Mon Cher Pancrace,
Comment te portes-tu ? Et ton rhume ? Terrassé, j’espère. Du reste, à en juger par tes échos épistolaires tout au long de tes déplacements en Asie ( Chine, Japon et Vietnam), je n’en ai aucun doute. La vigueur est de retour. Et je le sens dans tes nombreuses questions sur la vie politique au Bénin, où tu te projettes déjà dans l’avenir proche pour savoir, comme tu dis « à quelle sauce du landerneau politique le peuple de notre pays sera encore mangé. » Dans ta lettre incidente du 16 janvier qui a trait aux prochaines élections de 2016, tu me dis « Si Houngbédji est frappé par la limite d’âge, Yayi Boni est frappé par la limite du nombre de mandat. Théoriquement donc ces deux hommes sont exclus de la course présidentielle. Pour autant, ne sens-tu pas que la lutte entre eux est loin d’être finie ? Qu’à défaut de se présenter pour un troisième mandat, Yayi Boni dispose d’un plan B ? Et que ce plan ne passera pas comme une lettre à la poste car il doit compter avec le leader des Tchoco Tcho ? »
Mon cher Pancrace, je suis tout à fait d’accord avec toi, et je vais te répondre sur cette question particulière comme sur les suivantes, sans tomber dans le travers de la politique fiction. Comme tu peux le constater dans les informations qui font l’actualité nationale, pour l’instant, Yayi met les bouchées double pour amputer M. Talon des moyens qu’il pourrait jeter dans l’orgie de dépense électorale qui décide de la nomination présidentielle. Nomination présidentielle, tu as bien lu mon cher ami, car contrairement au terme « élection présidentielle », on doit à la vérité de dire que ce qui se passe au Bénin dans le processus d’émergence d’un nouveau président relève plus d’une nomination censitaire que d’une élection libre et juste par le peuple. Car ce n’est pas un secret qu’au Bénin, comme certainement dans nombre de pays africains, le président est une espèce de roi désigné par un comité restreint de personnes. Chez nous, la chose se passe entre la CENA et la Cour constitutionnelle, sur fond de déplacements de fonds pour arroser les personnes clés qui ont bien joué leur partition. C’est ainsi que Yayi Boni a été nommé par Kérékou, lorsque celui-ci s’est rendu compte en 2006 qu’il ne pouvait pas réviser la constitution pour s’éterniser au pouvoir. Yayi Boni lui-même est sur la même voie. Dans l’hypothèse où il ne pourra pas réviser la constitution pour un troisième mandat, oui, il possède un plan B qui vise à sauvegarder ses intérêts personnels, financiers, juridiques et politiques.
Cela commence déjà par sa décision de se retirer. Ce retrait à lui seul lui vaudra dans l’opinion naïve et les médias complaisants statut de héros de la démocratie. Soudain, pour un acte somme toute démocratiquement normal, tous les crimes qu’il a commis, les affaires qui ont jalonné son règne, les scandales, les meurtres ou assassinats non élucidés, les violations quotidiennes de la constitution, tout cela sera absout de façon magique, et on parlera de lui en termes presque mandéliens. Il deviendra notre Mandela de Tchaourou. Une fois fait héros de la Démocratie, Yayi va mettre en œuvre les points capitaux de son Plan B. Ces points visent à « l’élection » d’un Président dont il gardera les ficelles, tout à la fois pour garantir son impunité, se protéger contre les personnes qu’il a injustement blessées, mises en prison ou meurtris dans l’hubris du pouvoir, et pour continuer son œuvre de destruction de ses ennemis jurés comme Talon. La personne sur laquelle portera son choix pour ce qu’il faut bien appeler désormais la nomination présidentielle, sera sans surprise un nordique. Selon toute vraisemblance, il s’agit du directeur de cabinet de l’actuel Président de la Boad. Ah, la Boad, cette stratégique rampe de lancement des candidats sérieux à la présidence Béninoise depuis 2006 !
