Le syndicaliste Pascal Tɔjinu qui vient de payer de sa personne sur le marché de la violence despotique dont est capable Yayi Boni en a conclu que la démocratie béninoise était finie. C'est assez étonnant que cet acteur de premier plan de la vie sociopolitique du Bénin ait attendu d'avoir goûté à quelques coups de matraque, suffoqué sous la pression des gaz lacrymogènes, ou passé entre les balles réelles tirées par les hommes de main du régime, pour en déduire que la démocratie béninoise a vécu. Alors que plus d'un acte posé par Yayi Boni par le passé et qui était beaucoup plus grave, atteste clairement de la mort de la démocratie et de sa substitution sans tambour ni trompette par une autocratie décomplexée, un despotisme sans nuance et suranné voire une dictature pure et simple. Un exemple incontestable de ces actes est le holdup électoral de mars 2011. Dans une démocratie digne de ce nom, on ne s'arroge pas le pouvoir dans une espèce de rêve narcissique autoritaire sans tenir compte ni du peuple, ni de la partie adverse, ni des consciences collectives qui forment l'esprit du peuple. Dans une démocratie normale--fût-elle africaine--la liberté d'expression ou de manifestation ne saurait être l'apanage des seuls partisans du chef de l'État. Dans une démocratie normale, le pouvoir n'appartient pas à un seul homme ; le chef de l'État n'est pas l'État. Donc, que la démocratie béninoise soit devenue le passé d'une illusion va de soi. Une illusion chèrement acquise, soit dit en passant.
Le caractère anachronique de la posture de Yayi Boni est l'un des signes de sa singularité. Qu'est-ce qui pousse un banquier à se propulser à la tête d'un État ? Peut-être l'envie d'apporter sa contribution au progrès de son pays, en s'appuyant sur sa science. Mais à l'expérience, il s'avère que la science--fort douteuse, du reste--de M. Yayi, sauf les calamités et le malheur, n'a rien apporté de positif au Bénin. Au contraire, caractéristique d'une certaine escroquerie intellectuelle d’une partie de l'élite africaine, cette science proclamée est inversement proportionnelle aux effets de sa mise en scène, son ostentation : il n'y a que les tonneaux vides qui font du bruit. Si Yayi Boni n'est pas venu au pouvoir pour aider son pays, c'est qu'il est venu pour, comme la plupart des hommes politiques, assouvir des fantasmes et des désirs personnels. À coups de supercherie et de chantage ethnique, comme c'est souvent le cas des individus issus de soi-disant minorités ethniques ou régionales, il est parvenu à s'appuyer sur la politique pour s'ouvrir un chemin et faire carrière, et se sentant les coudées franches, il est allé au bout de ce chemin. Histoire de voir ce que cela peut apporter d'assouvissant à un ego démesuré, jusque-là entravé dans sa volonté de jouissance et d'expression. Pendant que Yayi ruminait le rêve de grandeur présidentielle, et surtout par son expérience togolaise, il n’a connu du président que des modèles dictatoriaux. Cela cadrait bien avec son tempérament, ce besoin de violence pour s'affirmer et donner à sa catharsis biographique des allures de revanche : revanche du prétendu nordiste prétendument pauvre sur le sud prétendument riche ; revanche du prétendu Nago prétendument victime historique de la violence barbare des sudistes, sanctionnée par l'esclavage ou les sacrifices humains d'antan. Avec cette mission revancharde en tête, et cette psychologie du crapaud qui veut devenir un bœuf, Yayi Boni n'a retenu que les leçons de Eyadéma, de Mobutu ou de Amin Dada sur le continent africain. Il ne croit pas une seconde à la démocratie, et la manière ainsi que le fait d'accéder au pouvoir par la démocratie sont la traduction d'un trait profond du caractère de Yayi Boni : le cynisme et l'hypocrisie des gens qui ont leur idée derrière la tête et qui n'hésitent pas à faire flèche de tout bois. Donc le dictateur Yayi a instrumentalisé de façon inaugurale la démocratie pour accéder au pouvoir. Il n'est pas devenu dictateur au pouvoir c'est la dictature même qui lui a dicté le chemin du pouvoir. À cet égard, il a trompé tout le monde et le savait d'avance. Les Tévoédjrè, les Zinsou, les Dossou, les Gbégnonvi, les Madougou, les Talon, etc., tout ce beau monde qui, en 2006 a misé sur lui et lui a donné le bon Dieu sans confession. Et qui aujourd’hui ne mènent pas large, se terrent ou se taisent, comme ces chiens d’Aimé Césaire… Avec Yayi Boni, le racisme régionaliste à empoisonné l'éthique politique du pays. Parce que le régionalisme est devenu systématique, cynique, décomplexée et par certains côtés provocateur. L'histoire et surtout l’épilogue du concours truqué du ministère des finances