L'homme était assis par terre au coin de l'escalier de l'établissement hôtelier ; il était enroulé sur lui-même comme un boa terreux, un oeil ouvert aux aguets. Il était ratatiné et d’un âge respectable. Était-ce un mendiant, un malade mental comme il en existe en quantité déraisonnable dans la ville de Cotonou ? Un homme échoué, comme un navire naufragé sur la plage. Occupé que j'étais à surveiller le type bizarre qui précédemment m’intrigua par son attitude, je ne le remarquai pas dans un premier temps. De fait, rien en lui n'aspirait à se faire remarquer. Sa présence était terne, comme tout son être éteint. Tout à coup, deux hommes d'une trentaine d'années environ firent leur apparition. Le vieil homme s'anima soudain. On dirait que la vie renaissait pour lui. L'un des deux hommes posa un bidon jaune devant le vieillard. Le bidon devait avoir une capacité de 20 l au moins, puisque c’était le même type qu’utilisent les vendeurs de payo à Porto-Novo. Il y eut un bref échange entre le vieillard et l'un des jeunes hommes. L'autre jeune homme s'en retourna vers la rue. Comme un chameau réveillé à contrecœur sous un soleil chaud, l'homme se mit péniblement debout. Il eut du mal à réaliser son équilibre et a tenir sur ses jambes de moustique desséchées. Sa croupe était squelettique et s'il n'était pas malade, il devrait souffrir au moins de malnutrition. Une fois debout, il avait du mal à le rester. Le marché qu’il venait de conclure avec l'homme au bidon jaune lui mit le cœur en joie ; il consistait à remplir le bidon jaune d'eau de mer. Ce devait être une de ces provisions qui font partie des ordonnances des gbigbowuiwué et avec lesquelles ils confectionnent de l’eau bénite ou toutes sortes d'autres panacées. Le vieil homme posa un entonnoir de fortune sur le bidon--entonnoir fabriqué avec une bouteille plastique coupée--puis saisit à son tour un petit bidon jaune ouvert sur le haut et sur l'une des faces duquel avait été pratiqué un trou servant d'anse. Puis, cahincaha, il se dirigea vers la mer. Puiser l'eau de mer était son travail. Et s'il était assis là au coin du bar désert, c'était pour cela. Les choses commençaient à s'éclairer à son sujet. Mais beaucoup d'autres questions restaient en suspens. Aurait-il la force de transporter l’eau alors qu'il tenait à peine sur ses jambes ? Et comment allait-il prélever l'eau ? S'il ne s'agissait que de récolter le débordement de la houle, pourquoi ces jeunes hommes valides n’y allèrent-ils pas eux-mêmes ? Le vieil homme allait-il au contraire plonger plus en avant dans la mer ? Il était peut-être un Xwla ou un Tofinu, un de ces hommes nés et ayant grandi dans des environnements aquatiques, et qui se déplacent dans la mer comme un poisson. Mais, à ma grande surprise, le vieillard n'avait rien d'original à vendre. Sa technique était des plus simples. Elle consistait à prélever l'eau de la houle, avant qu'elle ne se replie ou ne soit absorbée par le sable. Lorsqu'il passa à notre hauteur, à côté du chauffeur qui jouait avec S. à creuser dans le sable, il fit à leur adresse une sourde remontrance prononcée sur le mode du monologue hargneux. Il ne faisait aucun doute que le manège visait à se donner une contenance, comme s'il était un peu gêné de laisser voir les tenants sordides de sa condition. Binason Avèkes |
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