L'ambition sans fard de Yayi Boni est d'utiliser la religion pour susciter la faveur du peuple, l’adhésion à sa personne, et à son règne. Pour ce faire, il s'appuie sur ses convictions et sa culture personnelles. Chrétien de la mouvance évangélique, il est entouré d'une nuée de pasteurs qui lui servent de directeurs de conscience. Il évolue dans ce monde--ce qui est son droit, mais ce qui l'est moins, c'est la bonne volonté contagieuse qui le pousse à assimiler la volonté collective du peuple à sa propre perception des rapports entre la raison et l'émotion. Car le fait que le peuple soit en grande partie analphabète ne veut pas dire qu’il est bête. Si la constitution reconnaît à chaque citoyen le droit d'avoir ses convictions religieuses, à aucun moment elle n’impartit à l'État de prendre part ou d'inciter les citoyens à l'expression de cette conviction. Au contraire, la laïcité de l'État signifie que celui-ci protège le droit des citoyens à la religion de leur choix. L'État est donc le garant de la liberté religieuse n'ont pas le maître de céans des pratiques religieuses. C'est cela que consacre la séparation de l'Église--de toutes les églises--et de l'État. Or M. Yayi méprise cette séparation. Il tient pour allant de soi le fait que tous les Béninois baignent dans le délire religieux. Et fort de ses convictions, fait montre d'un prosélytisme autoritaire pour le moins indécent. La méthode de ce prosélytisme consiste à recruter une armée de soi-disant religieux pour faire publiquement ses louanges, à travers des séances de prières fortement médiatisées auxquelles participent directement ou indirectement lui-même, ses ministres ou représentants politiques. Ces manifestations, pour être efficaces dans leur but, sont diffusées en boucle sur les chaînes de télévision et de radio du pays dont la quasi-totalité est à ses ordres. Ce qui montre que loin de l’idée de la foi, il s’agit d’un théâtre. Le religieux, le débordement émotionnel, le culte de l'irrationnel boutent dehors les principes fondamentaux de la constitution et prennent la place du droit à la raison, de la nécessité des lumières qui incite chaque citoyen à une attitude rationnelle face à la vie. Avec Yayi Boni, le parti pris de l'irrationalité émotionnelle incarnée d'une part par le culte de la personnalité et d'autre part par la référence permanente à la religion n'est pas nouveau. Sachant qu'en Afrique et au Bénin, en raison du déficit chronique d’instruction, l'envie et le besoin de croyance en Dieu sont forts, M. Yayi n'a pas hésité à vouloir exploiter l'ignorance de la grande masse du peuple. Il a conçu la manipulation des émotions sous le couvert de la religion comme un formidable support publicitaire à sa geste politique. A l’instar de la publicité classique qui utilise le sexe ou la séduction amoureuse pour suborner les esprits, la communication politique de M. Yayi a résolu d'utiliser la tromperie religieuse comme support publicitaire. Le but de cette option a varié selon les époques. En 2006, au lendemain de son élection plébiscite rétrospectivement douteuse, il jouait les enfants bénis de Dieu. Si l'inconnu qu'il était plus tôt a su s'imposer de si belle manière, c'est qu'il était bien l'élu de Dieu, dont il passait au Bénin pour l’envoyé providentiel. Maintes de ses déclarations et gestes de l'époque allèrent dans ce sens. Mais les excès théâtraux finirent par susciter des réactions à l'époque où existait encore en face de lui une volonté d'opposition politique, intellectuelle et sociale forte. Face à des voix critiques sur ses dérives M. Yayi Boni a compris qu'il devait y aller avec modération. C'est dans le cadre de cette modération qu'il a sournoisement mis tout le monde d'accord à travers des gestes comme la désignation de l'Aéroport de Cadjehoun du nom d'un Cardinal béninois célèbre, comme si cette décision qui n'a fait l'objet d'aucune consultation publique allait de soi en démocratie dans un état laïc ; comme si le fait qu'il s'agissait d'un cardinal de la curie romaine était une raison indiscutable de l'adhésion collective du peuple, y compris des athées, et des fidèles des autres cultes. Mais cette modération n'était que tactique et en trompe-l'œil. Si le support religieux devrait être un atout de taille dans sa volonté de soumettre le peuple corps et âme, il fallait d'abord endormir les voix intellectuelles et politiques qui se faisaient entendre aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du Bénin. Entre 2006 et mars 2011, tout en continuant en demi-teinte à jouer les Messies, à mélanger allègrement l'Église et l'État, Yayi Boni veillait à ce que ce mélange bestial ne fît pas trop de