Une image me revient souvent à l'esprit, et ce n'est pas une image sans lendemain, banal schéma onirique sans suite. Non, au contraire, il s'agit d'une image qui donne à réfléchir sur les vicissitudes de l'histoire et l'absurdité des détournements subtils de ses leçons et valeurs à des fins de manipulation. Il ne s'agit pas d'une image mentale, interne mais d'une image de télévision, externe. Un 14 juillet, ce devait être en 1995 car M. Chirac venait d'être élu pour la première fois Président de la République. C'était donc son premier défilé en tant que président. Et, en attendant que les télévisions nous gratifient de l'image habituelle de la remontée rituelle des Champs Élysées par le Président de la République, son hôte de marque en cette année-là avait déjà pris place à la tribune officielle, juste à côté du siège présidentiel encore vacant. Et, cet hôte au visage sombre et huileux n’était tout autre que le président du Burkina Faso, M. Blaise Compaoré, sur qui pèsent de lourds soupçons d'assassinat de Thomas Sankara, dirigeant intègre, valeureux et épris de liberté pour son pays et pour l'Afrique tout entière. Pourquoi cette reconnaissance singulière qui correspondait par surcroît au tout premier 14 juillet du tout nouveau président français ? Ce sont-là des symboles qui ne trompent pas. C’est que Chirac avait beau être tout nouveau président de la république, il n'était pas un nouveau dans le sérail politique français, surtout dans son versant Françafrique. Chirac avait été précédemment premier ministre de cohabitation sous Mitterrand de 1986 à 1988. Or, c'est justement dans cette période que le valeureux Thomas Sankara a été assassiné. C’est sous la toute puissance de la primature de cohabitation de Jacques Chirac que ce crime immonde a été commis. Le révolutionnaire burkinabè qui donnait le bon exemple à l'Afrique tout entière, mettant ainsi à mal le sida mental de la Françafrique, a été éliminé sur instigation de la France, cette France implacable de Jacques Foccart et des milieux d'intérêt néocoloniaux. Le premier ministre de l'époque, un « grand ami de l'Afrique » au demeurant ne pouvait pas ne pas en savoir quelque chose. Le service rendu par M. Compaoré à la France lui doit sans aucun doute cette reconnaissance symbolique que M. Mitterrand n'avait pas, en sa qualité « d'homme de gauche », actée de son vivant, ce que Chirac n'a eu de cesse de faire, aussitôt devenu président. Et, au-delà de la tradition de violence implacable, de la domination raciste, de la cupidité bestiale du colonialisme, la réflexion qu’inspire l'invitation d'honneur, la présence de marque à la tribune officielle du défilé du 14 juillet de l'assassin présumé d'un homme de liberté est l'absurdité et le cynisme du mélange des genres qu'elle constitue. En principe, 14 juillet, à ce qu'on nous a dit, était la fête de la révolution française, le jour où le peuple de Paris a brisé les fers de l'oppression, a balayé la monarchie, et a conquis de haute lutte sa liberté avec l'avènement de la République. Comment en vient-on subrepticement à utiliser le podium de la commémoration d'un tel événement pour promouvoir un assassin universel de la liberté ? Est-ce qu'il y aurait deux sortes de liberté ? Celle qui conviendrait aux intérêts des milieux néocoloniaux français sinon occidentaux, et celle qui conviendrait au peuple du Burkina Faso sinon de l'Afrique tout entière, et dont la classe de profiteurs néocoloniaux se moquerait comme d'une guigne, et pour laquelle aucune violence, aucune brutalité inhumaine, aucune barbarie n'est trop grande quand il s'agit de l'écraser dans l'œuf ?
Ahandéci Berlioz
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