comptant sur notre amnésie, comptant sur notre sommeil éthique, sur notre insensibilité, misant sur la léthargie de notre intelligence, de notre clairvoyance, pariant sur notre division, nos bas instincts, notre égoïsme, ils ont déporté un président africain dans une ville d'Europe loin des siens et l'on fait prisonnier pour le juger pour un crime artificiel et douteux
Quel crime Gbagbo a commis et que Gnassingbé n'a pas commis ? Quel crime Gbagbo a commis et que Compaoré n'a pas commis ? Quel crime Gbagbo a commis et que Houphouët-Boigny n'a pas commis ? Quel crime Gbagbo a commis et que Sassou Nguesso n'a pas commis ? Quel crime Gbagbo a commis et que Bongo n'a pas commis ? Quel crime Gbagbo a commis et que Mobutu n'a pas commis ?
Cette question se pose à l'Afrique et aux Africains épris d’intelligence et de sensibilité. La question vise à déciller nos yeux ; elle vise à libérer les digues de notre pouvoir d'indignation. Mes chers frères, mes chères sœurs ! Africains et Africaines d'Afrique et de partout, ne vous êtes-vous jamais posé cette question qui m'a toujours hanté : Comment se fait-il que l'esclavage des Noirs a existé et a duré quatre siècles sans discontinuer ? Comment notre race et l'humanité ont laissé se perpétrer le plus odieux des crimes que le genre humain ait jamais connu non pas pendant un jour, non pas pendant un mois, non pas pendant une année mais pendant 400 ans ! Ne vous êtes-vous jamais demandé s'il n’y avait pas des consciences de refus pour se dresser contre ce crime inhumain et y mettre fin ? Eh bien, à propos de notre condition mentale actuelle qui par la passivité acquise cautionne des monstruosités dangereuses pour notre présent et pour notre avenir, le silence qui a prévalu durant les 400 ans d'esclavage des Noirs ne serait qu’une bêtise amendable au regard du crime de notre lâcheté actuelle ; car la bêtise de nos ancêtres avait pour elle le prétexte des circonstances atténuantes de l'obscurité. Mais en ce siècle où le monde entier est un village planétaire, où le soleil de l'intelligence luit dans tous les ciels, et où le savoir n'est plus l'apanage d'aucune nation, notre passivité coupable n'aura aucune circonstance atténuante. Africains mes frères, Africaines mes sœurs, quoi que nous fassions les générations futures nous jugerons. Si nous ne voulons pas les mettre dans un état de consternation par l'idiotie de notre inénarrable passivité, il nous faut y mettre fin très vite, en hurlant jusqu'au ciel le cri strident de notre refus, le cri du réveil de notre sommeil mental qui a déjà trop duré. Et une fois réveillé de ce sommeil inducteur, levons-nous comme un seul homme, unissons-nous, mettons-nous en route, le poing levé, bravons le soleil et la pluie de leurs armes, opposons leur notre invincible volonté, l’ordre invincible de notre liberté retrouvée. Marchons sur la Haye et exigeons la libération immédiate de Gbagbo !
Aminou Balogun
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