vagues. Le temps de chloroformer les consciences rétives. L'option dominante de la bancarisation de la vie publique qui a culminé avec son holdup électoral-- belle opération bancaire de multi-achat de conscience--a désormais balisé le terrain. C'est dans ce désert de conscience et de réactions politiques que M. Yayi enfourche à nouveau le cheval de la manipulation des émotions religieuses au lendemain de sa reprise du pouvoir placée sous le signe de la refondation. Des petits trots hésitants du premier mandat, il est passé au galop, a organisé son mode opératoire en densifiant sa forme et son contenu. Loin des marches de soutien d’antan, l’époque actuelle est à la ferveur religieuse, à l’animation animiste, aux prières en faveur du chef de l'État. Ces prières ont trouvé comme justification idéale les affaires d'empoisonnement et de coup d'état qui empoisonnent la vie publique et l’image du Bénin ; elles confèrent à Yayi Boni la figure christique de la victime contre laquelle s'acharnent les mécréants inspirés par l'Antéchrist. Ainsi le peuple qui croit en Dieu est invité à prendre le parti de celui qui se sacrifie pour la multitude. Ces symboles religieux qui dominent la communication politique de M. Yayi ainsi que les images qui l’étayent ne doivent pas laisser croire que la manipulation est seulement religieuse ou que le religieux se confond avec le seul imaginaire chrétien. La manipulation est aussi sociopolitique et s’appuie pour ce faire sur le contrôle social débonnaire d’un dense réseau de têtes couronnées. En matière de religion, Yayi Boni ratisse large. Sa horde de manipulateurs compte aussi bien les pasteurs évangéliques du premier cercle que les adeptes de culte vaudou, les têtes couronnées, pour leur contrôle social et bien entendu les adeptes des autres religions du Livre comme les protestants, les catholiques et les musulmans, sans oublier les chrétiens du cru que sont les gbigbowiwé. La raison de ce syncrétisme effarant et contre nature ? Elle est simple : c'est l'argent ! Car la mise à disposition du gisement émotionnel de la religion a un coût ; et nos pasteurs, et prêtres de toutes obédiences, nos imams et autres roitelets des terroirs, etc. ne se plaignent pas et se donnent avec d'autant plus de passion et de dévouement que le banquier président assure rubis sur l’ongle. Pourquoi Yayi Boni fait-il le choix d'arriérer collectivement son peuple au lieu de le mettre sur la voie du progrès et des lumières ? La question ne manque pas de sens et est la première qui vient à l'esprit de tout citoyen qui aime l'Afrique et veut son bien. Quand on observe la marche de l'histoire de l'humanité, on se rend à l’évidence de ce que religion et politique ont longtemps été indissociables, que ce soit sous la forme d'une théologie civile dans l'Antiquité gréco-romaine ou sous celle de l'augustinisme politique dans le Moyen Âge chrétien : immanentes l'une à l'autre ou dans un rapport de subordination, les sphères politique et religieuse semblaient inextricablement nouées. Mais ce lien étroit a petit à petit été défait, consacré par l’idée d'un État souverain débarrassé de toute tutelle théologique. D’un point de vue intellectuel, des philosophes comme Machiavel, Hobbes et Spinoza, chacun à sa manière, ont contribué à éclairer et théoriser ce mouvement. Comme l'a montré Émile Durkheim, la religion elle-même est partie d'une nébuleuse indissociée vers une forme très organique consacrée par la théologie. De même, le rapport entre la religion et la politique a suivi la même voie de rationalisation. De la domination politique par le religieux on est passé progressivement à la séparation de l'Église et de l'État. Dans la plupart des pays développés, c'est ainsi qu'est allé le cours de la vie sociopolitique, consacré par les constitutions. Machiavel lui-même ne concevait de la religion chrétienne et de la religion en général qu'un usage de manipulation de conscience, loin d'un principe de progrès qu’il lui déniait avec virulence. Or M. Yayi Boni arrive au pouvoir auréolé du titre de Docteur, fait le choix de plonger son peuple déjà arriéré dans les ténèbres où l'émotion est reine, et la raison esclave ou inexistante. Ce choix est un choix incongru, paradoxal et pour tout dire irresponsable. Il s'agit aussi d'une forme de corruption que l'on peut comprendre dans un double sens. Dans un premier temps, le parti pris de la manipulation des émotions religieuses d'un peuple pas très instruit et pour la plupart analphabète, est au sens propre du terme une corruption morale. C'est comme si vous voyez un aveugle dans un marécage et vous l'y enfoncez davantage en le guidant au cœur du marais.
