Le jeudi 29 août, il s'est produit des incidents à Sème à la frontière Bénino-nigériane. Ces incidents se sont soldés par deux morts, un douanier et un commerçant. Ces faits objectifs découlent d'une information que l'on peut lire dans au moins deux journaux, un Béninois-. Le Matinal- et un nigérian, Thisday. Mais une fois ce constat fait, les récits des comptes-rendus par les deux journaux sont divergents. Si divergents qu'on peut se demander s'il y a deux jeudis dans une semaine, deux 29 août dans ce même mois d'août 2013, ou deux frontières Bénino-nigérianes qui portent le même nom de Sèmè. En fait la divergence des récits est telle qu'on a peine à croire qu'ils portent sur le même incident, n'eussent été les éléments objectifs indéniables, du jour, du lieu de l'incident, du nombre et de l'identité sociale des victimes ; car sorti de ces constantes objectives on nage en pleine divergence. D'abord de par son titre, le journal béninois suggère un conflit entre des commerçants béninois et les douaniers nigérians ; un conflit à caractère international donc et aux relents passablement nationalistes, comme la presse aime s’en faire l'écho à nos frontières, que ce soit avec le Burkina, le Togo, le Nigéria à Kétou, à Ségbana, ou à Malanville, etc. Ainsi pouvait-on lire dans le Matinal du 30 août 2013 : Bénin-Nigéria : panique générale à la frontière de Sèmè-Kraké hier [des coups de feu, un douanier et un commerçant tués]. Deux morts, des véhicules incendiés. C'est le triste bilan de violents affrontements qui ont éclaté hier à la frontière bénino-nigériane de Sèmè Kraké. À l'origine, une altercation entre des commerçants en provenance du Bénin et des douaniers nigérians. Les faits sont inédits et poignants.
Le Matinal
Ils ont eu des sueurs froides hier. Les usagers et même les hommes en uniforme au niveau de la frontière bénino-nigériane de Sèmè-Kraké ont été troublés dans leurs habitudes par des crépitements de balles. Selon certains témoignages, les populations de la zone constatèrent déjà aux environs de 8 heures que la circulation était fluide. Chose inhabituelle. Vers 9 heures, elles réalisaient que tous les passagers et les véhicules qui tentaient de passer la frontière pour se rendre à Sèmè, dans la zone nigériane rebroussaient chemin. Selon des informations qui leur parvenaient, cela est dû aux mesures de sécurité mises en place dans le cadre de la visite d’une autorité douanière à une structure sous tutelle. Mais ce n’était pas vraiment la raison, même si cette visite était à l’ordre du jour. Alors que les interrogations étaient perceptibles sur tous les visages, des détonations se faisaient entendre aux environs de 10 heures. De violents affrontements venaient d’éclater au village d’Achikpa entre douaniers nigérians et commerçants. D’après plusieurs témoignages, des commerçants à bord de véhicules chargés de produits congelés, en provenance de Cotonou, ont été bloqués à la frontière. Les douaniers nigérians ont agi ainsi en prétendant qu’ils s’apprêtent à recevoir leur hiérarchie et que dans ces conditions, ils ne sont pas en mesure de les soumettre à l’accomplissement des formalités. Mais l’attente aurait trop duré, suscitant l’ire des commerçants. Ceux-ci protestaient quand subitement un fonctionnaire des douanes nigérianes ouvre le feu en tirant sur l’un des commerçants. La victime succombe à ses blessures. Il n’en fallait pas plus pour faire monter la tension. Malgré que l’un d’entre eux soit tombé sous les balles des douaniers, ils ne décolèrent pas. Les forces nigérianes ont alors tiré plusieurs coups de fusil. La situation s’emballe et dans la foulée, un douanier se fait poignarder. Les commerçants s’en sont pris aux symboles de l’Etat nigérian. Ils ont incendié des véhicules. Pendant ce temps, tout est bloqué dans la zone béninoise. Les usagers apeurés par l’évolution des choses, craignaient l’importation des affrontements sur le territoire béninois.
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Le journal nigérian Thisday quant à lui, avec le titre “ La Foule tue deux Douaniers, suite à la Mort d’un Automobiliste” présente la chose comme un incident national, nigéro-nigérian, à caractère social ou la référence au Bénin est à peine effleurée.
Thisday Mob Kills Two Customs Officers over Death of Motorist
Rendue furieuse par la mort d'un automobiliste victime d’une fusillade par des responsables du service des douanes du Nigeria ( NCS ) attachés à la frontière de Seme, une foule a attaqué jeudi le poste de douane, tuant deux hommes en uniformes Mais selon les officiels, le bilan ne serait que d’un mort côté douanier.