Pour cela, il lui faut diviser le sud et faire illusion. Dans cette œuvre de destruction massive, sa cible principale est le PRD qui n’a plus Houngbédji comme candidat. Ensuite viennent le PSD de Bruno Amoussou, et la RB, qu’il a déjà plus ou moins anesthésiée. L’œuvre de destruction a pour but d’assurer à son dauphin la suprématie dans le nord et la première place aux « élections ». Le plan B de Yayi comporte un plan B’. Si son dauphin nordique ne passe pas la rampe, ce qui n’est pas exclu, compte tenu du fait que les gens du sud ne sont plus dupes du discours de la fraternité à sens unique ; eh bien M. Yayi en bon prestidigitateur jonglera avec des dauphins contractuels fluctuants. Il aura donc recours à une double stratégie de dauphin ; un dauphin régionaliste stable ou des dauphins contractuels fluctuants, c'est-à-dire interchangeables. Dans ce derniers cas les deux ludions pressentis sont J.-C. Apithy et Nago
Tout le monde sait que les élections ne servent qu’à une farce et que le moment venu, la CENA et la Cour Constitutionnelle décident de qui est élu et à quel pourcentage. Yayi Boni a rodé et systématisé cette farce avec le holdup électoral de mars 2011. Il est prêt à faire nommer le prochain président par ces deux institutions qui sont à sa botte, mais il faut en préparer les conditions de vraisemblance sociale, médiatique et politique. Lors de son adoubement par Tévoédjrè, celui-ci avait posé comme condition le fait qu’un ressortissant de l’Ouémé puisse emboîter le pas à Yayi. Histoire de faire bonne figure dans sa haine fratricide contre Houngbédji. Dans cet ordre d’idées, Tévoédjrè a demandé et obtenu la préemption de M J.-Claude Apithy comme l’homme idoine. En effet, Tévoédjrè ne voudrait pas assumer devant l’histoire l’image du haineux dont la haine pour Houngbédji aura privé l’Ouémé de Président de la république. Donc, son deal avec Yayi consiste à satelliser un type comme Apithy, le bien nommé. Pour cela, on a dû le faire Ambassadeur dans un Pays éloigné de la scène nationale, mais un pays qui compte sur l’échiquier international : la Chine. Par ailleurs, resté loin de la vie politique nationale le nouvel Apithy ne sera pas expert comptable de la gestion politique de Yayi comme un Koupaki par exemple. Et le moment venu, il sera rapproché du Pays, on le nommera Ministre, il créera son parti ou un mouvement politique dans l’Ouémé. Et ainsi paré, le nouveau chevalier, précédé par sa notoriété patronymique, ira à l’assaut du PRD sur le territoire duquel il mènera la lutte. Clin d’œil démagogique à l’histoire, le nom Apithy doit en imposer à tout le monde, à commencer par les masses de l’Ouémé-Plateau. La magie des noms hérités de l’histoire présidentielle mouvementée du Bénin, surtout pour le fondateur du PRD dont l’acronyme a été conservée par Houngbédji, cette magie subtile sera de manière ironique convoquée pour anéantir le même Houngbédji. C’est l’une des raisons pour lesquelles, à titre préparatoire, le régime Yayi a mis les petits plats dans les grands pour honorer la mémoire de M. Sourou Migan Apithy. D’abord avec la célébration opportuniste du 24èeme anniversaire de sa mort (pourquoi le 24 et pas le 23 ou le 22 ?) ; puis le centenaire de sa naissance, commémoré avec solennité dans les milieux institutionnels. On comprend pourquoi dans cette veine, il serait bon de faire monter en épingle un homme qui porte le même nom. Le culte du nom de famille, de tribu et de région est le lasso auquel on attrape le peuple exclu de fait de la nomination du Président. Une action en droite ligne du régionalisme de Yayi, chez qui tout se conçoit en termes de région, de tribu et de famille. Apithy au gouvernement fera mine de ne pas être dans la mouvance, mais il gravitera sur ses bords, et surtout bénéficiera du nerf de la guerre fourni par Yayi pour faire le travail de sape anti-PRD, notamment en débauchant contre arguments sonnants et trébuchants ses conseillers. Dans le climat de défiance voire de guerre ainsi créé, le paysage va se reconfigurer lors des élections municipales, qui n’ont été ajournées jusqu’ici que pour cette raison, entre autres. De même, tous les débauchés Yoruba-Nago de l’Ouémé-Plateau, sans adhérer forcément au mouvement d’Apithy vont naviguer dans une nébuleuse dont le dénominateur commun est d'être anti-PRD ou anti-Houngbédji, car, au Bénin, l’antihoungbédjisme a été promu au rang de bon sens politique depuis deux décennies.
