En yoruba, le mot fàáji veut dire plaisir, joie, bonheur. Il semble qu'il correspond bien à la conception de nos hommes politiques. Nous disons bien conception et pas seulement mentalité ni culture. En effet, le parti pris hédoniste de nos hommes politiques est patent. Lorsqu'il éclate dans les affaires de corruption, on se dit qu'il s'agit d'un accident. Même lorsque, comme c'est le cas sous le régime de Yayi Boni, il s'agit d'une grêle de scandales qui s'abattent en continu sur le pays, depuis le sommet de l'État. Même lorsqu'un régime comme celui-là, censé nous faire oublier la médiocrité corrompue et impunie d'antan en arrive presque, sous le même rapport, à nous faire regretter l'époque de Kérékou. On n'est jamais vraiment convaincu que cette vie dure de la corruption exprime en vérité le parti pris hédoniste de nos hommes politiques. Sans oublier que rien ne nous dit que le nombre d'affaires étalées sur la place publique n’est peut-être et sûrement que le petit bout d'un iceberg de crimes, de larcins, de magouilles, de rapines tous plus écœurants les uns que les autres. On a beau se raisonner sur la signification de la récurrence sinon de la recrudescence entêtée de la corruption parmi le personnel politique au sommet—ô comble de l’infamie de la part de ceux-là même qui devaient donner le bon exemple !—, on a beau se révolter aussi, on échoue à en tirer cette conclusion philosophique évidente : la corruption est le reflet du parti pris hédoniste de nos dirigeants. Mais peut-être en renversant la perspective, on arriverait à se persuader un peu mieux. Concentrer par exemple le tir sur les agissements du chef de l'État, Yayi Boni, et peut-être comprendrait-on mieux cette vérité. Tout le monde sait le credo de Yayi Boni en ce qui concerne les turpitudes de son entourage : il n'est jamais au courant. Et, la main sur le coeur, il peut exprimer sa désapprobation en « démissionnant » le bouc émissaire. De telle sorte que sous M. Yayi, quelle que soit la quantité de milliards que vous avez volée, si vous êtes prêts à vous faire « démissionner », vous pouvez emporter votre butin dans le paradis fiscal de vos rêves les plus fous et un jouir comme bon vous semble car vous aurez payé de votre « démission ». Cette façon subtile de noyer le poisson ne ressemble-t-elle pas à une collusion objective entre compères en fàáji ? On ne poussera pas la malice jusqu'à demander quel pourcentage le maître des grâces débonnaires réclame sur le montant des nombreuses rapines dont les coupables sont soustraits à la justice par la vraie fausse sanction autoritaire du prince. Même évalué à 1 %, et à l'échelle de la noria de crimes économiques impunis depuis 2006, vous voyez que l'homme n'a plus besoin de son salaire--lui qui prétend n'en avoir pas. En tout cas, avec ou sans salaire, la richesse est au coin du bois. Et qui dit richesse, dit aussi et surtout fàáji, petit bonheur égoïste, bon plaisir. Bref nous sommes en plein dans la version tropicalisée du jardin d’Épicure, avec la pensée en moins. Mais, là où l'exemple de Yayi Boni nous renseigne sur le parti pris hédoniste de nos hommes politiques ne touche pas directement à la corruption, du moins pas dans sa forme active. Considérer par exemple un fait marquant et indéniable comme les voyages présidentiels. Avouer qu'ils sont quand même un peu nombreux. Ils s'effectuent à une cadence folle. Yayi Boni ne déteste pas les avions, les hôtels des grandes villes du monde, les tapis rouge, le fait d'être tenu pour un président de la république ( et cette république fût-elle bananière), il pousse la naïveté jusqu'à prendre au premier degré le fait formel d’être les pairs des présidents chinois, français, américain, etc.--puisqu'ils sont présidents comme lui. Sauf que l'un peut voyager en Air Force One, et l'autre obligé d'affréter des avions aux frais de qui ? De vous et de moi, bien sûr ! Et surtout en tirant sur les deux mamelles de l'économie du Bénin : le coton et le port autonome de Cotonou. Deux mamelles, au demeurant mal gérées, devenues maigrichonnes. Mais peu lui chaut, à notre président-touriste qui aime les avions--ça le rapproche de Dieu, son confrère et ami--les nouvelles ambiances grisantes, le dépaysement, le fait d'aller jouer les présidents, les hôtels à n-étoiles, les belles ambiances, les tapis rouges, les descentes d’avion, et sans doute de galants rendez-vous en marge des officialités. Mais quel est le sens de cette diplomatie fondée sur le voyage permanent ? Comme si M. Yayi était un satellite élu pour tourner en permanence autour de la terre, aux frais des contribuables béninois, de cotonculteurs ruinés, aux frais d'un pays sans électricité continue, sans eau potable, sans école digne de ce nom, sans hôpitaux qui ne soient pas des mouroirs… Quelle est cette nécessité que le président saute sur toutes les occasions de s'envoyer en l'air, aller jouer les présidents ailleurs pour un oui ou pour un non, au mépris de la division du travail gouvernemental où la diversité des acteurs correspond à une diversité coordonnée de compétences ? Un petit pays très pauvre comme le Bénin a-t-il réellement les moyens de payer plus de cinq voyages présidentiels annuels à son président de la république ? La réponse est évidemment non ! Le Bénin doit-il être néanmoins poreux à toutes les influences du monde, au contact de ce qui s'y fait, s’y pense et s’y échange pour le progrès de son peuple ? La réponse sans