Depuis 2006, plus d'un concours de la fonction publique a été dénoncé comme entaché de fraude. Mais aucune de ces dénonciations n'a donné lieu à considération par les pouvoirs publics et encore moins à une enquête sérieuse. La fraude la plus marquante et la plus médiatisée a été celle qui a entaché le concours de recrutement d'agents du ministère de l'économie et des finances organisé sous l'égide de la ministre de la fonction publique et du travail de l'époque, Mme Kora Zaki. La médiatisation et l'insistance des organisations syndicales sur l'injustice de cette fraude ont conduit le gouvernement à daigner s'y intéresser. Mais son intérêt a fait long feu avec la décision du conseil des ministres, suite aux travaux d'une commission ad hoc, de considérer qu'il n'y avait pas lieu ni de quoi fouetter un chat.
Si l'on tient compte du caractère manichéen et instrumentalisé du fonctionnement des institutions depuis l'arrivée au pouvoir de Yayi Boni, manichéisme délirant qui fait que dans leurs décisions elles doivent plaire ou complaire au pouvoir sinon voir leurs responsables accusés de rébellion et en payer le prix, alors on mesure à quel point, dans cette affaire comme dans d'autres, la responsabilité du chef de l'État est engagée et la décision du gouvernement ou de toute commission est, in fine, une décision personnelle du chef de l'État. En clair, M. Yayi Boni lui-même, en tant que garant de la cohésion nationale, considère qu'il n'y a aucune raison de donner suite aux plaintes dans cette affaire de fraude. À première vue, on est surpris de voir que le Chef de l’Etat s'inscrive en faux contre la dénonciation de fraudes avérées, dont les victimes présumées sont des citoyens de chair et de sang comme d'ailleurs les bénéficiaires supposés aussi. Mais, en considérant l'habitus de Monsieur Yayi, son éthique, son propre parcours biographique et ses intérêts politiques du moment, on comprend très bien la logique de son attitude vis-à-vis de cette fraude en particulier et de la fraude en général, qu'à des titres divers et en des circonstances variées il a lui-même pratiquée. Comme le montrent, entre autres, le micmac d'intrigues et de perfidie dans lequel est plongée la Lépi et le Holdup électoral de mars 2011. La raison de cette attitude découle du fait que pour Yayi Boni, et pas seulement pour lui, le rapport à l'État n'est pas un rapport de mérite mais un rapport abstrait d'opportunisme et de profit. L'État est considéré comme une bête de somme imaginaire et étrangère sur le dos de laquelle on s'empresse de charger nos poids plus ou moins lourds. Nous ne voyons pas le rapport entre l'efficacité de sa marche et le mérite de ceux qui, via un concours ou une sélection quelconque, sont amenés à travailler pour l'État dans tel ou tel de ses secteurs administratifs. Le souci aveugle de chacun est d'abord et avant tout de devenir fonctionnaire et de s'assurer de ce fait un revenu régulier et à vie aux frais de l'État sans aucun égard au mérite. Yayi Boni lui-même en est un exemple vivant. Le dernier poste qu'il a occupé avant de devenir président de la république est celui de président de la BOAD. En quoi peut-il prouver qu'il était le plus méritant à ce poste parmi les hommes et les femmes de sa génération ? Hormis le fait qu'il connaissait certaines personnes qui l'ont poussé à ce poste ou qu'il a été choisi parce qu'il était un « cadre du Nord » ? Si son mérite à ce poste était si évident que cela pourquoi l'audit de sa gouvernance pendant 10 ans à la tête de cette structure ouest-africaine n'a-t-il jamais été rendu public ? Il y a donc là-dessus manifestement anguille sous roche. Ensuite, l'autre fonction qu'il a occupée et continue d'occuper aujourd'hui est celui de chef de l'État. En 2006, il a été élu à plus de 75 % des voix. À supposer d'ailleurs que ce raz-de-marée électoral--maintenant qu'on connaît les dessous douteux de sa conquête miraculeuse du pouvoir-- soit exempt de fraude, en quoi le seul fait opportuniste d'exploiter le rêve de changement d'un peuple pour accéder au pouvoir peut-il relever d'un mérite dès lors que cette accession s'est avérée comme une fin en soi ? Mais ne faisons pas trop le procès de la politique à travers l'homme politique. Revenons à la question du mérite au concours de la fonction publique. De tout temps, au Bénin, les concours d'accès à la fonction publique n’ont jamais été justes ni honnêtes, car ils sont une occasion de passe-passe magique, où des bénéficiaires occultes étaient retenus à l'avance tandis qu’une foule de candidats innocents et naïfs concouraient en aveugle sans savoir qu'ils servaient de figurants dans un jeu joué d’avance. Les concours ont toujours été au Bénin un marché de dupe, un théâtre frauduleux savamment organisé. Cette organisation bénéficie d'un consensus tacite fait d'échange de bons procédés et une représentation sociologique stabilisée des relais de captation des enjeux. Des personnalités politiques, économiques, et administratives agissant en réseau, s'entendent comme larrons en foire au sommet pour se partager les butins qui sont ensuite redistribués à des heureux élus de leurs connaissances et clientèle, de leurs familles biologiques, politiques ou régionales, etc.
Ce théâtre frauduleux dont les acteurs se tenaient par la barbichette était construit tout entier sur une plate-forme sociologique qui transcendait les régions. Or qui dit sociologie dit supériorité de fait du Sud sur le Nord, et cette supériorité sociologique doit être étendue à la démographie aussi bien qu'à l'économie. Et c'était pour remédier un tant soit peu à cette supériorité héritée de l'histoire qu'existait une pratique totalement injuste et même illégale par laquelle les concours donnaient lieu à la réservation de quotas sur la base régionale. Par ce moyen, un concurrent d'une région pouvait être admis à un concours administratif avec une note de 20 à 30 % inférieure à celle d'un concurrent d'une autre région déclaré non reçu ! Mais comme la résorption des retards sociologiques ne se traite pas seulement en aval, cette pratique de parité injuste n'a jamais créé de miracle. D'où l'interventionnisme politique de Yayi Boni. En organisant la fraude au concours sur une base régionaliste, et surtout en restant droit dans ses bottes malgré le charivari social et syndical suscité, Yayi Boni ne faisait qu'amplifier la correction sociologique existante par un décret politique. Sans être plus juste, surtout de la part du premier responsable de l'État, le geste a le mérite de la clarté. Tous les cris d'orfraie et égosillements scandalisés qui de façon bien-pensante, prétendent dénoncer l'injustice, pêchent en revanche par dénégation, dans la mesure où ils laissent penser que le geste du chef de l'État s'oppose à une pratique rationnelle légale existante comme le jour s'oppose à la nuit. Or, là-dessus, au Bénin, rien n'est moins sûr.
Binason Avèkes
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