en sont une belle preuve. Si Yayi Boni a entériné ce trucage, ce n'est pas seulement parce qu'il est un truqueur né, mais parce qu'il a voulu, comme il le fait depuis son arrivée, parler en langage régionaliste. C’est un langage gestuel. Il a voulu que le débat sur le régionalisme soi exacerbé, typifié, stigmatisé, intégré et intériorisé. Avec la signification que les gens du Nord sont au pouvoir et se serviront comme bon leur semble sans aucun égard à aucune loi ou règle autres que celles de leurs intérêts ou de leur bon vouloir. Il s'agit d'un discours de classe, plutôt qu'une réalité de masse ou de terrain. Car comme le dénonce dans une lettre fort pertinente M. Saka Saley, qui est originaire du Nord, les vrais nordistes et les vrais sudistes sont victimes d'une petite classe qui au sommet agitent le chiffon rouge de l'identité régionaliste, s'enrichissent à leurs dépens et sur leur dos, pendant que, gorgé d'une fierté ou d'une frustration imaginaire, la masse inerte du peuple réel est à mille lieues des agapes. Le régionalisme de Yayi Boni est un dîner de cons. C'est un prétexte-panneau dans lequel Yayi Boni a essayé de pousser le pays tout entier pour mieux le diviser afin d'assouvir ses fantasmes, sa perpétuation au pouvoir, ses bons plaisirs de président etc. etc. C'est pour cela aussi que M. Yayi a procédé à une politique de nomination d'une horde de médiocres claniquement et cliniquement typés, qui sont devenus maintenant pour lui une espèce de cordon sanitaire, de garde régionaliste, de boucliers prêts à le défendre à mort dans la mesure où ils n'ont pas besoin d'un dessin pour se rendre compte que la chute de leur bienfaiteur est aussi leur propre chute. Si cette tourbe infecte était formée de gens compétents, qui méritent vraiment les places qu'ils occupent, elle n'aurait aucun souci à se faire dans un régime de démocratie normale. Mais dans la mesure où ce sont des gens hissés par complaisance idéologique, clanique ou clinique à des postes dont ils n'ont pas la compétence, la défense et la perpétuation au pouvoir de M. Yayi est pour eux un acte de survie. Et cela M. Yayi Boni l’a fait sciemment parce que d'entrée il se moquait de la démocratie comme d'une guigne ; parce que d'entrée il voulait rester aussi longtemps au pouvoir que Eyadéma, ou son mentor national Kérékou, naturellement muet comme une carpe, et dont le mutisme a valeur de soutien idéologique et politique. Et c’est dans cette identification au passé et aux hommes du passé que se trouve la vraie singularité d'un homme qui avait tout pour être perçu comme un homme sinon d'avenir du moins du présent. Yayi Boni veut durer au pouvoir au moins aussi longtemps que les Blaise Compaoré, les Mathieu Kérékou, les Eyadéma, mais aussi les Omar Bongo, les Muzévéni ou Robert Mugabe, etc. mais tous les hommes auxquels il s'identifie sur la trajectoire biographique desquels il veut caller ses ambitions de longévité politique étaient tous des militaires ou des hommes parvenus au pouvoir par les armes. Or, il est fort compréhensible qu'un homme arrivé au pouvoir par les armes, dans la droite ligne autoritariste de la culture militaire, cherche à s'imposer au mépris de la démocratie, et au besoin en subvertissant ses règles et ses pratiques. C'est ce qu'ont fait ou font des hommes politiques comme Blaise Compaoré, Mathieu Kérékou ; c'est ce qu'a fait Eyadéma ; c'est ce qu'a échoué de faire Obasanjo ; c'est ce qu'a fait Sassou Denis Nguesso et c'est ce qu'il se prépare à faire derechef. Mais que dire d'un homme parvenu au pouvoir par le plébiscite d'un peuple qui l’avait choisi de son propre gré en investissant en lui tous ses espoirs de changement ? Comment comprendre qu'un homme, au demeurant civil, un banquier qui, en 2005 n'était rien, veuille devenir tout en 2013, et imposer le spectre lugubre de ce totalitarisme dans un temps éternisé ? Hitler avait été peintre avant de devenir le chef du troisième Reich mais entretemps il a au moins porté l'uniforme, et manié les armes, ce qui est déjà le signe et le gage d’une certaine culture autoritaire. Comment s'expliquer que quelqu'un qui se dit docteur, épouse sur le tard une vocation de dictateur, et parce qu'il a corrompu l'armée et possédé ses chefs par le truchement de nominations claniques ou des émoluments mirifiques, veuille briser le rêve démocratique de tout un peuple ? Une démocratie arrachée de haute lutte dans le sang, la mort, la souffrance de centaines voire de milliers de Béninois. Telle est la singularité aveugle de Yayi Boni, entre autoritarisme surannée et folie des grandeurs.
Adenifuja Bolaji
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