À Cotonou le 27 décembre, les forces de l'ordre ont réprimé dans le sang une manifestation pacifique. Les dirigeants syndicaux de premier plan comme Pascal Tɔjinu, Issè Eko, Kassa Mampo, etc. des hommes et des femmes moins connus, mais tout aussi épris de liberté, sont grièvement blessés et transportés dans des hôpitaux, parfois non sans difficulté dans la mesure où les secours étaient indexés à l'aune de leur couleur politique, et que les services spécialisés n’ont pas partout fait du zèle pour les aider. Cette nouvelle a fait le tour du monde et différents organes de presse internationaux en ont fait état. Malheureusement au Bénin le nombre de gens qui ont eu vent de l’événement peut se compter sur les doigts d'une main. Après une enquête téléphonique en direction du pays, force est de constater qu'aucun grand média national n'en a fait état, surtout pas l'ORTB qui est pourtant, faut-il le rappeler, un organe d'État d'information publique. Ce passage sous silence, cette censure diabolique n'est rien moins que du négationnisme. Pourquoi ?
Eh bien le négationnisme à l'origine comme chacun sait désigne la négation de la réalité du génocide pratiqué par l'Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale contre les juifs, génocide qu'il tient pour un mythe. Par extension le terme est aussi amené à désigner la négation, la contestation ou la minimisation d'autres faits historiques en particulier des crimes contre l'humanité. Mais conformément à l'épistémologie de l'histoire du temps présent, les faits de l'actualité peuvent aussi faire objet du négationnisme. C'est le cas d'un régime dictatorial qui utilise la censure pour nier l'évidence et la réalité des faits de l'actualité qui sont frappés du sceau de la non-existence. Ce type de négationnisme est à l'œuvre dans la société béninoise ; c'est lui qui rend raison de l'impasse faite par la plupart des médias, notamment des médias d'État sur des informations aussi graves que la répression sanglante du vendredi 27 décembre 2013.
Depuis 2006 avec l'accession au pouvoir de M. Yayi Boni, l'information est devenue monolithique monocolore, monothématique. Comme l'État qui se confond avec le chef de l'État, l'information se confond avec ce que le chef de l'État veut bien entendre ou voir dans les médias : journaux, radios et télévisions. Pour cela, il a suffi de passer ces médias aux ordres. Ceux qui sont des organes d'État y accèdent naturellement par le biais des nominations ; et leur ligne éditoriale ainsi que le contenu de leurs informations sont dictés selon le bon vouloir du chef de l'État et de ses services de propagande. Les organes privés sont quant à eux mis sous contrat leur interdisant la critique du régime et les encourageant dans la connivence, la dithyrambe et les informations complaisantes. Par cet accaparement sournois de l'information dans la société, et parallèlement à la nature tronquée et aliénée des moyens de formation, le peuple est maintenu dans les ténèbres. Les paysans des campagnes mais aussi les masses urbaines analphabètes n'ont accès à aucune information susceptible d'édifier leur jugement pour déterminer en chaque circonstance leur choix--particulièrement les choix politiques. Quant à la petite classe de ceux qui savent lire ou écrire son aptitude n'est nourrie par aucune source enrichissante, et la propagande du régime est la seule pâture qui lui est proposée. Par cette organisation autoritaire et frauduleuse de l'information, le pouvoir s'assure de ce que le peuple doit connaître, à l'exclusion de la réalité de ce qui se passe, et de la marche réelle du monde. Les consciences sont mises sous cloche. Les esprits végètent dans les ténèbres de l’ignorance confortable au régime dictatorial. En matière d'information tout tourne autour de M. Yayi ; et, en dehors de ses pets, de ses rôts et de ses borborygmes, le peuple n'a droit à être informé de rien d'autre. Par cette attitude paternaliste et autoritaire, le régime choisit ce qui peut être porté à la connaissance du public et ce qui ne doit pas l’être. Il définit le bien et le mal, l’être et le néant. Et cette sélection machiavélique se fait au mépris de la réalité. C'est justement ce mépris de la réalité qui donne à la censure son caractère négationniste. Que les organes d'information aient été conditionnés à chanter les louanges du chef de l'État, et à refuser l'accès au public des voix discordantes est une chose ; mais que ces organes s'accordent pour passer sous silence des faits graves de l'actualité comme la répression sanglante du 27 décembre est autre chose. Il s'agit d'un négationnisme du temps présent. Et ce négationnisme du temps présent est grave car il porte en germe le négationnisme historique qui nie le génocide des juifs ou l'existence du goulag…
Prof. Cossi Bio Ossè
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