Depuis plusieurs mois un combat féroce fait rage entre le président de la république et son ex-argentier occulte, le magnat du coton, M. Patrice Talon. Comme dans un combat d'éléphants c’est la végétation alentour qui en subit le contrecoup. Depuis des mois, tout ce qui se passe au Bénin, de l'assignation à résidence d’un juge audacieux en passant par la dissolution inconstitutionnelle du gouvernement et son remaniement 48 heures après, les incessantes tracasseries faites à de simples citoyens--retrait de passeport, embastillement, etc.--tout peut être lu sous le prisme édifiant de ce combat de gladiateurs. Un combat qui tient le pays en haleine, le paralyse et détourne ses dirigeants des tâches les plus urgentes pour le bien-être des citoyens acculés à la misère. Selon la version qu'en a donné M. Talon, la raison de la brouille entre les deux complices d'hier proviendrait du fait que l'homme d'affaires sollicité par le président pour soutenir financièrement son projet de 3ème mandat a refusé de jouer le jeu. Plus que de refuser, il aurait pris ses distances avec le président de la république et se serait opposé à cette intention jugée par lui antidémocratique, politiquement inconvenante et légalement inconstitutionnelle. À l'en croire, ce faisant, il aurait voulu sauver la démocratie béninoise d’une dérive des républiques bananières habituées au syndrome de la présidence à vie. Allégations rejetées en bloc par le chef de l'État qui, au contraire, accuse son soutien financier d'être à l'origine d'une tentative d'empoisonnement sur sa personne. Accusations qui, après avoir été déjugées par les juridictions nationales reste pendante devant la Cour d'appel de Paris dont apparemment le pouvoir béninois --comble de dépendance 50 ans après les soi-disant indépendances-- attend le verdict avant de faire exécuter les décisions de justice du Bénin ! Comme s'il ne reconnaissait pas la justice de son propre pays ; comme s’il s'en souciait comme d'une guigne. Comble de l'aliénation, venant du premier responsable d'un pays soi-disant indépendant. Et l'un des points déterminants par rapport auquel la Cour d'appel de Paris aura à se situer est l'examen du motif de M. Talon selon lequel son opposition au projet de 3ème mandat de M. Yayi est ce qui aurait mis le feu aux poudres dans la relation entre les deux hommes. Mais, à y voir de près, l'argumentation de M. Talon ressortit d'une dialectique des apparences comme le dirait Hegel ; en effet elle ne tire que des conclusions partielles de ses présupposés. Certes, selon toute vraisemblance M. Yayi est en train de mettre tout en œuvre pour un 3ème mandat en 2016. Mais une fois cette évidence acceptée, elle ne suffit pas pour rendre raison de la guerre fratricide entre les deux hommes, même dans l'hypothèse de l'opposition de M. Talon au projet incriminé. Pour retrouver le sens de la vraie dialectique du conflit entre les deux hommes, il faut voir ce qu'impliquent la posture et la volonté politiques de Yayi Boni depuis son accession au pouvoir en 2006. Alors qu'il avait derrière lui des mentors originaires du sud comme le retors Zinsou, l’intrigant Tevoédjrè, et des financiers opportunistes comme Talon et Adjavon, etc. qui dans leurs intérêts égoïstes n'ont pas hésité à aller à contre-courant de la logique régionaliste qui continue pourtant d'animer la vie politique du Bénin, M. Yayi ne se contente pas de ces soutiens stratégiques. Parce qu'il ambitionnait de gagner les élections de 2011, il n'a eu de cesse de se faire une image d'homme de terroir. Pour ce faire, à la faveur de quelques liens biographiques, il a jeté son dévolu sur le Nord, alors qu'il est en réalité originaire des Collines--une région où les gens parlent le fon et le nago. À l'instar de cette politique de « septentrionnalisation » de tout ce qui n'est pas aja commencée déjà sous Kérékou, M. Yayi s'est engagé avec ferveur dans un régionalisme de division, de réduction et d'affabulation territoriale. Ce qui lui a ouvert un espace imaginaire de référence qui va des contrées de Savè jusque sur les rives du Niger en ralliant l'Atacora et le Borgou. Selon la thèse de l'école d'Eyadéma qu'il a fréquentée assidûment, s'éterniser au pouvoir implique la création, fût-ce ex nihilo, et l'appartenance à une région d'adhésion pour laquelle et au nom de laquelle on agit ostentatoirement à l’exclusion des autres, de toutes les autres. C'est pour cette raison que l'homme qui était selon le vœu secret de ses mentors du Sud censé unir le pays tout entier en raison de son extraction mitigée et de son faciès médian --originaire des Collines et marié à des femmes du Sud--s'est révélé en l'espace d'une demi-douzaine d'années un régionaliste fervent, passionné et décomplexé. Un homme qui administre la violence régionaliste en plein jour et qui pose des actes régionalistes. Le régionalisme pro-nordique de M. Yayi étant basé sur la fausse justification d'une inégalité Nord-Sud que son volontarisme est censé corriger. Les nominations à caractère régionaliste et en dépit de la compétence s'inscrivent dans ce cadre. Toutes choses qui expliquent le drastique recul généralisé du Bénin en l'espace de quelques années aussi bien à l'échelle africaine qu’à l’échelle mondiale. Car comment faire avancer un pays lorsque ses dirigeants sont plus obnubilés par l'alchimie régionaliste de l'identité des cadres que de leur compétence ? Les emprisonnements arbitraires aussi traduisent le régionalisme pro-nordique de Yayi. Car aussi bien Yayi Boni, a voulu jouer les dirigeants