Ahurissant ! L'Europe, France comprise, a peur de fâcher les USA dans l'affaire SNOWDEN. La trouille est si forte qu'on n'a pas craint d'infliger des avanies à un président, celui de la Bolivie, interdit d'entrée dans l'espace aérien européen, parce que soupçonné de faire passer en contrebande le jeune américain objecteur de conscience. Les États européens ont la trouille et respectent scrupuleusement le désir des États-Unis comme s’ils n'étaient que de vulgaires États de la fédération américaine, à l’instar de la Californie, l'Alabama, l’Illinois, le Massachusetts, le Wyoming, etc. C'est vraiment ahurissant cet abîme d'indignité dans lequel se trouve l'Europe, et qu'aucune rhétorique nationaliste ne peut plus masquer. Terrible de se rendre compte que l'Europe n'existe pas, et que sans doute, la différence entre l'Angleterre et la France sous ce rapport n'est qu'une différence éthique : il y en a un qui montre clairement ce qu'il est et un autre qui s'échine à le cacher : des chiens couchants du même maître américain. Mais d'un autre côté, il faut prendre en compte à la fois la conjoncture dans laquelle se trouve la France--pays frappé de plein fouet par la récession et qui traverse une crise dure--et la culture de l'État français sous le rapport de l’espionnage. Le système d'espionnage américain intitulé PRISM n'est pas une surprise pour les experts français de l'espionnage. La France, est-il révélé par le journal le Monde, qui consent enfin à faire son travail d'information audacieuse de l'opinion dans la foulée du SNOWDENGATE, la France, apprend-on, possède comme les États-Unis un dispositif d'espionnage systématique à grande échelle des télécommunications. La DGSE affirme le journal, collecterait par ce biais, systématiquement les signaux électroniques émis par les ordinateurs et les téléphones en France. La totalité des communications des Français--y compris le flux entre les Français et l'étranger -- est espionnée. Ce Big Brother est secret et échappe à tout contrôle. On comprend que, dans un tel contexte culturel, la France ne cherche pas trop à remuer le couteau dans ce qui n'est pas ressenti comme une plaie mais juste une simple égratignure entre camarades de jeu. En dépit du théâtre politique qui consiste à donner l'impression de monter sur ses grands chevaux, de l'Allemagne à la France en passant par les autres États moins importants, il ne faut pas confondre les postures diplomatiques et la volonté de s'arc-bouter sur les principes et sur les valeurs de respect de la dignité nationale entre alliés. Comment faire la leçon à son maître extérieur lorsque soi-même on fait la même chose à la maison ? Par les temps économiques qui courent, tout excès de zèle qui prendrait la forme d'un moralisme, d'un purisme diplomatique ou d'un nationalisme intransigeants risquerait de braquer les États-Unis qui, après tout, demeurent la force électromotrice de l'économie occidentale. D’éventuelles représailles américaines consécutives à une tension diplomatique née de cette affaire SNOWDEN ne feront que détériorer le climat des affaires et constitueraient une source d'aggravation de la crise économique dont le gouvernement Hollande a tout intérêt à faire l'économie. Car, se précipiter dans une tension diplomatique avec les États-Unis sur ce sujet, somme toute anodin, serait une erreur à la fois géopolitique et politique que l'opposition n'hésiterait pas à exploiter. La droite--et pas seulement l'extrême droite--s'est historiquement arrogée le monopole du nationalisme--même si au regard de l'histoire, celui-ci a montré sa capacité de dégénérescence ; tandis que la gauche--et pas seulement l'extrême gauche--est volontiers cataloguée d'internationaliste, c'est-à-dire in fine, que sa fibre nationaliste--hormis la frange dite républicaine représentée par les chevènementistes--n'est pas très développée. Et pourtant, malgré ces divisions du rapport à la nation, l'UMP, à travers ses ténors, n'a pas fait preuve d'une hargne particulière dans l'indignation à l'égard des agissements américains. Alain Juppé trouve la chose normale et ne s'en émeut pas outre mesure. Et les autres dirigeants de la droite n'ont pas eu des propos incendiaires contre les États-Unis, encore moins de ces grandes déclarations moralisantes, où l'indignation est trempée dans la vertu nationale bafouée. Entre understatement et euphémisme, le ton a été plutôt molletonneux. Personne ne veut fâcher le grand maître de céans du système économique occidental sinon mondial, surtout par les temps qui courent. Mais, de la à cette peur bleue de fâcher les États-Unis, y compris dans une erreur éventuelle qui faciliterait l'exfiltration du jeune lanceur d'alerte, il y a tout de même un petit pas qu'on n’aurait pas cru si ardemment franchissable par un pays comme la France. D'où la stupeur du Français moyen qui, sur ce sujet sacré de la dignité nationale, des valeurs et des principes de base de la démocratie et les droits de l'homme, se sent floué et manipulé. Mais la manipulation, dans cette affaire, est partout : en amont et en aval de l'éclatement de la bulle SNOWDENGATE. On la retrouve, cette manipulation jusque dans le rôle qu'y joue la presse. Par exemple, entre l'indignation des états européens chichement formulée à l'endroit des États-Unis, indignation qui attend une réponse tout aussi formelle, on voit s'y glisser la bonne volonté ou le sursaut investigateur d'un journal comme le Monde qui, sous forme de secret de polichinelle, annonce que la France en matière de PRISM n'est pas en reste. De deux choses l'une. Soit le journal le Monde connaissait cette information depuis belle lurette et, en tout patriotisme conformiste, a fait une rétention d'information ; soit cette information vient d'être bombardée par les services français ou américains dans le but de noyer le poisson, de relativiser la gravité des agissements américains. Ce qui est déjà une façon d'alléger aux Américains le fardeau de leur réponse diplomatique. Comme quoi, nous sommes pris dans un double PRISM : celui du Big Brother et du junior Brother…. Et l’Europe a moins peur du Big Brother que du Big Master…
Adenifuja Bolaji
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