hésiter est oui ! Mais est-il bon que des missions qu’un directeur adjoint du ministère des affaires étrangères peut accomplir soient prises en charge d’autorité par le président de la république parce que ça lui offre l'occasion de voyager ? Bien sûr que non ! Or comment justifier que Yayi Boni se permette d'être en voyage permanent avec de temps en temps quelques brèves escales au Bénin ? Parce que l'homme aime ça ! Il en est friand, c'est quasiment pour lui un médicament. Et il n'hésite pas à y engloutir les milliards, les maigres ressources du pays dans cette transe incessante de voyages présidentiels que rien ne justifie ; transe drapée dans les atours discrétionnaires et régaliens du chef de l'État. Derrière le paravent occulte et mystificateur du privilège régalien du chef de l'État, et du mythe de l’activisme diplomatique se profile le parti pris hédoniste ! Quand le chef d'État d'un des pays les plus pauvres de la planète se paye son hobby sur le dos du peuple ; quand le chef de l'État d'un des pays les plus pauvres de la planète, qui en raison même de cela ne devrait pas faire plus de cinq voyages présidentiels par an aux frais de l'État en fait 50, alors nous sommes dans le parti pris hédoniste. Cela paraît un peu plus clair que la corruption active. Dans une éthique de rigueur, d'abnégation, et de conscience élevée pour la libération du pays, son émergence et sa dignité, le slogan de nos hommes politiques, à commencer par le premier d’entre tous aurait dû être : « la politique ou le fàáji ! » Mais au Bénin depuis 2006 pour Yayi Boni c'est tout le contraire : « la politique c'est le faaji ! »
Adenifuja Bolaji
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Bonsoir Afolabi,
J'ai utilisé le mot, non seulement en fonction de la compréhension que j'en avais, mais surtout sous le contrôle d'un dictionnaire que je considère comme sérieux, sinon de référence. Il s'agit du Modern Pratical Dictionary Yoruba English de Kayode J. Fakinlede, Hippocrene Books, Inc, New York, 2011
Dans ce dictionnaire le mot fàaji est défini en anglais comme suit : pleasure, fun, enjoyement ; lati se fàaji ( faire le fàaji) = to have fun...
C'est sur ce sens que je me suis appuyé, et j'ai bien précisé qu'il s'agissait du yoruba, et non une quelconque de ces nombreuses variantes, dont les différents parlers nago du Bénin. Il est vrai aussi que sous le terme yoruba, surtout quand on passe du Nigeria que je considère comme le pays de référence, au Bénin, la langue n'est plus dans le même état linguistique, lexical, pragmatique et culturel. Il y a bien sûr plusieurs raisons à cela dont le désastre de notre conditionnement francophone, par rapport à l'autonomie anglophone n'est pas la moindre. Enfin, il semble bien, comme vous le suggérez, que le mot fàaji soit un emprunt sahélien. L'un des dynamismes historiques, culturels et géographiques du Yoruba est sa capacité à faire le lien entre des espaces culturels et géographiques souvent opposés à tort ou à raison.
Merci pour votre réaction, qui traduit votre intérêt.
BA
Rédigé par : B.A. | 12 février 2013 à 21:50
Je ne suis pas sûr que "faaji" ait en yoruba les sens que vous lui donnez. Peut-être que je les ignorais. Le seul sens que je lui connais c'est : causerie, palabre pour "tuer le temps". L'origine de ce mot ne serait aussi peut-être pas yoruba; ce serait d'une langue du sahel, le haousa ou le jerma.
Merci pour la compréhension et pour les recherches afin de lever les doutes et être bien renseigné.
Afolabi
Rédigé par : Bi.A. | 12 février 2013 à 21:48
Pour mesurer l'excès des voyages présidentiels, et leur détournement à des fins de convenance personnelle -- ce qui justifie la critique de diplomatie touristique -- il existe un critère simple et plausible : le nombre de chefs d’État qui ont rendu visite au Bénin depuis 2006 ! Étant donné qu'il y a environ 150 autres homologues de Yayi Boni dans le monde, si ses voyages à l'extérieur se plaçaient strictement au niveau de ceux-ci, on devrait s'attendre à un taux normal de réponse équivalente de leur part. Or à la vérité, le nombre de Chefs d’État qui ont rendu la pareille au Bénin depuis 2006, se compte sur les doigts d'une main. En dehors d'une escale de Bush, et d'un voyage du Pape, on doit à la vérité de reconnaître qu'ils ne sont pas légion le nombre de chefs d’État -- surtout hors Afrique, cette zone de prédilection que hante Yayi Boni dans ses pérégrinations -- à avoir rendu visite à notre pays. Cela prouve que Yayi Boni abuse de sa position pour se taper tout ce qu'il y a comme voyages officiels. Alors que la plupart de ces voyages peuvent être gérés, assumés ou pris en charge par des DG de Ministères, des Ministres selon leur domaine, et enfin le soi-disant Premier Ministre nommé en infraction à la Constitution. Évidemment si ces voyages hors du pays avaient quelque chose d'infernal, sans gratification, et étaient vraiment sans intérêt personnel, leur gestion centralisée et la part léonine qu'y prend Monsieur Yayi n'auraient pas lieu d'être ! On aurait trouvé de bonnes raisons d'y obliger chacun, comme une corvée... Mais las, il ne s'agit pas d'une corvée mais d'une sinécure, une chose que Yayi Boni adore, qui lui permet de montrer sa tronche de président à l'extérieur, de dresser chaque jour que Dieu a fait son tableau de chasse de grand voyageur présidentiel.... Du coup, place au Président ! Imbécile !
Rédigé par : Banuso | 12 février 2013 à 13:05