Parallèlement et dans l’autre partie du sud, la même stratégie sera utilisée avec Nago qui, depuis quelque temps campe l’image d’un rebelle à Yayi alors qu’il ne s’agit que d’une attitude en trompe-l’œil. Car en vérité, Nago sera le fidèle artisan de Yayi pour casser le PSD de Bruno Amoussou, diviser le Mono-Couffo le cas échéant et rendre le travail facile au candidat naturel de Yayi. Yayi Boni qui n’aime rien tant que les Nago et Nordiques, le moment venu, n’hésitera pas à considérer Nago comme son candidat, y compris régionaliste, vu qu’il a fait baisser le centre de gravité du régionalisme, au point qu’un homme qui n’est Nago que de nom pourra bénéficier de son parapluie régionaliste.
Alors, tu me dis comment tout cela peut-il se machiner sachant que les Béninois sont remontés contre Yayi et souhaitent son départ pur et simple du pouvoir. Pour ce qui est du départ, il semble bien que Yayi tentera son va-tout pour un troisième mandat, mais dans le même temps, il est suffisamment réaliste pour prendre la mesure de la détermination contraire de l’ensemble des forces constituées. D’où la nécessité de se préparer au sacrifice pour renaître comme Phoenix de ses cendres. A l’approche de la période préélectorale qui va s’ouvrir vers la mi-2014 et aller en s’intensifiant, Yayi Boni va mettre en branle sa stratégie. Il a déjà éventré la RB, et le conflit interne de ce parti préfigure les germes de la division dans le Zou-Atlantique. Toutefois, et toujours dans l’espoir de réaliser un vieux rêve familial, Lehady sera candidat, ne serait-ce que pour monnayer son score. L’UN va désigner son candidat. Bio Tchané, fort de son expérience et de ses réseaux de 2011, va se positionner. Nago pourra aussi occuper le terrain, à moins qu'il soit le candidat FCBE mais cette éventualité est peu probable, vu que les « miens du Bénin profond » verraient ce bradage d’un mauvais œil. Le principe de la division dans l’Ouémé-Plateau s’appuiera sur la nébuleuse anti-Houngbédji. Cette nébuleuse, gravitant autour de M. Apithy, va probablement peser pour faire mentir le mythique 25% de Houngbédji. Tirant profit de son appartenance en clair-obscur à la majorité présidentielle, J-C. Apithy va se retrouver peut-être au second tour face à un candidat du Nord, peu importe lequel, Bio Tchané ou le dauphin régionaliste de Yayi. Évidemment, Yayi Boni va appeler à voter pour son dauphin. Les sudistes, toutes appartenances confondues, ne joueront pas le jeu du candidat du nord, considérant qu’en la matière ils ont déjà donné. De toute façon, les leviers électoraux sont dans les mains du pouvoir (argent oblige). Et le ralliement des têtes de pont sudistes (Lehady notamment) à un candidat du sud peut ne pas être automatique : quelques milliards et la promesse de postes ministériels suffisent pour que le naturel –pour autant qu’il ait été jamais chassé – revienne au galop. Dans ce cas de figure où se conjugueront l’implacable loi des intérêts et la nature humaine, MM. Apithy et Nago risquent de ne servir que de pions à Yayi, et de marchepied à son dauphin naturel. De toute façon, Yayi Boni n'a jamais voulu promouvoir durablement personne surtout pas au sud. Sa stratégie consiste à opposer à quelqu'un qu'il monte un autre pion de la même région pour les neutraliser ensuite. Apithy subira le même sort probablement, nonobstant le pacte entre Yayi et Tévoédjrè dont il bénéficie en apparence. Quoi qu’il en soit, Apithy et Nago ne seront que l'otage du système Yayi, même dans l’hypothèse où l’un ou l'autre venait à être élu. Car s’il est insensé pour un fauve de quitter la proie pour l’ombre, lâcher le morceau qu'il tient dans sa gueule ne l’est pas moins.
