Quand j’étais petit, à Porto-Novo, les gens qui n’avaient ni poids ni valeur, lorsqu’ils se piquaient d’imiter les gens de poids et de valeur, étaient tournés en dérision et on les appelait « Mitoyémè ». Ce qui voulait dire faire le figurant. Ce mot s’appliquant aussi aux petits lorsqu’ils voulaient imiter les grandes personnes. Maintenant, en y réfléchissant, ce mot correspond à l’Afrique dans sa façon d’être au monde ou sur la scène du monde. En effet, puisque le concept vient du Bénin, il y a quelque chose d'étonnant en Afrique que le Bénin illustre parfaitement et qui semble presque consubstantiel à la destinée de notre race. C'est le fait que nous voulions faire comme tout le monde, par exemple dans l'utilisation des technologies nouvelles, mais nous ne nous en donnons pas les moyens. Nous mettons en place des semblants de systèmes censés fournir ou satisfaire ces besoins mais il est difficile de comprendre qu'ils ne marchent pas comme cela se doit et nous nous satisfaisons de cet état parodique des choses, couci, couça. Depuis des décennies, le courant électrique ne fonctionne pas comme il faut chez nous, les pannes, coupures et autres délestages sont monnaies courantes. Mais nous dirons au monde et à nous-mêmes que nous possédons l'électricité. Le téléphone portable est-il apparu, eh bien nous allons-nous aussi nous y essayer. Mais dans la pratique, on a du mal à relier de façon constante et correcte deux correspondants situés dans des zones qui ne sont pourtant pas si éloignées que cela. Sans parler de ceux qui tentent de nous joindre ou que nous tentons de joindre dans des régions ou des pays éloignés. C'est la croix et la bannière pour communiquer avec une qualité d'écoute et de permanence satisfaisante. On parle de réseau, excuse que tout le monde a à la bouche. Et comme dans le cas de l’électricité, ce type de problème peut durer des heures, voire des jours. N'empêche, nous dirons que nous sommes un pays où existe, comme partout ailleurs dans le monde, le téléphone portable. Quand on arrive à l'Internet, nous disons de même que nous l'avons chez nous ; pour se pavaner, nos hommes politiques parleront de NTIC ; d'autres, utilisant les mêmes phraséologies qui s'utilisent dans les pays développés, parleront de « fracture numérique » et s’en gargariseront à longueur de discours, toute grandiloquence qui ne sert qu'à masquer notre indigence et le caractère parodique de nos systèmes sans flux, sans portée ni impact réel. Ainsi la connexion du Bénin est aléatoire, épisodique, lente et d'une qualité médiocre. Les systèmes tiennent plus du bricolage qu'autre chose. Là aussi, la pauvre qualité et les sautes d'humeur de la connectivité sont mises sur le compte du réseau : toujours le réseau ! Et pourtant dans les pays que nous imitons, les gens ont aussi des réseaux mais les réseaux qui marchent.
Le problème semble avoir son origine dans notre approche du réel. Il semble que nous soyons toujours influencés par la conception magique qui imprègne notre culture et notre représentation du réel. Celle-ci nous porte à penser que l'on peut avoir un résultat même lorsqu'on n’a pas assuré ou ordonné les moyens ou les causes. Comme si nous nous attendions à sortir un lapin du chapeau. Nous nous contentons de sensibleries et de superficialités, et nous pensons que Dieu ou une force magique assurerait le bon fonctionnement des choses que nous n'avons ni assuré ni ordonné à cet effet. Il est vrai que notre situation passée et présente de peuples aliénés et colonisés, où, même jusqu'à nos élites doivent prendre leurs ordres de maîtres étrangers, n'y aide pas. Car comment voulez-vous avoir la culture de l'autonomie conditionnelle en toute chose et de l'efficacité en toute entreprise lorsqu'en la moindre chose il nous paraît naturel d'attendre l'intervention des autres. Cette passivité et cet attentisme dans l'intervention exogène ne sont-ils pas illustrés par ce qui se passe au Mali actuellement ? Mais il y a aussi notre paresse et notre penchant à la facilité, refus de l'effort qui rend raison de notre irrationalité. Par exemple, nous semblons tellement avoir donné notre démission dans notre part dans la transformation technologique du monde que nous considérons normal que tout ce que nous utilisons de technologique nous vienne d'autres cieux plus habilités à les produire. Dans cet état d'esprit nous nous concevons comme d'éternels consommateurs, et cette situation nous paraît naturelle. Ainsi, nous ne faisons aucun effort sur nous pour tenter d'entrer dans le jeu de l'autonomie technologique. Surtout si cet effort demande des sacrifices et la résistance aux mirages du présent. Les Asiatiques n'avaient pas été les premiers à avoir inventé les autos et les motos. Mais peu à peu ils sont entrés dans la danse et sont pour certains devenus des maîtres en la matière. Ils nous inondent de leurs productions dont nous nous contentons joyeusement comme de petits enfants qui reçoivent les jouets sans savoir d’où ils viennent et comment on les fait. Les Chinois, au lieu de se laisser-aller à l'esclavage consumériste de la production exogène des automobiles ont pendant des décennies développé l'utilisation massive de la bicyclette qu'ils pouvaient fabriquer eux-mêmes ; ils ont pris cet effort sur eux et se sont contraints à utiliser l'automobile dans une stricte mesure de nécessité. Et ce n'est que tard dans les années 90 que commence à naître la production massive de voitures individuelles. Mais le Nègre ne se pose pas ces questions. Il n'a pas cette exigence ; pour lui le monde est beau, le monde est comme il faut. Chacun y est à sa place. Il est prêt à vendre le sol et le sous-sol de son pays, hypothéquer l'avenir des générations futures pour obtenir des pacotilles venues de France ou même des voitures neuves dont ni son pays, ni son continent ne sont capables de concevoir un processus autonome de production. Ce mimétisme superficiel des autres serait simplement risible s’il n’était lourd de dangers. Non seulement pour ses effets directs de dépendance vis-à-vis des autres mais dans l'hypothèque qu'il fait peser sur les générations à venir. Ce mal a ses racines dans notre histoire et dans nos mentalités. Nous végétons dans l'apparence et ne savons ou ne voulons rien obtenir de notre organisation constante. Nos velléités d’organisation ne durent que ce que durent les feux de paille. Nous ne pensons pas qu'il faut de l'effort, de la volonté, de l'organisation de la constance pour obtenir ce que nous voulons. Bref notre façon de faire, notre esprit jure avec les principes de la rationalité. Contrairement à ce que disait un philosophe allemand, Hegel pour ne pas le nommer, notre réel est irrationnel et notre rationnel et irréel c'est-à-dire ailleurs. Pendant combien de temps l'Afrique continuera-t-elle à s'infliger ce spectacle de désordre ? Notre situation n'est pas simple, certes. Car nous avons du mal à conjuguer les contraintes du présent et les nécessités du futur. Tout ceci dans un monde où notre vulnérabilité acquise et héritée de l'histoire nous expose à toutes sortes de stimuli et d'aliénation. Ce désordre dans lequel nous tournoyons n'est pas de notre seul fait mais, si seulement déjà l'Afrique commençait à donner la priorité, et faire place à ceux de ses fils et filles qui peuvent, et qui sont en mesure de penser en son nom et en son avenir pour assurer la conduite vers le chemin de la rationalité au lieu d'être aujourd'hui dans les mains d'une venimeuse engeance d’intrigants incapables et médiocres, elle pourrait espérer reprendre le chemin de l'espoir et de la rationalité.
Adenifuja Bolaji
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