Avant, je me questionnais sur la manie des coups d'état qui sévissent dans la vie politique africaine. J'en étais arrivé à penser que cela relevait d'une compulsion irrationnelle, caractéristique de la pauvreté et de la « sauvagerie africaine », par opposition à la « richesse et à la rationalité » des pays occidentaux où, tout au moins, à partir du XXe siècle, le coup d'état militaire est un acte politique dépassé, remisé au musée de l'histoire politique. Considéré en Afrique où il marque la période postindépendance, le coup d'état est un coup de force, un acte consistant à faire parler la force au lieu de la raison, la contrainte et la menace au lieu du jeu civilisé des institutions. Il traduirait l'adage qui veut que la raison du plus fort soit toujours la meilleure. Les militaires ne font pas des coups d'état parce qu'ils seraient les institutions les plus politisées du pays, non ils font les coups d'état parce qu'ils disposent des armes et du savoir-faire susceptibles de mettre en œuvre les assauts nécessaires à une prise violente du pouvoir. Si le corps des instituteurs ou celui des infirmiers avait les armes et le savoir-faire permettant de menacer les dominants, ils ne se gêneraient pas le cas échéant de faire eux aussi des coups d'état. Ainsi pensais-je de façon naïve et manichéenne. Mais, une observation du phénomène social de la grève me pousse à nuancer mes certitudes sinon à les remettre en cause. En effet, en Occident où le droit en est garanti, toutes sortes de métiers, de corporations ou de syndicats n'hésitent pas à aller en grève pour appuyer leurs revendications diverses et variées. La grève, qui dure entre quelques heures et quelques jours en moyenne, consiste essentiellement pour le travailleur à s'abstenir d'aller au travail, mettant ainsi l'employeur dans l'embarras. Elle permet de donner voix au mécontentement des travailleurs, à leurs revendications. Elle est assortie de mots d'ordre, de conditions etc. qui font l'objet de négociations entre ceux que l'on appelle communément les partenaires sociaux sous l'arbitrage des pouvoirs publics lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes partie prenante du conflit. Mais pourquoi alors en considérant la manière de faire grève de certaines corporations, se rend-on compte qu'elle ne se limite pas à cette définition abstentionniste, mais parfois se révèle dans son intention agressive d’usage de la force de nuisance collective pour prendre en otage toute la société ? Par exemple, considérez la corporation des chauffeurs de taxi en grève, comme c'est le cas à Paris ces jours-ci, et demandez-vous pourquoi, pour cette corporation, faire grève ne consiste pas à ranger sagement les taxis dans leur garage et à tout simplement, pour quelques heures ou quelques jours, s'abstenir de rendre le service en quoi consiste leur profession ? En effet, pour cette corporation qui compte dans ses rangs une forte proportion de travailleurs indépendants, faire grève ce n'est pas ranger les taxis dans leur garage mais plutôt s'entendre pour faire masse et bloquer les artères principales, les autoroutes, en gênant l'ensemble des usagers comme si ceux-ci en étaient pour quelque chose dans leurs problèmes ! De même, l’actualité sociale regorge de manifestations de grève des camionneurs dont l'action consiste à utiliser leur force de nuisance collective pour bloquer les artères principales, les autoroutes et les voix nationales de façon à paralyser la circulation. L’exemple social de la grève avec le cas spécifique de la corporation des taxis ou des camionneurs montre que l'usage de la force qui, au niveau politique, peut aboutir à un coup d'état n'est pas l'apanage intrinsèque des militaires, ni des pays soi-disant sous-développés, aux mœurs politiques irrationnelles. Le coup d'état militaire n'est qu'une manière de prendre les institutions démocratiques en otage. Si les militaires en ont l'apanage, c'est parce que le pouvoir a rapport avec l'administration de la violence, et les forces les plus aptes à concentrer la menace de violence restent celles dont c'est le métier. De ce point de vue, lors et chaque fois que c'est possible, même dans les sociétés politiquement avancées où l'administration collective est suffisamment autonome pour que le coup d'état n'ait pas de pertinence sociopolitique, la mise en jeu irrationnelle du pouvoir de nuisance de certaines corporations prouve bien que les pays pauvres ou inorganisés comme les pays africains n'ont pas en soi l'apanage des coups de force.
Aklasato Benjamin
|
|
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.