D'abord, il convient de souligner que le mot agitation n'est pas choisi au hasard ; son choix vise à souligner que ce qui se passe au Bénin sous le rapport du sujet évoqué ‒ la révision de la constitution ‒ est tout sauf un débat. Alors qu'une telle initiative politique aurait dû donner lieu à un débat franc, ouvert, dialectique et instructif, elle est traitée de la même manière obscure et irrationnelle qui régit la vie politique et l'information au Bénin. Entre la prépondérance du culte de la personnalité, l'ubiquité des manipulateurs des émotions religieuses et la pensée unique du régime imposée à toute la société à travers les médias dont la quasi-totalité est aux ordres du pouvoir, il n’y a point place au débat. Au contraire, force est de constater avec amertume que la régression intellectuelle collective, l'enfoncement dans les ténèbres, condition sine qua non de la prospérité du régime actuel, sont ainsi assurés. Voici pourquoi le mot agitation est ce qui décrit le mieux l'ambiance sociopolitique actuelle du Bénin. Depuis que le pouvoir a été violemment usurpé en 2011 à travers un coup d'état électoral de sinistre mémoire, pour contrer l'inévitable retour de la réaction populaire, en dépit des multiples verrouillages, M. Yayi essaye astucieusement d'ouvrir des périodes qui consacrent thématiquement et médiatiquement une ambiance censée exorciser ou mettre entre parenthèses la révolte contenue du peuple frustré dans ses aspirations démocratiques et dans sa volonté politique. C'est le rôle qu'a joué aussitôt après les élections le fait que le Bénin se voie bombardé à la présidence de l'UA. Poste acquise à coup de reptation et de concessions inimaginables et qui, comme tous les retombées et usages de la politique avec Yayi, vise d’abord le bon plaisir et l’honneur d’un homme avant celui d’un pays . Cette présidence occupait tout l'espace, justifiait tout et en même temps exonérait de tout. Si le peuple Béninois est épris de sagesse, il n'oserait tout de même pas sérieusement inquiéter le président de l'Union Africaine au motif que celui-ci aurait été mal élu dans son pays ! Il faut savoir respecter les hiérarchies et faire preuve de bon sens politique. Ainsi, au nom des intérêts supérieurs de l'Afrique, les Béninois doivent avaler leurs frustrations et tenir la bride au désir de révolte contre leur président, fut-il usurpateur, fut-il voleur d'élections, fut-il fraudeur corrompu et corrupteur forcené. Et de fait, le parti pris de M. Yayi a toujours été, dans son antidémocratisme viscéral, de présenter des apparences creuses, des formes factices et le cas échéant d'enfermer la volonté populaire dans un dilemme cornélien savamment verrouillé. Quelle force politique au Bénin, à supposer qu'il en existe encore de libre et de réfractaires à l'achat de conscience, oserait renverser le président de l'Union Africaine même si le président du Bénin qu’il est méritait d'être balayé par la houle populaire ? C'est ainsi que Yayi Boni bénéficia d'un sursis d'au moins une année. Après qu'il descendit du trône intouchable du président de l'Union Africaine, on le vit longtemps parader dans son complet veston bleu turquoise, signe et atours de son éphémère rayonnement africain. Mais ce rayonnement et l'immunité qu'il induisait ne pouvaient être indéfiniment assurés par ces seuls oripeaux qui n'étaient que le rayonnement d'une étoile morte. C'est pour cela que Yayi Boni et ses experts en manipulation ‒ conseillers plus ou moins occultes, ethniques, nationaux et expatriés, sbires et hommes de main ‒ ont trouvé dans le thème providentiel de la révision de la constitution un os idéal à jeter au peuple affamé de vérité et de justice. Tel est le principe de l'agitation qui passionne le pays tout entier après que la veste bleue turquoise du président de l'Union Africaine a perdu de ses couleurs. Alors donc quel est le but de cette agitation demandons-nous ? Eh bien dans le pire des cas ‒ c’est-à-dire du point de vue de ses promoteurs et instigateurs ‒ cette agitation vise à assurer le culte de la personnalité de Yayi Boni. Puisqu'elle donne l'occasion à ses amis, comme à ceux qui n'en sont pas, de pérorer à longueur de journée dans les médias sur ce qu'il va faire, ses intentions, ces visées obscures ou claires. Pour Yayi Boni, un homme au moi démesuré, assoiffé de reconnaissance et d'existence, cette agitation est du pain égotique béni, puisqu'elle permet une légitimation ontologique tout à fait appréciable. Dans le meilleur des cas ‒ et toujours du point de vue des auteurs de cette agitation ‒ l'ambiance actuelle, à travers marches de soutien, achat de conscience, services religieux propitiatoires, opérations politiques, aboutira à une révision médiocre de la constitution, c'est-à-dire non qualitativement pertinente et surtout politiquement vicieuse en ce qu'elle se serait passée du critère sine qua non du consensus national. Cette révision ‒ et tel est son but final ‒permettra à M. Yayi, en excipant de l'avènement d'une nouvelle république, de se représenter une troisième fois et une quatrième fois à l'élection présidentielle. Et le plus pathétique de toute cette agitation réside dans cette situation où, le seul fait de se présenter à l'élection présidentielle signifierait pour M. Yayi Boni une élection de facto. Et si les Béninois sont à ce point à cran, c'est moins parce qu'ils auraient une idée de philosophie politique à faire valoir contre le bien-fondé de la révision en tant que telle que l'incapacité alarmante dans laquelle ils se trouvent ‒ et dont ils font par-là le troublant aveu ‒ d'empêcher un nouveau hold-up électoral de M. Yayi Boni ! Au-delà des fonctions de cette agitation qui, elles, concernent ses promoteurs, sa signification ultime et ce qu'il révèle, concernant le peuple Béninois, dans son incapacité à assumer ses responsabilités démocratiques face à l'émergence de la tyrannie.
Binason Avèkes
|
|
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.