Un débat agite actuellement l'opinion africaine ; c’est celui de l’opportunité du retrait des États africains de la CPI. Et la prochaine réunion de l’UA à Addis-Abeba est censée trancher. Le débat porte sur le soupçon d'une CPI qui s'acharnerait sur les seuls dirigeants d'Afrique, à l’exclusion des autres continents. Ce constat est indéniable et découle des statistiques ainsi que des événements marquants de l'histoire de cette juridiction créée en 2002. Sur huit situations et à travers une vingtaine d'affaires qui ont été portées au devant de la CPI, la totalité concerne des Africains. La CPI est une cour qui, comme la plupart des institutions filiales de l'ONU, est située en Occident, mais dont les justiciables sont des Africains. En apparence, cela projette l'image d'un acharnement judiciaire et politique à caractère antinégrite. C'est ce qui légitime la position de ceux qui préconisent un retrait pur et simple des pays africains de la CPI. Car cette stigmatisation tendancieuse, selon leur appréhension, confine au racisme, et évoque de manière inquiétante le spectre de la colonisation. Mais, bien que basée sur la tendance irréfutable d'une focalisation sur l'Afrique, la CPI juge moins des dirigeants africains que des dirigeants des nations les plus faibles du monde, celles qui n'ont pas suffisamment de cohésion interne pour se prendre en charge et régler leurs problèmes de litiges ou de conflits ; celles qui s'en créent eux-mêmes à tour de bras ; celles qui ont tendance à se laisser-aller à la merci de dominations exogènes, sources de désordres, de conflits et de guerres mais aussi de crimes en tout genre dont leurs règlements à leur tour deviennent exogènes. Les nations politiquement fortes, moralement unies et aguerries, ou celles dont le niveau de dissension ne s'autorise pas à baisser en deçà du seuil des interventions directes étrangères sont moins susceptibles d'avoir affaire à la CPI. L'extraversion de l'Afrique est consubstantielle à sa condition et à son être au monde. C’'est le seul continent dont les systèmes et structures symboliques officielles sont exogènes. L'Afrique est un continent qui a du mal à opposer au monde la radicalité de sa dignité et de son intériorité. Dans la plupart des cas, l'Afrique est la première à être demandeuse de l'influence exogène qui, par une myriade de justifications ou de prétextes paternalistes, s'imposent à elle. Selon une culture qui a pris racine dans les temps précoloniaux, l'Afrique s'est toujours appuyée sur l'extérieur pour se diviser elle-même. Combien de royaumes africains précoloniaux n'ont pas eu recours au soutien de puissances européennes pour en découdre avec leurs propres voisins ou frères? Au Bénin, le cas des royaumes de Danhomè et de Hogbonu est un cas d'école qui a été systématisé dans toute l'Afrique. Au fond, c'est de cette culture de la division assistée ou arbitrée par l'étranger dans laquelle la politique africaine s'est orientée et développée que provient en toute logique la déification aliénée de puissances, des instances ou des institutions internationales souvent étrangères à l'Afrique. L'Afrique s’y est fait poreuse et les accueille à bras ouverts sans aucun égard ni souci pour sa dignité et sa propre intimité. C'est ainsi que l'Afrique s'est fait consommatrice sans modération des services de la cour pénale internationale qui, pour justifier son existence n'a pas craint de s'enfoncer à corps perdu dans le ventre mou du concert des nations que constituent les États africains . Aujourd'hui, après une vingtaine d'affaires dans le contexte de huit situations, les Africains--du moins certains--prennent conscience de ce biais et s’en révoltent ; révolte plus ou moins bien intentionnée.