(…) Selon les informations recueillies par THISDAY, lorsque la nouvelle de la fusillade de l'automobiliste désigné simplement par Saturday a filtré dans la ville, elle a fait état de sa mort suite à l'incident. Cela a incité certains jeunes à descendre dans les rues pour protester contre l' irresponsabilité criminelle présumée des agents des douanes . (…) Même si elle n’a pas pu mettre la main sur l'officier soupçonné d'avoir tué l'automobiliste, la foule a intercepté quelques officiers supérieurs en route pour leur lieu de travail et aurait tué deux d'entre eux. Ils ont également incendié leur voiture. Selon des sources bien informées, la révolte des jeunes qui a dégénéré, a été alimentée par la querelle persistante entre la communauté et le personnel de la douane de Seme . Selon certains habitants, les meurtres de personnes de la communauté par les agents des douanes sont devenus si fréquents que les jeunes ne pouvaient plus regarder un tel incident continuer si rien n’était fait pour traduire les assassins présumés en justice. Un des membres de la communauté qui a parlé à THISDAY sous couvert d'anonymat, a déclaré que les officiers prétendent généralement que leurs victimes sont des contrebandiers. Les jeunes en colère, scandant des chants de guerre, auraient barricadé la route principale pendant la manifestation. Ils ont ensuite marché sur le bureau de douane de Sèmè où ils ont brûlé un fourgon de patrouille. ( ... ) Cependant, des sources douanières ont affirmé que Saturday a été abattu alors qu'il tentait de s'échapper après avoir fait passer en contrebande des sacs de riz vers la République du Bénin. ( ... ) Mais des témoins ont déclaré que Saturday avait eu maille à partir avec le fonctionnaire des douanes dont l’identité n’est pas encore connue, et l’officier aurait tiré sur lui au cours de la dispute qui a dégénéré. Mais la douane a rejeté ces allégations, soulignant que ses hommes ont été attaqués parce qu'ils essayent consciencieusement d'arrêter la contrebande dans la région
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Il est vrai qu'au sujet du Bénin quand on essaie de voir ce qui se passe dans la tête du Nigérian moyen ou même du Nigérian plus que moyen, on risque d'être affligé. En effet les Nigérians traitent instinctivement le Bénin par le mépris. Pour eux, nous serions comme une bosse sur le dos d'un zébu, ou un pic-boeuf à côté d'un boeuf. Les Nigérians regardent le Bénin moins comme un État indépendant que comme un ensemble de populations voisines. Et ce n'est du reste pas le comportement très peu patriotique ou responsable de nos soi-disant responsables qui les en décourage. Il paraît qu'en son temps, Obasanjo aurait fait signer un document de litige frontalier à M. Yayi entre deux tapotements sur l'épaule à l'aéroport sans que celui-ci ait pris le temps de lire le document. Le parlement béninois, Dieu merci, se serait efforcé par la suite de corriger la bévue. Plus récemment encore en mars 2011 durant le K.-O. électoral alors qu'il n'avait pas balayé devant sa propre porte qui sera quelques semaines plus tard jonchée de centaines de morts, pince-sans-rire M. Jonathan était venu gronder le Bénin, en le mettant en garde contre toute violence électorale car disait-il, il n'entendait pas avoir une guerre civile aux portes du Nigéria. Bref, il y a un mépris involontaire des Nigérians pour le Bénin. Pour autant, ce mépris érigé en seconde nature n'explique pas le ton et la coloration sociale et nigéro-nigérians du récit par le journal Thisday. Comme l'événement se passe du côté nigérian, on ne voit pas pourquoi la presse nigériane raconterait des bobards. De plus, les précisions et détails fournis par l'article du journal nigérian montrent bien des éléments d'objectivité crédibles du récit. Du côté béninois en revanche, le journal Le Matinal était confronté à une information qui avait pour source un pays qui, bien qu'étant voisin et frère, reste séparé de nous par le double barrage administratif et linguistique. La divergence observée dans les récits, le manque d'éléments d'objectivité--institutionnelle ou individuelle--laisse à penser qu'on a fait écho à une information en brodant sur un canevas objectif un récit subjectif, au mieux fait de bric et de broc, constitué d'une chaîne de rumeurs relayées de bouche-à-oreille. En dehors de la tonalité de conflit international suggéré par le compte rendu du Matinal--tonalité qui fait le sel d'un sensationnalisme épicé de nationalisme démagogique--nous ne sommes pas--et sauf le respect des victimes--loin du fait divers ou de la rubrique des chiens écrasés, où, comme chacun sait, aucune précision n'est ni significative ni obligatoire. Mais outre le défaut manifeste de professionnalisme, il y a la fatalité de la césure linguistique et administrative qui sépare l'Afrique en autant de zones fermées sur elles-mêmes qu’y règne la langue héritée du colon dont nous proclamons chaque jour pourtant que nous sommes indépendants ; césure qui veut que le journaliste --et par conséquent le public --béninois soit plus au fait d'événements parfaitement dérisoires qui se déroulent au Gabon ou en Centrafrique--comme les frasques d'un fils de dictateur ou les ennuis bancaires d'une des maîtresses de celui-ci—alors qu’il ne sait ou ne dit rien des événements de grande importance qui affectent un pays voisin comme le Nigéria dont nous dépendons jour et nuit
Binason Avèkes
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