Durant la période de la guerre froide, la France s'est évertuée à soutenir des autocrates pour continuer sa domination néocoloniale des anciennes colonies. Après la guerre froide, et surtout après les crises économiques qui ont secoué l'Afrique, au nom de la rationalisation des pratiques et des politiques, les occidentaux, après avoir abusé du règne des autocrates, ont retrouvé les vertus du démocratisme. La figure de l'homme politique idéal est devenue celle de l'économiste qui a fait ses classes et preuves dans les organisations spécialisées avec lesquelles ils dictent leurs volontés économiques et financières au monde : le FMI, la Banque Mondiale, etc... Le passage des nouveaux dirigeants par ces institutions et leur adoubement par les milieux néocoloniaux étaient censés assurer à leurs maîtres occidentaux la domination rationnelle de l'Afrique. Il s'agissait de continuer l'ancienne régence d'exploitation tenue jusque-là par les autocrates inamovibles, père de la nation, timonier national, grand camarade de lutte, chef du parti unique… Mais les Africains ayant pris à la lettre le mot d'ordre de démocratie se verront très vite éliminés. Si l'ère nouvelle offrait l'occasion aux états africains d'avoir, comme ce fut le cas dans les années 60 avec les Patrice Lumumba et les Kwame Nkrumah et d'autres, des hommes intègres et éclairés par la lueur de la connaissance, il n'était pas question que cette lueur fût de la même trempe radicale et intègre que celle de leurs aînés. C'est la raison pour laquelle, très vite, un certain nombre de nouveaux dirigeants ont été éliminés sans pitié ou balayés : au Bénin où Soglo est très vite perçu comme arrogant, au Congo où Pascal Lissouba, docteur en physique, a eu l'impertinence de suggérer que d'autres sociétés pétrolières qu’Elf-Aquitaine pouvaient exploiter le pétrole du sol de ses ancêtres ; en Côte d'Ivoire où Gbagbo, l'historien, s'est révélé dur à cuire et tentait, malgré de belles concessions faites au système français, de veiller un tant soit peu à l'intérêt des siens et à l'indépendance progressive de son peuple. C'est face à toutes ces évolutions menaçantes que la France est passée à la vitesse supérieure : il ne s'agissait plus d'injecter de la rationalité aveugle dans la direction des états en substituant l'homme instruit à la figure de l'autocrate analphabète, borné, mais il fallait assurer que le nouvel homme rationnel fût issu du moule des intérêts occidentaux et conditionné comme tel. C'est ainsi que pour veiller à cet ajustement politique, une série de conflits ont été provoquées qui permettaient à la France de « voler au secours » des régimes, d’installer leurs hommes, de remplacer les pères par les fils lorsque cela était possible. Aussi pour calmer l'ardeur de la nouvelle génération d'hommes instruits et déterminés qui firent leur apparition dans la sphère politique en tant qu'homme du peuple au sens noble du terme, la France, gendarme sourcilleux de l'Afrique, a décidé de reprendre la main. Deux options furent prises à cet égard. Comme il n'était pas possible d'assurer que les hommes politiques africains de haut niveau soient tous sortis du moule des institutions internationales par lesquelles elle les tient en laisse, la première option a été de peser pour que le renouvèlement générationnel du personnel politique soit héréditaire. Le fils instruit remplaçant le père borné et à demi analphabète... Cette manipulation de la mobilité générationnelle a bien réussi au Togo, au Gabon et au Congo, même si dans ce dernier cas l'adoubement du fils a servi de masque à l'élimination du père. Sur tout le continent africain, hormis les monarchies, cette aberration démocratique n'a été possible que dans des pays francophones, et ce n'est pas par hasard ! La manipulation de la mobilité générationnelle au sein de la même famille régnante est un trompe-l’œil de l'évolution sociologique du nouveau dirigeant qui conserve le statu quo ante de serviteur et d'homme de main du système néocolonial. L'autre option a été la création de toutes pièces ou la résurrection de conflits ethniques ou personnels entraînant des guerres qui donnaient l'occasion à la France pour une