Avant d'en admettre la légitimité, il est toutefois intéressant d’interroger le bien-fondé de cette rébellion miraculeuse. Après tout, au train ou vont les choses, tout se passe comme si la cour pénale internationale n'était qu'une cour pénale africaine politiquement assujettie aux jeux et aux enjeux géopolitiques des puissances étrangères. Mais compte tenu du contexte de néocolonialisme qui prévaut en Afrique, qu'y a-t-il de mal dans cette focalisation, dans la mesure où les affaires dont la CPI s'occupe sont des affaires qui méritent d'être prises en charge par une cour pénale qu'elle soit africaine ou internationale ? Quel mal y a-t-il que l'Afrique voie ses affaires de criminalité politique jugées aux frais et aux soins du monde entier ? Le souci est de sources multiples. Les premiers à monter au créneau contre la CPI sont des dirigeants africains--pas tous certes--dont les agissements les ont conduits à perdre toute quiétude quant à l'éventualité pour eux, tôt ou tard, d'avoir affaire avec la CPI. C'est cette inquiétude qui pousse certains chefs d'État à une espèce de fronde préventive. Comme cela a été le cas dans l'histoire politique de l'Afrique, les dirigeants africains qui sont les premiers à brader l'honneur et la dignité de l'Afrique dans des collusions serviles avec les occidentaux et les puissances étrangères en général, sont aussi les mêmes qui, dès lors que leurs intérêts sont en jeu, ou qu’ils se sentent personnellement menacés, aboient des slogans nationalistes et hurlent des mises en garde souverainistes à l'encontre de leurs ex-amis occidentaux. Il n’est pas très sûr que les chefs d'État africains qui crient au racisme ou au colonialisme parce que la CPI n'a eu à traiter jusqu'ici que de situations africaines aient un réel souci de la dignité de l'Afrique. En revanche qu’ils roulent pour leur propre quiétude paraît tomber sous le sens. Quoi qu’il en soit, l’argument de leur rébellion risque de faire mouche puisque, aux yeux des Africains conscients des menées criminelles du néocolonialisme sur le continent, cela peut briller comme une idée lumineuse.
Comme le montre le cas ivoirien, on peut soupçonner que la CPI a été, à l'instar de l'ONU, instrumentalisée par la France pour imposer et gérer la pax franca qui perpétue ses intérêts dans son pré carré ouest-africain. Le cas ivoirien est instructif à plus d'un titre et éclaire ce débat de fond en comble. En effet, le cas ivoirien illustre le recours passionné que les Africains font eux-mêmes, comme nous l'avons dit plus haut, aux puissances, instances et institutions étrangères pour éliminer leurs propres frères ou voisins rivaux ou gênants. Si Gbagbo a été pilonné et arrêté par l'armée française sous couvert de l'ONU puis déféré devant la CPI, c'est bien à la demande expresse et selon le plein gré de celui qui, non seulement a pris sa place mais n'a pas craint de l'humilier avec l’assistance des Français. Or, ce même pouvoir perfide refuse aujourd'hui d'aider à déférer d'autres partisans de Gbagbo devant la même CPI. Tout simplement parce que cela n'arrange plus le nouveau pouvoir qui, à force de jouer les zélés dans sa collaboration avec la CPI pourrait aussi se trouver à terme dans l'obligation d'y envoyer ses propres partisans sur lesquels pèsent de graves soupçons de crimes contre l'humanité. Dans le groupe des États frondeurs qui menacent de quitter la CPI, il ne serait pas étonnant que l'on compte la Côte d'Ivoire dont les dirigeants actuels, après s'être illustrés dans l'indignité historique consistant à utiliser les puissances, et les instances extérieures à l'Afrique pour humilier et diviser notre race, n'ont peur de rien tant que d'avoir à terme à rendre des comptes à ces mêmes instances internationales.
Rien n’est donc plus suspect que ce débat qui agite l’opinion africaine sur l’opportunité pour les états africains de quitter la CPI, au moment même où cette cour ne sait comment sortir de l’embarras du cas Gbagbo. Et bien malin qui saura la part de la manipulation de la Françafrique qui, pour changer son fusil d’épaule dans l’instrumentalisation de la CPI dans ce dossier en même temps que d'en occulter la réalité, ne dédaignerait pas de faire croire à une rébellion de la conscience nationaliste africaine soudain ressuscitée.
Aminou Balogun
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Sang-Hyun Song a affirmé en réponse que la CPI ne devait pas être blâmée pour quelque chose qu'elle n'avait pas fait, en rappelant que dans 5 cas sur les 8 enquêtes menées en Afrique, la demande avait été faite par les pays concernés. Evoquant le cas du Kénya, le président de la CPI a affirmé que la cour s'est autosaisie puisque les députés kényans n'avaient pas voulu d'un tribunal national pour juger les différents protagonistes.[ http://www.lanouvelletribune.info/index.php/actualite/etranger/annonces/16404-la-cpi-n-a-jamais-pourchasse-aucun-pays-africain-d-apres-son-president]
Rédigé par : B.A. | 18 octobre 2013 à 07:49