terribles en faisant embastiller tout ce qui bouge et ce pour un oui ou pour un non ; aussi bien le même Yayi Boni n'a jamais touché le cheveu d'un seul homme politique ou public originaire du Nord. Sur 100 personnes qui ont été emprisonnées durant son règne il n'y a pas pour ainsi dire un demi-nordique ; surtout si ces personnes doivent être jugées à l'aune de leur poids politique ou de leur notoriété relative. C'est aussi en rapport avec cette politique de répression à caractère régionaliste qu'il faut voir le conflit fratricide entre Yayi et Talon. Car ce conflit doit être placé dans le cadre plus élargi de la répression que Yayi Boni fait abattre sur les opérateurs économiques. Et quand on se demande pourquoi Yayi mène la guerre aux opérateurs économiques, et quelles sont les origines régionales de ces derniers, on se rend compte que la répression contre les opérateurs économiques est d’inspiration régionaliste ; et que les victimes de cette répression sont originaires du sud. Yayi Boni qui est un grand « nommeur » devant l'éternel et qui utilise passionnément l'instance du conseil des ministres à cet effet a épuisé à travers son pouvoir de nomination toutes les capacités de sa bonne volonté régionaliste. Il s'est rendu compte qu'il n’y avait pas de grands opérateurs économiques originaires de sa région imaginaire du Nord, car en dehors des directeurs de sociétés d'État, il n'avait pas pouvoir de nommer les opérateurs économiques parce que tout simplement les opérateurs économiques ça ne se nomme pas, mais ça se crée par soi-même et par le jeu de la dynamique socio-économique. Dans le paysage des grands opérateurs économiques du Bénin, à l'instar du Nigéria qui a son Dangote--soit dit en passant, fils financier du dictateur
nordiste Abacha-- Yayi Boni voulait donner à son Nord chéri quelques grands noms qui fassent référence. Dans l'optique de son 3ème mandat, c'est un objectif qui augmenterait d'un cran l'adhésion du peuple de ce Nord imaginaire cher à son cœur. Le raisonnement régionaliste que se font dans leur for intérieur maintes personnalités politiques du Nord, c'est qu'il n'y a pas de raison que le Nord soit la région de production essentielle du coton, et qu’à l'arrivée ce soit un opérateur économique du sud qui ramasse toute la mise. Ce serait bien que le M. coton du Bénin soit du Nord.. Évidemment, la chose aurait été possible si, à l'instar d'un poste ministériel, de Direction de société ou d'Ambassadeur, le M. coton du Bénin ou n'importe quel opérateur de grande envergure se nommait en conseil des ministres. Or Yayi Boni, en tant que président parvenu a été le fils de ce système d'interférences entre acteurs économiques et acteurs politiques. C'est ce système qui lui a donné naissance. Mais, comme toujours c'est le cas, et en l'occurrence pour accomplir ses rêves politiques extravagants, Yayi Boni est habité de pulsions parricides. Détruire tout ce paysage dont on n’a pas planté soi-même les essences et concourir à l'éclosion de nouvelles essences régionalement sélectionnées c’est faire acte d'interventionnisme régionaliste. C'est le glaive de ce sombre projet qui s'est abattu sur MM. Talon et autres opérateurs économiques. Après l’avoir fait, et conformément à l'adage qui veut que l'homme soit toujours pressé de se venger du bien qu'on lui a fait, les opérateurs économiques sont exposés à la menace d'être défaits par leur créature. Pour pouvoir plaire à sa région imaginaire de référence, et dans le but d'asseoir les conditions politiques de son troisième mandat, le cadeau négatif que Yayi Boni croit devoir lui offrir est, à défaut d'un M. coton du Nord, de mettre en déroute celui qui est considéré comme un intrus sinon un usurpateur dans la filière. La lutte de M. Yayi contre Talon vient de cette inspiration bassement régionaliste adossée au rêve extravagant du 3ème mandat pour lequel plus que jamais, Yayi Boni a besoin d’une adhésion forte de son terroir putatif. Et, depuis que Talon a été mis en déroute, et qu'il a perdu le PVI, M. Yayi estime qu'il est sur la bonne voie de redéfinition du paysage des opérateurs économiques, et qu'avec un peu de chance le Bénin aura aussi bientôt son Dangote. Le fait même que la société qui s'est substituée à celle de M. Talon dans la livraison des intrants aux cotonculteurs soit une société malienne doit être vu comme une victoire d'étape dans la mesure où, ramené aux éléments symboliques définissant l'identité régionaliste nordique, un opérateur d'une région sahélienne à culture islamique qu’il soit Béninois ou non est encore plus acceptable qu'un opérateur Béninois du sud chrétien. Donc au vu de cette interprétation des motivations possibles de la lutte que Yayi Boni mène contre M. Talon et de la contre-attaque de celui-ci, il apparaît que ce n'est pas le refus de M. Talon de soutenir le troisième mandat de Yayi qui est cause de leur brouille ; mais au contraire, ce sont les exigences et implications du troisième mandat en termes de plus forte adhésion à son terroir et de bonne volonté régionaliste qui ont scellé le sort de MM. Talon et consorts. Les frustrer, les combattre, les mettre en déroute est une bonne tactique de la politique de la terre brûlée qui permettra à de nouvelles essences régionalement marquées de prendre racine dans le paysage des opérateurs économiques béninois trop envahi, au goût de Yayi Boni et de ses amis régionalistes du Nord, par les essences politiquement inconfortables du sud.
Atinpahun Basile
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