Depuis plusieurs semaines de grèves scandées par des négociations à répétition, le pouvoir de Yayi Boni, en dehors de quelques concessions trompeuses, refuse de céder sur le fond des exigences syndicales. Derrière ce bras de fer qui paraît stupide et cette manière irresponsable de s'arcbouter sur ses positions, Yayi Boni révèle ou cache ses intentions à venir concernant le troisième mandat. Ce troisième mandat, on le sait, fait l'objet de toutes sortes d'hypothèses et de cas de figure que le président entend mettre en œuvre selon le critère de plus grande chance de réussite. Il y a bien sûr la voie parlementaire sur laquelle il s'est battu ardemment dans un premier temps, et qu'il semble pour l'instant avoir mise en veilleuse. Il y a également la voie référendaire, par le biais d'une LEPI que tout le monde sait tronquée et truquée, un véritable piège dont il a déjà fait l’essai en 2011. Enfin et surtout il y a la voie du pourrissement et du vide constitutionnel, qui reste en vigueur dans la mesure où d'élections non organisées en élections différées, les différentes classes d'élus perdront toute légalité. Alors Yayi Boni se retrouvera seul maître à bord et pourra manœuvrer pour le renouvèlement de la constitution aux termes duquel, il s'accordera une virginité de candidat à l'élection présidentielle. Or comme il nous l'a prouvé en mars 2011--et à l'instar de ce qui se passe dans la plupart des pays africains--pour un président sortant, se présenter aux élections est synonyme d'être élu. Et le tour est joué. C’est compte tenu de la validité de ces schémas stratégiques que Yayi Boni se bat aujourd'hui comme un diable autour des points de revendication des syndicats. Et c'est au nom de sa volonté de se perpétuer au pouvoir qu'il entretient la tension, et met en danger l'équilibre socioéconomique du pays fortement grevé par l'inactivité prolongée, et le risque d'une année blanche qui guette les étudiants et écoliers.
Les deux points capitaux qui achoppent dans ce qu'il faut bien appeler un dialogue de sourds entre Yayi Boni et ses interlocuteurs syndicaux sont : 1. La révocation des préfet et commissaire, responsables directs de la répression du 27 décembre 2013. 2. L'annulation du fameux concours frauduleux qui scandalise l'opinion depuis plusieurs mois. Que nous révèlent en vérité ces deux points ? En effet refuser de révoquer les responsables de la répression est un acte symbolique et crucial pour Yayi Boni. Par-là, il trahit sa crainte de ne plus pouvoir compter sur l'ordre répressif que ces fonctionnaires incarnent. Or l'efficacité du terrorisme tyrannique estampillé Eyadema qu'il essaie de faire passer en contrebande au Bénin est fondée sur le zèle et l'initiative de ces fonctionnaires à la solde, qui sont ses bras armés contre le peuple. Les révoquer serait une façon de se renier soi-même, un mauvais signal envoyé dans toute la hiérarchie du système de répression. Si Yayi Boni à peur d'envoyer un tel signal alors qu'il est constitutionnellement en fin de mandat, c'est qu'il a besoin de ce système de répression, et qu'il compte le mettre en jeu dans l'imposition de sa volonté de continuer à présider aux destinées du Bénin après 2016. De ce point de vue, le slogan du for intérieur de Yayi Boni perceptible quand on fait attention au bruit de ses gestes est : « touche pas à mes potes des forces de l'ordre, car ils vont encore servir ». Si tel n'était pas le cas, on ne voit pas pourquoi, étant donnée une exigence comme celle-là, qui découle d'un principe d'adhésion aux valeurs démocratiques, Yayi Boni s'arcboute sur ses positions ; alors que par ailleurs il s'est jusqu'ici illustré par une extraordinaire promptitude à limoger ses conseillers et ministres comme bon lui semble. On nous dira que la psychologie est aussi à prendre en compte. Certes Yayi Boni trahit une nature autocratique à tendance rigide, prompte au bras de fer puéril et à l'affirmation narcissique de la prépondérance de son point de vue, un autoritarisme bestial et borné mais cette prévalence psychologique n'explique pas à elle seule la folie d'un aveuglement qui risque de conduire tout un pays au bord de la faillite. De même l'analyse sémiotique de sa résistance autour du second point corrobore l'intention de perpétuation au pouvoir qui en est la vraie motivation. La fraude au concours du ministère de l'économie et des finances, on le sait, n'est pas seulement ici un fait de népotisme, mais il a été perçu par tous, notamment par ses victimes comme étant inspirée par la discrimination régionaliste. En principe, face à cette question de principe et de valeurs morales, un président digne de ce nom doit changer de braquet, reprendre les choses par la voie de la justice, par la voie de la valorisation du mérite. Au lieu de quoi, Yayi Boni fait la sourde oreille et utilise sa méthode habituelle : celle du passage en force et du mépris--souvent régionaliste--de ses contradicteurs ou de ses opposants. Que veut-il véhiculer comme message par ce refus farouche, ce mépris et ce passage en force ? Eh bien, à partir du moment où les victimes du concours sont identifiées comme étant originaires du sud et que les bénéficiaires sont présumés être du Nord, Yayi Boni veut redorer son blason de Zorro protecteur des gens du Nord. Il veut utiliser un méfait absolu et flagrant pour justifier un bienfait relatif et douteux. Il veut s'apparaître à lui-même et à ses protégés putatifs comme une espèce de Robin des bois régionaliste qui commet des crimes de lèse moralité démocratique et nationale pour venir en aide aux gens du Nord. Il a besoin de cette image et de cette identification clivée qui peut-être flatte une certaine sensibilité nordique, et lui garantit effectivement la réussite de ses plans et desseins électoraux. Or quand on y regarde de près, si le régionalisme a servi à sa réélection en mars 2011 --ou du moins a prêté cadre et structure à sa justification--à quoi va servir l'affirmation sans complexe de sa volonté de protéger une région du pays au détriment d'une autre si ce n'est à la perpétuation de ces cadres et structures électoraux ?
Ce qui en dit long sur le refus de M. Yayi Boni de céder sur le second point de la plate-forme revendicative des syndicats, car Yayi Boni a peur que le fait de se dédire sur la question des fraudes en faveur de gens originaires du Nord et au détriment de citoyens originaires du sud ne soit perçu et surtout ressenti par ceux-là comme une manière d'abdiquer un rôle imaginaire de protecteur des nordiques qu'il s'est assigné pour pouvoir justifier les fraudes électorales qu'il commet et à l'intention de commettre en leur nom. Or à quoi va servir les fraudes pour un président constitutionnellement en fin de course présidentielle sinon à soutenir l'espérance et le fantasme d'un troisième mandat ?
Au total il apparaît clairement que le bras de fer de Yayi Boni depuis plusieurs semaines sur des points qui apparemment sont symboliques est avant tout un combat d'arrière-garde qui trahit sa volonté de se perpétuer au pouvoir en dépit de toutes ses belles promesses.
Boniface Aholupè
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