Les observateurs l'auront constaté, mais au-delà d’eux, le Béninois ordinaire a pu remarquer que, depuis quelque temps, son président n'a plus la boulimie des voyages comme naguère. En effet, l'homme a pu se faire qualifier de globe-trotter en raison de son penchant immodéré pour les voyages ; en la matière il se taillait la part du lion, et n’hésitait pas à représenter son pays à tous les niveaux, là où ailleurs des ministres ou des directeurs de service suffisaient pour faire le boulot. Le manque de mesure dans cette boulimie d'un président hyperactif qui semblait atteint du syndrome de la bougeotte avait quelque chose d'indécent eu égard aux coûts cumulés de ces voyages sur le maigre budget du pays. Cela n'a pas manqué de soulever la critique du peuple et l’indignation de l'opposition qui trouvaient ces voyages inopportuns, coûteux et aux délégations inutilement pléthoriques. Le gaspillage, qui est une espèce budgétisée de la corruption n'est pas le moindre défaut du régime de Yayi Boni, qui a poussé les pratiques et les jouissances en matière de privilèges, de per diem, d’indemnités, de compensation et de prises en charge d'une kyrielle de futilités administratives à un niveau jamais égalé. Or, voici que tout à coup, la machine à voyager se grippe, le président retrouve les vertus du « home sweet home ». Pourquoi ce reflux, cette tempérance soudaine dans la passion voyageuse de M. Yayi ? Eh bien comme tout phénomène humain, le reflux a une cause immédiate ou apparente et une cause lointaine ou réelle. La cause apparente est aussi conjoncturelle et politique. C’est celle que la presse a évoquée en la mettant en rapport avec la tension politique croissante dans le pays : Yayi Boni aurait peur d'un coup d'état ! C'est pour cela qu'il ne sort plus, afin d'avoir l'œil à tout, et ne pas donner aux putschistes éventuels les conditions idéales de leur entreprise. L'idée de coup d'État à l'évidence hante Yayi Boni, qui ne se déplace qu’encadré par des chars. Histoire d'impressionner le peuple, ou peut-être de se tenir prêt à résister à toute attaque surprise d'une junte héroïque, secrètement préparée, et visant à sauver la nation de l’anomie mais aussi de l’anémie gouvernementale dans laquelle elle est plongé depuis plusieurs années. Cette sensibilité au risque d'une attaque militaire surprise n'est pas à négliger chez un homme qui s'est fait tout grâce à sa fonction de président et qui se sait rien sans elle. Mais, alors, si cette hypothèse de la crainte du coup d'État est plausible, en ce qu'elle découle de la forte tension politique qui règne dans le pays actuellement, pourquoi prendrait-elle sens et forme maintenant alors que qu’à tout bien observer, Yayi Boni n'a gouverné que par la tension depuis 2006, où il s'est introduit dans le système politique par effraction ? Les fameux observateurs évoqués plus haut, s'ils devaient analyser leurs sources et compulser la petite histoire de la gouvernance de M. Yayi, n'hésiteront pas à reconnaître d'un accord presque commun, que la tension qui règne actuellement dans la société politique béninoise, si elle n'est pas la cadette des heurts et malheurs qui ont marqué sa gouvernance, n'en est pas forcément l'aînée non plus. Alors pourquoi le président en aurait-il plus peur maintenant que naguère ? Il est vrai qu'avec le temps, son manque de sagesse indigne d'un président, son refus d'assumer le rôle de père de la nation, son penchant pervers pour la division--nationale, ethnique et familiale--ont fini par accumuler à son actif un nombre impressionnant d'ennemis politiques et personnels. Nul doute que le point de rebroussement dans la paix de conscience de Yayi Boni se situe autour de l'élection qu'il vola de façon furieuse et aveugle en 2011 et dont l'ordonnancement fatal a été le point focal de tous ses agissements antérieurs. Et puis, se mettre à dos un milliardaire comme Monsieur Talon qui naguère faisait partie de ses soutiens financiers dans une odyssée présidentielle qui, quoi qu'on dise, est indexée sur la capacité de dépenser des milliards pour corrompre et acheter les consciences des grands électeurs ou organisateurs de la partie de cache-cache qu'on appelle chez nous élections, se mettre à dos des hommes de cet acabit n'est pas bon signe pour la paix de conscience de M. Yayi. Pour autant, on doit à la vérité de l'observation de reconnaître que la tension politique actuelle n'a rien de spécifique à la gouvernance de Yayi Boni qui, dans les années 2009 où il emprisonnait à tour de bras et faisait face à la grande coalition de l'UN, était alors plus isolé que maintenant. Et pourtant, alors, il ne se gênait pas de voyager de par le monde. Au contraire, Yayi Boni utilisait les voyages comme une occasion de se détendre de la tension politique qu'il entretenait dans le pays. Pourquoi maintenant il n’a plus recours aux voyages comme exutoire, et soupape de décharge d'une tension qui a atteint son apogée ? Eh bien, la réponse fait appel à la cause lointaine et réelle : c'est que dans le vaste monde où il se répandait au plus fort de son premier quinquennat, Yayi Boni n'a plus d'hôtes pour le recevoir les bras ouverts. Il a épuisé le capital d’intérêt que les chancelleries, les gouvernements et les chefs d'État de par le monde pouvaient manifester à son endroit. Les échanges qu'il a eus avec eux n'ont pas produit une impression éblouissante et durable susceptible de conduire à des rapports suivis. Sa personnalité et sa méthode intersubjective fondée sur les génuflexions et les connivences béates ont en fait écœuré ses hôtes. À force de forcer son chemin vers eux au nom de la collégialité présidentielle, Yayi Boni a fini par leur taper sur le système. Si bien qu'au bout de cinq ans et plus de voyages à droite et à gauche, pour des prétextes tirés par le cheveu, ses hôtes de par le monde ont fini par se faire une idée de ce qu'il a dans le ventre, c'est-à-dire pas grand-chose. Du coup, ceux dont l'invitation était pour Yayi Boni un prétexte pour embarquer dans ses voyages pharaoniques ont d'autres chats à fouetter. Ainsi, la guerre des voyages est obligée de s'éteindre faute de combattants. Alors bien sûr, il reste les traditionnelles réunions de chefs d'État de l’UEMOA de la CEDEAO, de l'UA ou de l’ONU mais dans ces forums comme ailleurs, Yayi Boni a déjà mangé le pain blanc de son image devenue celle d’un dictateur voleur d’élection, et personne ne se bouscule pour lui faire des accolades. Au total, la désaffection des hôtes est la raison première du regain de charme que Yayi Boni trouve à rester plus souvent et plus longtemps au pays que naguère. La tension politique et la peur d'un coup d'État, s'ils sont réels, ne viennent que comme situation aggravante de ce qu’il faut bien appeler une réclusion involontaire exogène.
Prof. Cossi Bio Ossè
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