raison ou une autre de « voler au secours » de l'une des parties en conflit, au mépris de l'indépendance des États et des intérêts des peuples eux-mêmes. En somme cette option s'apparente à la ruse du pyromane pompier. C'est par cette technique que Pascal Lissouba au Congo a été remplacé par son « ennemi » Denis Sassou Nguesso qui, comme par miracle, bénéficie depuis lors d'une longévité politique tout à fait exceptionnelle malgré les crimes divers qu'il a commis. Cet état de choses n'a rien de surprenant : sur le continent africain, et notamment dans la zone francophone, les régimes asservis à la France bénéficient d'une longévité miraculeuse et d’une paix à nulle autre pareille. Tout le contraire des régimes où un chef instruit et intègre, éclairé et volontaire cherche désespérément quoique légitimement à faire entendre la voix de son peuple. Au Burkina Faso, la longévité politique de Blaise Compaoré contraste avec la brièveté du règne de Thomas Sankara, vite éliminé ; au Togo de Gnassingbé fils, tout a l'air d'aller pour le mieux, la paix règne. En Côte d'Ivoire, depuis que Gbagbo a été éliminé tout baigne, plus de bruit de bottes, la Côte d'Ivoire rivalise de paix avec le pays du matin calme. Tout cela montre que la France est souvent politiquement et militairement derrière les conflits qui éclatent ici et là en Afrique, et ces conflits sont téléologiques car ils visent la reprise en main du pouvoir alors que le peuple espérait la démocratie et qu'en son sein parvenaient à émerger des hommes déterminés et intègres, éclairés et volontaires capables de le guider mais qui malheureusement sont systématiquement éliminées, politiquement et/ou biologiquement. Au Mali, la guerre qui se déroule actuellement n'est pas tout à fait étrangère à cette option. Comme l’écrit Gilles Kouessi dans son article sur l'état moral de l'Afrique, en rapport avec cette guerre, la guerre du Mali est une conséquence de l'élimination du colonel Kadhafi. Selon notre confrère, un deal aurait été passé avec les combattants Touaregs de l'armée de Kadhafi, aux termes duquel, liberté et vie bonne leur aurait été promise contre grève du zèle afin de hâter la chute du colonel empêcheur de piller en rond le pétrole libyen. Les occidentaux, au premier rang desquels la France, très actifs sur le dossier libyen, auraient donc sciemment laissé partir tous les combattants Touaregs se fondre dans les sables du désert malien et nigérien. Profitant d'une faiblesse de l'État malien et d'une antériorité de revendications autonomistes, ils résolurent de créer leur État et ce en comptant sur les armes et les moyens logistiques qui leur avaient été concédés par les futurs vainqueurs occidentaux. Dès lors, le conflit malien était prévisible, et il ne serait même pas exagéré de dire qu'il avait été prévu par la France qui, aujourd'hui, « vole au secours » du Mali. Cette action est donc à placer au compte de ce que nous appelons le type de guerre hypothécaire. Le but de telles guerres, qui sont souvent provoquées est de sceller la dépendance politique des États prétendument sauvés par l'Occident. Les guerres menées, loin d'être un geste gracieux de la part du sauveur sont, in fine, entièrement financées par le pays concerné. Ainsi ce sont les peuples de l'Irak et de la Libye qui paient aujourd'hui les guerres dites de libération de ces pays, alors que l'initiative en a été prise par les occidentaux sans demander leur avis. Il en sera malheureusement de même pour le Mali. La libération de son territoire par ceux-là mêmes qui ont objectivement contribué à son envahissement aura pour première conséquence la soumission politique de ce pays et de ses dirigeants à la France. Et cette soumission politique implique diktat économique, exploitation des ressources ( notamment minières et pétrolières) et domination humaine. Pour combien de temps ? Dieu seul le sait !
Plus que jamais, le mot d'ordre de Kwame Nkrumah sur l'unité de l'Afrique est le seul bouclier contre les guerres hypothécaires qui ne visent qu’une chose : enfermer l’Afrique dans le piège contractuel d’une dépendance permanente
Adenifuja Bolaji
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