Dans un deuxième temps, cette manipulation vise à consolider une organisation corrompue, à éterniser les avantages indûment acquis de ceux qui y font recours, et enfin très prochainement, à préparer les esprits endormis à accepter la nécessité apodictique de la reconduction au pouvoir bénie par Dieu de Yayi Boni lui-même béni par Dieu. Ainsi, une autre légitimité, celle de la passion et de l’émotion se substitue à la légitimité démocratique. La Bible, le Coran ou les incantations des charlatans à têtes couronnées se substituent à la constitution du peuple. C'est à cela que préparent M. Yayi et sa horde bigarrée de pseudo-religieux de tout poil qui ont pion sur rue et qui, à la faveur de la monopolisation des médias--notamment de l’ORTB--se livrent à leur théâtre de manipulation sous couvert de religion.
Ce genre d'utilisation de la religion à des fins politiques n'est pas sans rappeler les déviances des fondamentalistes musulmans et leurs sectes terroristes, comme c'est le cas du groupe Boko Haram qui sévit actuellement au Nigéria. Les terroristes fondamentalistes sont des gens qui sèment la violence aveugle et la mort au nom de la religion ; mais à la vérité, ils n’ont aucun rapport avec la religion ni avec Dieu. La seule différence entre ces fondamentalistes terroristes et ce qui se passe au Bénin est que les uns sont au pouvoir et les autres dans le maquis. En effet, au nom de la religion, on commet des exactions,-- là-bas on détourne les les vies innocentes de leur existence terrestre, ici l'argent public et les médias--mais dans tous les cas ont induit la masse aveugle dans le mensonge et l'obscurantisme, dans le seul intérêt des manipulateurs. La manipulation des émotions religieuses à des fins politiques est donc en soi une corruption. En effet, comme la corruption, elle freine le développement économique du pays dans la mesure où Dieu, même s'il a créé l'homme, a marqué qu'il fallait tenir sa créature responsable de son devenir. D’où tous les millénaires au cours desquels il a laissé l’homme aller à son rythme de balbutiement en balbutiement. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » dis le commandement. Or, en substituant le délire religieux et le règne de l'émotion à l'exigence de lumière, Yayi Boni et ses acolytes ne contribuent en rien à créer les conditions du progrès moral et matériel au Bénin. Pas étonnant que nous produisions moins le coton, et que l'économie soit en berne depuis plusieurs années ; pas étonnant que le peuple ait faim, que la misère s’enracine ; pas étonnant que l'école soit en lambeaux et sans boussole ; pas étonnant que le pays ainsi plongé dans l'obscurité du délire religieux soit aussi souvent dans l'obscurité des pannes électriques ; pas étonnant que le Bénin, un pays qui rêvait d’émergence soit aujourd’hui la lanterne rouge de l'espace UMOA. La corruption économique classique a au moins l'excuse d'un gain immédiat, perçu comme compulsif. Celui qui est dans une caverne d'Ali Baba finit par se remplir les poches. Mais le choix de la corruption religieuse n'a rien de compulsif ; il est l'œuvre délibérément diabolique d'une volonté qui considère que pour le bon plaisir du prince, pour la puissance et ses lubies et les lubies de sa puissance, le chemin du développement sous-tendu par les lumières peut toujours attendre. Mais attendre jusqu’à quand lorsqu’on sait que l’exemple risque d’être réitéré ? La religion est l’opium du peuple a dit Marx mais le même Marx a théorisé sur les limites de son efficacité face à l’histoire. A force de l’en gaver pour mieux l’endormir, le peuple finit par en être saturé et du sommeil, bascule dans un sursaut de conscience inespéré. Sursaut inespéré des manipulateurs mais inscrits en lettres d’or dans les annales de l’histoire. Ecoutons Bob Marley : On peut tromper un homme quelque temps, mais on ne peut tromper tous les hommes tout le temps…
Adenifuja Bolaji
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