Dans les nombreuses expressions de condoléance qui ont suivi le décès subit et précoce du talentueux journaliste Ghanéen Komla Dumor, un commentaire prononcé par une femme, qui devait être de la famille du défunt, a frappé mon attention. La femme disait quelque chose comme : « Komla Dumor est le meilleur de ce que le Ghana a donné au monde » ou peut-être plus exactement : « avec Komla Dumor, le Ghana a donné au monde ce qu'il a de meilleur ».
Et là, mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai reconnu là le topos de la bonne conscience naïve africaine : donner ce qu'on a de meilleur aux autres. Il n'y a qu'en Afrique que ce genre de travers est tenu pour une valeur. Ça ne peut pas arriver en Asie : les Chinois ne donneront pas ce qu'ils ont de meilleur aux autres.
Ça ne peut pas arriver en Europe : les Français ou les Anglais n'ont jamais donné ce qu'ils ont de meilleur aux autres. Au contraire, ils prennent chez les autres sous toutes sortes de prétextes ce qu'ils ont de meilleur--et la situation socioprofessionnelle du défunt en est l'exemple.
Ça ne peut pas arriver en Amérique : les Américains ne donnent pas ce qu'ils ont de meilleur au monde, ils le gardent pour eux, et au contraire se montrent prédateurs sur le territoire des autres. Seule l'Afrique se livre joyeusement et naïvement à ce genre d'incongruité. C'est ainsi que depuis plusieurs siècles le continent est vidé de ses hommes les plus valides (l’esclavage) ; de ses hommes les plus formés (la fuite des cerveaux) ; de ses ressources minières et pétrolières (la prédation capitaliste internationale, source de guerres fratricides) ; de ses plus jolies filles et plus beaux jeunes hommes arrachés par des gringalets, des viragos, des vieillards et bientôt des homosexuels occidentaux sous prétexte d'amour ou plus exactement de démon de minuit et d’exportation planétaire de la culture de mort occidentale (la fuite des corps). Un autre travers dans l'aliénation africaine vis-à-vis des autres et notamment de l'Occident c'est cette attitude qui consiste à ne trouver valeur, à ne conférer valeur à une chose ou un être africain que si et seulement si valeur a été conférée au préalable à cette chose ou à cet être par l'Occident. Un journaliste africain n'est grand que lorsqu'il travaille pour VOA, RFI, BBC, etc ; et il ne le sera pas tant qu'il est au service de l'Afrique, travaillant pour des organes de presse africains. Un intellectuel africain, professeur ou docteur n'est ainsi considéré par les Africains que lorsqu'il est honoré par l'Occident, fût-ce d’un diplôme, ou d'un strapontin ethnique spécialisé dans une université fût-ce de deuxième ou de troisième ordre en Occident… Un écrivain n'est reconnu comme tel par les Africains, accepté et respecté que lorsqu'il est édité, poussé, adoubé et primé éventuellement par les occidentaux--alors que tout le monde sait les enjeux de manipulation symbolique, culturelle et idéologique qui sont au principe d'une telle valorisation. Bref, ces deux travers dans la représentation relative de soi, en disent long sur la dépendance mentale des Africains. Dépendance mais aussi indétermination. On nous dira que comme l’Afrique est pauvre intellectuellement et économiquement, elle a tendance à se tourner vers les plus riches du monde au point de s’oublier elle-même. Mais cette valorisation de l’autre ne date pas d’aujourd’hui : elle était là et a prévalu au commerce de la traite négrière. On nous dira aussi que l'histoire de notre sujétion en est cause. Que l'esclavage, surtout la colonisation avec l'arrachement intellectuel, culturel et linguistique à soi que cela suppose et continue d’imposer sont à l'origine de ce refus dans l'autonomie de l'assignation d'une valeur à nous-mêmes ; de cet attentisme extraverti qui confine au mépris de soi. Mais ce travers n'est pas une fatalité. Ceux qui le ressentent dans leur chair et dans leur âme et le dénoncent avec force doivent être entendus et pris au sérieux. Car ils sont les éclaireurs d'une conscience rénovée qui, faisant table rase du passé, aspire à libérer l'Afrique de ses pesanteurs du passé, afin qu'elle s'assume, qu'elle s’aime et qu'enfin de compte, elle entre dans la normalité d'une conscience autonome.
Awuku Boateng
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Eh oui, Kadhafi n'a eu de cesse de tirer la sonnette d'alarme, d'éveiller la conscience des Africains... Il l'a dit jusqu'à ce qu'ils l'ont combattu à mort, éliminé, pour qu'il ne continue pas de troubler la surface lisse de la mare de leur domination, de leur subornation.... Mais il est temps que nous prenions au sérieux la question de notre libération mentale, condition sine qua non de notre libération tout court
Rédigé par : B.A. | 27 février 2014 à 19:27
"qu'elle entre dans la normalité d'une conscience autonome." Faute de quoi elle s'enfoncera inéluctablement, inexorablement dans une nouvelle ère d'esclavage, monstrueuse perspective qui ne relève plus seulement de la spéculation...
Rédigé par : Thomas Coffi | 27 février 2014 à 18:58