Dans une de tes questions, tu demandes si, en fin de compte, il n’aurait pas été plus simple, plus sain et même plus clair pour Apithy de se rapprocher de Houngbédji pour se faire adouber, plutôt que d’entrer dans une aventure fratricide et à terme ambiguë sous la houlette machiavélique de Yayi. D’un point de vue intellectuel et moral, ta question est intéressante ; à ceci près que la politique n’a que faire de la morale et préfère les rapports de force. Or en matière de rapport de force, Houngbédji c'est du passé...Et Le PRD n'a plus de figure portante...C'est une coquille vide (dixit Timothée Zannou ex, secrétaire du PRD). À moins d’être un bernard-l’hermite, ce n'est pas payant de se glisser dans une coquille vidée, lessivée par 20 ans de luttes infructueuses de conquête du pouvoir. Un parti au Bénin, c'est de l'argent. Où est le fils de Baba Yabo ( le professeur Joel Aïvo) aujourd'hui ? Où sont les Bernard Dossou, les Moukaram Badarou et consorts ? Ils savent eux ce qu'il reste du PRD. Les rats désertent le bateau en détresse. C'est plus payant pour Apithy de créer une nouvelle dynamique, les gens ne se feront pas prier pour suivre...Cela ne veut pas dire que c'est gagné d'avance, loin de là ; jusqu'au dernier moment si Yayi Boni peut lui glisser des peaux de banane sous les pieds, dans le but de favoriser son « mien du pays profond », il ne se gênerait pas.
En tout état de cause, ce n'est que la puissance de l'argent distribué qui aura le dernier mot. Yayi Boni vient d'interdire l'égrenage dans les usines de Talon. Il sait que sa succession précipitée ou à terme se joue, se jouera avec l'appui de l'argent de Talon. Adrien Houngbédji et le PRD fondront comme sel sous les pluies de CFA qui seront déversés sur leurs militants à tous les niveaux et sur les notables de leurs fiefs. Houngbédji n'est plus éligible... Au finish, dribblant le pacte conclu avec Albert Tévoédjrè, c'est son dauphin naturel que Yayi Boni fera nommer président...
Mon cher Pancrace, en me lançant dans cette réponse dont je te prie d’excuser la longueur, j’ai promis d’éviter le travers de la politique fiction. Je ne sais si j’ai tenu promesse. En tout cas, sachant que l’avenir nous le dira, je voudrais ici mettre au défi les protagonistes de nous prouver par leurs actes, décisions et engagements que tout ce qui précède n'est que vaines supputations ou un délire associatif à l'état pur.
Et je te prends à témoin, non de mon amitié qui t’est acquise, mais du caractère falsifiable de mes énoncés ; toute chose qui, selon Karl Popper, est le gage de leur validité.
En te renouvelant mes souhaits de bonne et heureuse année, je te remercie pour ta confiance.
Binason Avèkes
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Cette exploration quand bien même elle procèderait de l'hypothétique a le mérite de s'appuyer sur les vécus récents de la scène politique nationale. Au fil des jours, l'actualité ne fera que fournir des indices pour étayer ces scénarios. Le dernier indice en date et non un des moindres est le récent arrimage de Monsieur Dober ancien maire de P.N. transfuge du PRD, comme chargé de mission auprès du ministre Abiola. Gageons que ces hautes missions ne sont pas uniquement liées à l'enseignement...La nébuleuse anti-PRD est en marche; spéculer sur une candidature de Mr Abiola en 2016 ne relève pas que de l'élucubration; elle serait cohérente avec une stratégie d'émiettement des votes dans l'ouémé-plateau en même temps qu'elle contrerait toute velléité de Mr Idji Kolawole de rabattre des voix pour le candidat éventuel de l'UN, si ce n'est lui même ou Mr Golou, ce dernier qui de toute façon comme la lettre le mentionne devra sans doute compter avec la présence du président de l'assemblée sur les mêmes terres du mono-couffo...
Rédigé par : Thomas Coffi | 29 janvier 2014 à 11:56