En ce temps-là je me donnais furieusement aux exercices religieux, et j'assistais très souvent à la messe en qualité d'acolytes. Cependant, à mesure que je grandissais, la rigoureuse discipline du catholicisme m'étouffait. Ce n'est pas que je sois devenu moins religieux, mais plutôt que je cherchais toute liberté pour adorer Dieu et me mettre en communion avec lui, car le Dieu que j'adore est un Dieu très personnel, et ne peut être touché que de façon directe. Je ne trouve pas nécessaire de passer par une tierce personne dans une affaire si personnelle, à vrai dire son intervention me froisse. Aujourd'hui, chrétien attaché à aucune confession, et socialiste de tendance marxiste, je ne trouve pas de contradiction entre ces deux positions. C'est probablement la même crainte que j'éprouvais à l'égard de l'élite catholique, que mes aspirations ne fussent freinées, qui m'a rendu craintif vis-à-vis des femmes. À cette époque-là, ma peur de la femme dépassait la compréhension de tous. Je me rappelle qu'il y avait une jeune fille qui habitait à faible distance de chez moi, et qui attendait pendant des heures dans une petite allée, qui séparait notre concession et celle de la maison voisine. Si je venais à sortir dans l'allée, elle s'approchait de moi pour essayer d'entamer une conversation. Lorsqu'elle s'est aperçue que je ne faisais que la dévisager comme un animal effrayé, elle se dit que j'étais timide. Alors, elle me chuchota courageusement à l'oreille, qu'elle m'aimait. J'eus horreur de ce procédé et je lui dis son fait, si bien qu'on aurait pu soupçonner qu'elle m'avait fait du mal. J'entrai dans la maison en courant, et j'annonçai à ma mère l'état de perdition où se trouvait cette jeune fille. Et ma mère de s'esclaffer en disant : « Tu devrais en être flatté, mon fils. Qu'y a-t-il de mauvais à ce qu'on s’éprenne de toi ? » La jeune fille ne désempara pas. Elle se mit à m'apporter des plats appétissants, qu'elle confiait à ma mère à mon intention. Dès que je compris que c'était cette jeune fille qui avait fourni le repas, je refusais nettement d'en manger. Il s'écoula des journées, avant que ma mère put me persuader à manger. |
Je ne me suis jamais guéri de ce sentiment envers les femmes. Aujourd'hui, ce n'est plus la crainte, c'est quelque chose de plus profond. Peut-être est-ce la crainte d'être pris, de voir m'arracher la liberté, ou d'être en quelque sorte maté. Et j'ai les mêmes sentiments envers l'argent et la religion organisée et obligatoire. Tous ces trois éléments représentent à mon esprit quelque chose qui doit jouer un rôle en marge de la vie d'un homme, car dès que l'un d'entre eux a pris le dessus, l'homme devient esclave et subit la dépersonnalisation. Peut-être que si j'avais tenu compte des protestations amoureuses de la jeune fille de l'allée, je me serais contenté de passer le reste de ma vie auprès d'elle à Half Assinie, faisant mon petit bonhomme d’instituteur dans l'école de la région, ou bien poursuivant le métier de mon père. Mais le destin en a décidé autrement |
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