« Selon que vous serez puissant ou misérable, a dit la Fontaine, les jugements vous rendront blanc ou noir. » Ce vers traduit à sa manière sibylline la relativité sociologique de la loi, tout au moins dans ses effets. Mais qu’en est-il de la morale et des mœurs dans la société ? La morale vaut-elle pour tous indépendamment de la classe sociale ? Cette question met en jeu les rapports entre la morale -- au sens collectif -- et le droit qui, comme on le sait n’a de sens que collectivement. Il va de soi que la morale et le droit travaillent collectivement de manière coordonnée avec la même visée de l’amélioration de la vie sociale, voire humaine. Cette mise au point appelle une clarification de la notion. La morale désigne l'ensemble des règles ou préceptes relatifs à l'action humaine. Ces règles reposent sur la distinction entre des valeurs fondamentales : le juste et l'injuste, ou plus simplement le bien et le mal. La morale peut renvoyer à l'ensemble des règles de conduite diffuses dans une société et exprimant ses valeurs, ou encore à des préceptes énoncés explicitement par une religion ou une doctrine. Les règles morales peuvent être vues comme de simples habitudes qui ont fini par s'imposer à un groupe social (mœurs, coutumes), c'est-à-dire des façons d'agir culturelles, acquises, apprises et intégrées par les agents (consciemment ou non), et variables selon les communautés et les époques ; mais elles sont parfois définies, à l'inverse, comme des règles universelles, indépendantes du lieu et de l'époque, et établies par la raison humaine ou exigées par une certaine représentation de l'être humain en général. Dans le domaine particulier des mœurs, nous pouvons séparer les règles en deux sortes : les règles culturelles d’une part, c’est-à-dire celles qui émanent d’un décret social établi par l’habitude ou la volonté humaine. Ces règles concernent par exemple les formes de mariage( la monogamie, la polyandrie, l’homosexualité, la monogamie, etc.), la fidélité conjugale, le divorce, etc. ; et d’autre part, les règles que l’on pourrait qualifier de naturelles, dans le sens qu’elles définissent la nature humaine non seulement en ce qu’elles sont universelles, mais en ce qu’elles le distinguent du monde animal. Ces règles ont trait à l’interdiction de l’inceste, de l’anthropophagie, ou de l’endogamie, etc… Encore que, comme le prouve le cas de l’homosexualité, la frontière n’est pas étanche entre les règles culturelles et les règles naturelles, même si un grand nombre de règles naturelles sont partagées par tous les hommes. Dans les sociétés occidentales judéo-chrétiennes, en ce qui concerne les règles culturelles, la monogamie est culturellement voire légalement en vigueur. La fidélité est donc tenue -- religieusement ou légalement -- comme un devoir conjugal. Sociologiquement la fidélité peut être mise en corrélation avec le taux de divorce dans la société. L’expérience montre que le capital social élevé, le capital financier ou matériel élevé, et le capital politique élevé ont une incidence sur la quiétude conjugale, sur la fidélité et en dernier ressort sur le taux de divorce dans les classes nanties, libérales ou puissantes. Les mœurs capricieuses des vedettes de cinéma, du showbiz, des media ou de la chanson, le donjuanisme échevelé des personnalités du milieu des arts et de la création, comparées aux mœurs de l’homme moyen en sont une preuve. De même, la vie intime mouvementée du politique dont le pouvoir de séduction est directement indexé sur sa puissance d’homme de pouvoir n’a souvent rien à voir avec les préceptes naïfs de fidélité tel qu’énoncés par le maire ou le curé lors du mariage. Chez les classes nanties, chez les stars du showbiz et des arts, comme chez les puissants domine un état d’esprit très peu porté à la stricte observance des règles culturelles. La fidélité est devenue un carcan embarrassant, la vie intime y est plus mouvementée que dans les autres classes, les vicissitudes matrimoniales sont légion et la mobilité conjugale est érigée en valeur. Bien malin qui pourra dire le nombre exact de fois qu’un Johnny Halliday s’est marié ? Quel est le président français qui n’a pas eu de maîtresse ? Même si c’est leur statut de personne publique qui explique la publicité faite à leurs aventures, il reste que le comportement moral des nantis ou des vedettes jure avec celui de la moyenne des gens. Paradoxalement, la conformité morale relative que l’on peut observer chez l’homme ordinaire