Tout le monde sait que la corruption est une cause aggravante du sous-développement, dans la mesure où elle constitue un frein au développement. La force électromotrice de la corruption dans nos pays africains est à n'en pas douter l'impunité. Cette impunité est de deux sortes, qui correspondent aux deux types de corruption qui prennent en tenaille la vie socioéconomique et l'enfonce dans le sous-développement. Il y a la corruption ordinaire, celle des petites tractations sociales, la corruption de la vie courante, sur les marchés, dans nos villes et campagnes ; chaque fois qu'il faut avoir une autorisation ou un papier quelconque : en somme la corruption civile, administrative et économique ordinaire. Et puis, de l'autre côté, il y a la corruption d'État qui comprend aussi bien la corruption des hauts cadres de l'État, des grandes sociétés d'État que la corruption du Gouvernement, des Députés, des Ministres, des Présidents d'institution, et du Chef de l'État lui-même qui, en dernier ressort, est le premier responsable de l'État et de son fonctionnement. Ces deux types de corruption, si elles sont distinctes sociologiquement, elles ne sont pas logiquement et éthiquement indépendantes. Si le sommet de la société se livre frénétiquement à la corruption, cela constitue un appel d'air, une incitation et une légitimation de la corruption ordinaire au sein de la société. Et inversement, si ce n'est pas les gouvernements qui ont inventé la corruption--dans la mesure où son degré ou sa proportion varie d'une société à l'autre -- la corruption ordinaire ne peut être combattue, sans parler même de l'éradiquer, si la corruption d'État, celle des hauts cadres, des hommes politiques, du gouvernement et des ministres n'est pas combattue, criminalisée et punie avec la dernière rigueur. C'est dire que dans tous les cas, c'est dans la capacité de ne pas laisser impunie les délits et crimes de corruption--et la distinction ici entre crimes et délits est d'ordre moral ; ce qui veut dire que c'est moins le montant des sommes en jeu dans les actes criminels que le pouvoir dont disposent les corrompus ou corrupteurs dans la société en tant que leurs actes est un abus de ce pouvoir qui détermine la nature criminelle ou délictuelle de ceux-ci. Le problème avec nos pays africains sous-développés, proto-colonisés ou néo-colonisés c'est que la source de la corruption réside dans l'impunité. Or la problématique de l'impunité n'est pas seulement morale ou quelque chose touchant à la mentalité, mais elle est historique, politique et géopolitique. Elle découle de la représentation, de l'effectivité, de l'activité et de la légitimité de l'État. Avons-nous un État digne de ce nom ? Cet État a-t-il les moyens de ses buts ou de son existence ? Est-il mû par une volonté agissante ? Comment nous représentons-nous l'État ? Est-il quelque chose d'endogène ? Est-il une forme sui generis ? Est-il un héritage de l'extérieur et du passé ? Et cet extérieur ou ce passé, le cas échéant, a-t-il été questionné ? L’État fonctionne-t-il en phase avec nos mœurs et nos mentalités ? S'oppose-t-il à elles ? En attendant de répondre à ces questions fondamentales qui, comme on le voit, soulèvent beaucoup de non-dits ou de non-vouloir dire, une chose est certaine : l'origine coloniale de l'État affecte son fonctionnement, autant que l'effectivité de la légitimité politique de nos chefs d'État. Et c'est là qu’intervient le facteur causal de l'impunité qui fait le lit de la corruption. En fait, compte tenu de la réalité agissante de la conditionnalité néocoloniale de notre vie politique, ce n'est ni au nom de la volonté populaire, ni dans l'intérêt du peuple que l'État agit. L'État agit dans le cadre d'une répartition de rôles et de compétences qui fonctionne de telle sorte que loin que ce soit le peuple, à travers l'expression de sa souveraineté qui sanctionne le dirigeant suprême, la sanction de celui-ci est exogène et hétéronome. Ce n'est pas que nos dirigeants puissent tout se permettre ; ils ne sont pas aussi impunis ou invulnérables qu'on le croit. Mais ceux qui peuvent les punir sont à l'extérieur du peuple et de sa souveraineté exprimée ; et les raisons sur la base desquelles ils peuvent les punir ou les punissent effectivement le cas échéant sont extérieures sinon contraires aux intérêts du peuple. Le néo-colonisateur, qui est l'âme ultime du pouvoir politique sous nos cieux ne punit pas les dirigeants pour la corruption. Au contraire, le pacte qui le lie au dirigeant qu'il a imposé plus ou moins subrepticement sinon violemment est un pacte entièrement de corruption. Si la corruption fait florès au niveau de nos États, c'est parce que celui qui doit punir le chef d'État pour ses manquements, loin de considérer ses actes de corruption comme un casus belli entre lui et son protégé, in fine, considère celle-ci comme la matière première du pacte qui les unit. C'est pour cela que par exemple, en dépit de la gravité morale et politique des accusations de fraude au concours du Ministère de l’Economie et des Finances au Bénin, le Président de la République, qui est constitutionnellement le garant de la cohésion nationale, a opposé un mépris royal et une fin de non recevoir totale à cette affaire en considérant qu'il n'y avait pas péril en la demeure ou en tout cas pas de quoi fouetter un chat. Si intervenir, s'indigner, agir selon les règles de la rationalité légale pour rendre justice aux personnes lésées faisaient partie de son cahier de charges politiques selon les sources de la légitimité réelle de son pouvoir, et si son manquement à ce cahier de charges pourrait lui valoir des sanctions, il y a belle lurette qu'il aurait agi comme n'importe quel président d'un pays démocratique honnête agirait dans les mêmes conditions. En revanche, contrairement à ce qu'on croit, nos Présidents de République, nos soi-disant chefs d'État, ne sont pas aussi impunis et invulnérables qu'on le dit. Le sort qui a été réservé à un Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire prouve si besoin en est que nos chefs d'État ne sont pas impunis. Tout dépend de ce qu'ils ont fait ou de ce qu'ils n'ont pas fait. Certains même comme Thomas Sankara ou Patrice Lumumba, pour ne citer que ces deux cas, sont sanctionnées directement par la peine de mort. Donc le problème de la corruption qui gangrène l'Afrique et qui est l'une des sources de son sous-développement sinon la première, réside dans l'impunité consubstantielle à l'appareil d'État de nos pays. Comme on le dit, le poisson pourrit par la tête, et on ne peut s'attaquer à la corruption ordinaire, qui a lieu au cœur de la société si on ne jugule pas comme cela se doit la corruption qui fait florès au niveau de ceux qui dirigent la société, hommes politiques, députés, ministres et gouvernements. Or ceux-ci, vis-à-vis de la légitimité effective de leur pouvoir ne reçoivent pas leur sanction de la souveraineté exprimée du peuple mais à l'extérieur de celle-ci et souvent contrairement aux intérêts de celui-ci.
Adenifuja Bolaji
|
|
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.