Les meilleurs plans des souris et des hommes souvent vont à vau l’eau, a dit John Steinbeck. Mais l’erreur des faiseurs de rois qui ont pavé le chemin présidentiel de Yayi Boni a beau être cuisante, cruelle et ironique, elle est d’une tout autre nature. Elle donne à réfléchir sur la capricieuse vanité de la bonne volonté autoritaire en politique. Pourtant tout était parti d’un bon sentiment au demeurant patriotique. Certains parmi eux qui avaient bourlingué au sommet de l’État ou qui pensaient avoir en politique une science infuse, voulaient mettre leur expérience et leur science au service du pays, en défense et illustration de l’idée reçue de l’exception béninoise. N’étions-nous pas le pays de la Conférence nationale Souveraine, le « laboratoire de la Démocratie en Afrique » ? Les faiseurs de rois imbus d’eux-mêmes sont donc allés dénicher un Banquier, c’est-à-dire un économiste de formation, comme le fonctionnaire de la Banque Mondiale Nicéphore D. Soglo ; Docteur, comme le « Docteur » Émile Derlin Zinsou, tous deux anciens présidents de la République, et à ce titre des modèles légitimes pour leur poulain. Ces devanciers avaient de quoi rassurer, en même temps qu’ils participaient de la subornation du citoyen électeur. Le poulain était originaire du centre du pays par son père, et du nord par sa mère ; à l’instar des Présidents Hubert Maga, Nicéphore D. Soglo et Mathieu Kérékou, il avait épousé une femme originaire de Ouidah, cette Mecque matrimoniale des candidats sérieux à la présidence du Bénin. De part ses origines personnelles et son alliance, aux yeux de nos faiseurs de roi, leur poulain était l’idéaltype incarné du Béninois moyen, car coulait dans ses veines un sang plébéien suffisamment mélangé pour faire battre son cœur au diapason de la passion, et de l’égalité nationales. D’un point de vue religieux, né musulman, l’homme, dans une de ces itinérances empiriques de la foi qui nourrit l’esprit de tolérance, était devenu chrétien, et qui plus est évangélique. Il était en mesure d’être à cheval sur le principe de la laïcité dans sa dimension de diversité et de tolérance, mais aussi de neutralité personnelle dans l’exercice de sa fonction. Ceux qui l’avaient préempté en sa qualité de docteur en économie, se rassuraient de savoir que sa formation et son expérience s’appliqueraient volontiers à la bonne gestion du bien public. Ils l’imaginaient doté d’une éthique aux antipodes des pratiques de gaspillage, de corruption, et de détournement de denier public, toutes tares qui ruinent les économies africaines et nuisent à la cohésion sociale. Nos faiseurs de roi voulaient un Béninois passionné du Bénin et de son bien-être ; ils croyaient avoir en la personne de leur poulain toutes les qualités requises pour son unité et son identité retrouvées. Mais à l’arrivée, de façon vicieuse, l’homme trompa tout son monde. Au lieu d’un gestionnaire rigoureux et éthique on a eu droit à un jongleur médiocre sans boussole, gaspilleur, adepte de la corruption, de la fraude et de l’impunité. Au lieu d’un démocrate, on a trouvé un despote apologiste de la dictature. Au lieu d’un Béninois moyen, artisan de la cohésion nationale, on eut en sa personne un furieux « Collinard septentrionalisé ». Au lieu d’un nationaliste au bon sens du terme, on avait un régionaliste au mauvais sens du terme. Nos faiseurs de roi espéraient voir en leur poulain, un esprit tolérant et laïc, épris de neutralité et de paix, au lieu de quoi, ils découvrirent un président manipulateur et manieur des émotions religieuses, intolérant et irrespectueux de la laïcité. Un président qui avait un agenda, un plan caché, et un but ; et dont toutes les actions, les faits et gestes tendaient vers ce but, réalisaient ce plan et s’inscrivaient dans cet agenda diabolique inspiré par la lutte des castes et des ethnies : créer et consolider un espace politique artificiel, clivé, qui correspond à sa préférence personnelle, tribale et régionale – promouvoir et assurer la primauté revancharde des ressortissants de cet espace imaginaire boiteux, au mépris de la réalité et des intérêts nationaux. Identifier et circonscrire de façon sadique le cœur sociologique de la nation pour en faire la périphérie, le martyr et la figure expiatoire de ses passions régionalistes complexées. Peut-on imaginer pire échec de la bonne volonté interventionniste en politique ? Quelle triste déconvenue ! Ceux qui croyaient chevaucher ont été chevauché par un malin génie, qui n’avait joué leur jeu en apparence que pour mieux le subvertir, le trahir, le violer de part en part. Et, au final, c’est toute l’illusion d’une exception béninoise qui s’évanouit. Le rêve d’un Bénin pionnier de la démocratie et du progrès sociopolitique an Afrique en prend un coup… Yayi Boni aurait pu ne pas être l’homme de la nation dont rêvaient ses géniteurs politiques, mais de là à devenir le brouilleur de la nation, l’homme d’une région contre une autre, le corrompu corrupteur, il y a un pas qui a été franchi. Et ce pas franchi passionnément ne peut que faire méditer sur le jeu des apparences et la vanité de la bonne volonté autoritaire en politique. Dans son œuvre célèbre « Des Souris et des Hommes », Steinbeck a exprimé un certain pessimisme sur l’action humaine en tant qu’elle est projetée, la grande distance entre le plan et sa réalisation, le rêve et la réalité. Avec la bonne volonté interventionniste de nos faiseurs de roi autoproclamés, il ne s’agit certes pas d’un rêve normal qui aurait échoué. Mais d’un commerce prétentieux avec le diable déguisé. Oui Yayi Boni est un diable sur lequel ont misé des faiseurs de rois imbus d’eux-mêmes ; un diable d’autant plus nuisible qu’il a pu à leurs yeux passer pour un ange ! Adenifuja Bolaji |
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