ou, à tout le moins, sa vie intime peu mouvementée, lui donne le rôle implicite de modèle ; alors que dans les faits, les hommes politiques, les acteurs du showbiz, des arts et du cinéma passent pour être des modèles pour le plus grand nombre. La comparaison avec l’Afrique ne pourrait valablement pas porter sur la règle de la fidélité conjugale dans la mesure où la fidélité va de pair avec la monogamie qui n’est pas une règle valorisée en Afrique. A partir du moment où le principe de la polygame est posé, l’infidélité est un vecteur de la vie conjugale en Afrique. Que les trois coépouses d’un homme découvrent du jour au lendemain l’existence d’une nouvelle concubine de leur mari n’a pas la même valeur dramatique que la découverte par une Occidentale de l’existence d’une maîtresse de son mari. Mais pour autant la relativité sociologique des mœurs et de la morale s’exprime aussi en Afrique à la fois au niveau des règles culturelles comme c’est le cas avec le nombre plus ou moins grand des épouses qui se comptent par dizaines ou par centaines ! Certains présidents de la République en Afrique ne sont-ils pas de véritables Pères de la nation au sens propre du terme ? Dans la mesure où ils s’arrogent le droit de coucher frénétiquement avec toute femme qui leur tombe sous leur main, et que dans certains pays, il n’y a pour ainsi dire pas de village, de quartier de ville, de commune ou de hameau dans lesquels leur incontinence sexuelle n’ait laissé des traces vivantes. Il en est de même, certes à une moindre échelle, des hommes riches, qui en dehors de la multiplicité de leurs aventures sexuelles sans lendemain, s’enorgueillissent d’être à la tête d’une grande famille à foyer matrimonial multiple. Comme de par son histoire l’Afrique est un continent dominé sans structure économique autonome, la classe des nantis se résume à la classe corrompue des hommes politiques qui s’arroge les ressources naturelles du pays, et quelques hommes d’affaires compradores, qui servent d’intermédiaires entre eux et l’Occident capitaliste qui est l’exploiteur historique du continent. L’éthique de cette classe politique, de par sa licence et ses excès incommensurables traduit la relativité sociologique des mœurs en Afrique. Cette relativité apparaît dans toute sa violence et sa rupture sur le plan des règles naturelles. Dans cette classe on a tendance à ne pas donner cher des interdits universels considérés généralement comme fondateurs de la nature humaine, comme ceux qui touchent à l’inceste et d’une manière à l’endogamie, ou à l’anthropophagie. Prenez deux grands pays d’Afrique comme le Nigeria et le Zaïre de Mobutu. Au Nigeria, pays le plus peuplé du continent, l’ex-président Obasanjo n’a-t-il pas été accusé par son propre fils d’avoir des relations sexuelles avec l’épouse de celui-ci ? Laquelle épouse, à en croire les mêmes accusations, aurait d’abord commencé à coucher avec son propre père…De même les histoires d’anthropophagie qui flottent autour de certains chefs d’État en Afrique, de Bokassa à Bongo et bien d’autres ne relèvent pas de simples rumeurs. Tout cela a un goût de scandaleux pour le sens commun mais dans ces classes au pouvoir rien n’est impossible et rien ne peut être interdit. Car le besoin d’enfreindre les règles ou les interdits est perçu selon eux comme la marque de leur puissance. Un Président africain digne de ce nom -- qui est tout le contraire de Mandela -- ne saurait sublimer ses pulsions : ce serait trop demander à des Kérékou, des Eyadema, des Bongo ou des Idi Amin Dada…Au zaïre, l’ex-président Mobutu n’a-t-il pas poussé la coquetterie de la toute puissance fantasmatique du Président à vie jusqu’à épouser deux sœurs jumelles ? Ce ne sont là que quelques exemples rapides, car le but n’est ni de dénoncer ni de faire étalage de ces mœurs choquantes et par certains côtés bestiales. Qu’il suffise seulement d’en inférer la relativité sociologique des mœurs et de la morale en Afrique. En conclusion les modèles moraux ne sont pas à rechercher dans les classes supérieures. A moins de supposer que l’agitation morale et les déviances dont elles sont porteuses ne sont que les signes avant coureurs de l’évolution des mœurs, une préfiguration de ce qui deviendra général. Or rien n’est moins sûr, vu que ces mœurs débridées, instables et versatiles ici, bestiales et/ou déviantes là sont indexées sur le pouvoir de l’argent ou de la politique. Prof. Anjorin Babatunde |
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