La démocratie africaine, comme chacun sait, en est encore à ses balbutiements. Sujette à plus d'un travers et détournement autocratique, elle vit sous l'ombre portée des mascarades et mises en scène d'autant plus ostentatoirement formelles qu'elles sont frauduleuses. Mais l'un de ces travers les plus vicieux est l'obsession de l'échéance électorale, qui sévit surtout dans les systèmes présidentiels forts. C'est-à-dire, à peine une élection présidentielle terminée, le gouvernement installé, que déjà toutes les attentions sont focalisées sur la prochaine élection présidentielle. Cela ressemble à un syndrome de dénégation pour le perdant et de confiscation du pouvoir pour le gagnant, toutes choses qui faussent l'esprit démocratique. Le gagnant, au lieu de se mettre au travail pour réaliser les promesses qu'il a faites lors de sa campagne et qui lui ont valu --à supposer que nous soyons dans le schéma exceptionnel d'une élection non frauduleuse--d'être élu, use son énergie dans des intrigues politiciennes de sa prochaine réélection. En fait, toute son activité, ses décisions, ses faits et gestes sont marqués par le souci obsessionnel de sa réélection. Si bien que la société politique tout entière se conforme à cet agenda, prend le même pli, et se laisse contaminer par cette atmosphère de projection obsessionnelle vers la prochaine élection. Le peuple, le pays et ses besoins, les urgences et actions de développement, dès lors que, et dans la mesure où elles ne sont pas une justification démagogique de la popularité électorale potentielle du président, sont relégués au second plan, négligés, voire rejetés dans l'ombre. Et le pays va ainsi de campagne électorale officielle en campagne électorale non-officielle sans jamais sortir de ce cercle vicieux source de stagnation voire de régression. Dans ce mouvement délirant, c'est le pouvoir qui donne le la et l'opposition, magnétisée est incapable de se ressaisir ou de ne pas tomber dans le piège. Tel est le mode sur lequel le Bénin a fonctionné et fonctionne depuis 2006. Et lorsque le pouvoir arrive à son terme constitutionnel, on pourrait penser que cette limitation sonnerait enfin le glas du délire, en libérant le pouvoir de son obsession, afin de le rendre à l'action pour améliorer le quotidien difficile des citoyens, sinon œuvrer pour l'émergence économique et sociale de la nation. Mais ce n'est là que vaine espérance car, ayant plus d'un tour dans son sac, le pouvoir prépare encore sa réélection prochaine sous la forme des manipulations occultes des institutions de la république et de révision opportuniste de la constitution. Cette obsession de la réélection est un des gros travers de la démocratie en Afrique où les esprits ne sont pas acquis à l'idée de l'alternance. Au Bénin, la mandature est de cinq ans, et sur cinq ans est relancée la machine de l'obsession de réélection du président. Avec plus ou moins de pudeur, cette machine évite de faire des pointes les deux premières années de l’accession au pouvoir du nouveau président. Mais la caricature saute aux yeux lorsque la mandature, comme dans les pays anglophones — le Ghana ou le Nigéria en sont des exemples — n'est que de quatre ans. Imagine-t-on l'indécence sinon l'absurdité de l'acharnement électoral une année seulement après l’accession au pouvoir du président ? Ce vice de l'obsession électorale, plus que les autres travers et dévoiements auxquels est exposée l'expérience démocratique en Afrique, est dommageable au progrès dans la mesure où il revient à une mise hors jeu de la démocratie elle-même, dans ce qu'elle est censée avoir de bénéfique. À vrai dire, c'est ce travers qui commande tous les autres travers de la démocratie en Afrique car l'obsession de la réélection fait l'impasse sur le bilan du président en exercice et, de fil en aiguille, se rabat sur la fraude électorale et les mascarades pour réaliser un objectif aussi vieux que la durée de la mandature. Alors quelle solution y trouver si l'on veut que la démocratie en Afrique ne soit pas un jeu d'enfant au plus mauvais sens du mot, c'est-à-dire une mascarade simiesque, sur fond de corruption, de paresse, d’incurie, de médiocrité et d'irresponsabilité ? Probablement une reconsidération de la durée de la mandature présidentielle serait nécessaire. Si les quatre ans qui ont la préférence des pays anglo-saxons construits sur le modèle américain paraît donner un gage de démocratie, ce gage n'a de sens que si l'alternance est possible. Et l'expérience montre que ce qui a du sens pour les pays développés comme les États-Unis n'en a pas, ou a exactement le sens contraire pour des pays pauvres sous-développés économiquement et intellectuellement comme les pays africains. Plus la durée de la mandature est courte en Afrique plus absurde apparaissent les effets de l'obsession de la réélection. Dans cet ordre d'idées, on serait tenté de préconiser au contraire une durée de mandature relativement longue. Une mandature de sept ans par exemple rendrait absurde l'obsession électorale et pourrait avoir pour effet de faire prendre conscience au pouvoir en place de la nécessité de se mettre au travail et d'accomplir la mission pour laquelle il a été élu. Mais pour que cette longue durée accomplisse tous ses effets, et qu'à mi-terme le même mécanisme obsessionnel ne s'enclenche, il faudrait que la mandature de sept ans soit non renouvelable et unique. Bien sûr la longue durée d'un mandat présidentiel, si elle n'a pas la préférence des systèmes présidentiels anglo-saxons c'est qu'elle n'a pas que des qualités. L'un de ses défauts c'est ce qu'il faut faire d'un président élu pour sept ans lorsqu'il se révèle non seulement incapable ou médiocre mais pire encore un parjure ? Eh bien peut-être faudrait-il alors assortir la longue durée de sept ans non renouvelable de toutes les garanties ou provisions constitutionnelles facilitant la destitution du président. En conclusion, pour lutter contre le fléau de l'obsession électorale qui paralyse la démocratie en Afrique et mine son développement, une longue mandature serait nécessaire, à condition de l'assortir des garde-fous de sa limitation ou de son interruption le cas échéant.
Prof. Cossi Bio Ossè
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