Mon Cher Pancrace,
Dans ta dernière lettre, tu me demandes comment comprendre le mandat d’arrêt international lancé contre Me Lionel Agbo. Et comme toujours, tu me poses une question dont la pertinence est éblouissante : « Doit-on à chaque fois alerter le monde pour les difficultés politiques que connaît le Bénin et que la sagesse aurait pu résoudre ? En dehors du Togo ou de la Guinée Equatoriale ou Yayi a quelques amis, qui va se gêner pour inquiéter ou attraper Me Lionel Agbo pour les motifs bidons invoquées ? Sincèrement, n’est-ce pas un coup d’épée dans l’eau ? » Eh oui, mon cher Pancrace, comme toujours tes questions ouvrent la voie au débat et à l’explication. Et encore une fois je m’y lancerai avec une saine passion.
Tout d’abord, je dois dire que, de mémoire de procédure policière internationale, c'est l'une des rares fois qu'on entend parler d'un mandat d'arrêt international contre un simple citoyen pour offense au chef de l'État ! Quel crime réel a-t-il commis ? Homicide ? Non ! Crime financier ? Non ! Viol ou attentat aux mœurs ? Non !
Le pouvoir n'hésite pas à alerter le monde entier pour qu'on traque ce condamné hors du commun. A priori, cela supposerait que le Bénin et plus précisément Yayi Boni soit un démocrate, qui respecte les institutions dont il a la charge ; que la gravité du crime est également partagée par tous dans le monde ; que l'État de droit dans la main de M. Yayi ne souffre d'aucune entorse. Ce qui est loin d'être le cas. Et l'existence du cas Lionel AGBO, qui n’est pas isolé, ainsi que les turpitudes qu'il connaît est la preuve d'un bout à l'autre de ce que l'État de droit et la démocratie sont totalement bafoués au Bénin sous M. Yayi. Non seulement l'État de droit et la démocratie sont bafoués au Bénin par M. Yayi qui veut tout assujettir à sa volonté suprême, mais M. Yayi est dangereux pour la démocratie et l'État de droit. Il est plus dangereux pour la démocratie que ne l’ont été les dictateurs brutes et somme toute ordinaire du temps jadis ; plus dangereux que les Eyadéma, Mobutu et autres Pinochet. Pourquoi ? Parce que ceux-ci ne rusaient pas avec la démocratie et disaient sans détour tout le mal qu'ils en pensaient. Et là-dessus dans leurs agissements brutaux, ils n’usaient d’aucun masque. C’étaient des dictateurs honnêtes. Alors que M. Yayi, parce qu'il porte à son point le plus esthétisé l'hypocrisie du formalisme institutionnel qui sert de masque à une nouvelle génération de dirigeants africains, assouvit tranquillement ses penchant despotiques sous le masque trompeur de la démocratie. Mais les travers et maux classiques de ce type de régime sont toujours là, aggravés au centuple par le mensonge et la parodie : corruption, fraude, népotisme, détournement de denier public, gestion patrimoniale des biens de l'État, répression barbare des libertés, persécution, élimination de toute opposition, culte de la personnalité, médiocrité généralisée ! C'est donc sous ce masque hypocrite qu'il a organisé et truqué les élections pour se maintenir à coups de milliards puisés impunément dans les caisses de l’Etat pour acheter les consciences ; c'est sous ce masque que la corruption bat son plein, que son entourage est truffé de milliardaires miraculeux ; c'est sous ce masque de formalités que le régionalisme le plus odieux, le plus abject, le plus moyenâgeux se donne libre cours sous nos yeux dans toutes les arcanes de l’Etat, c'est sous ce maque pseudo républicain dévoyé et parodique que la justice fonctionne, pour accabler les innocents ou les citoyens qui ne font que jouer leur rôle constitutionnel. Soit pour n'aller jamais aux termes de ses nombreux procès qui ont pourtant défrayé la chronique dans le pays ; soit au contraire pour obéir vite au doigt et à l'œil du seul homme pour lequel toutes les institutions fonctionnent : M. Yayi, président en de la république. Dans ces conditions, mon cher Pancrace, aussi absurde que cela puisse paraître, on comprend bien pourquoi le Bénin lance un mandat d'arrêt international contre un homme accusé d'offense au chef de l'État et condamné à six mois de prison. Parce que le refus du condamné de jouer le jeu de la justice parodique, qui tourne dans le même manège parodique des institutions dévoyées est un désaveu public, une lueur crue jetée sur le théâtre de la parodie institutionnelle érigée en philosophie politique par M. Yayi. Ce refus de se laisser assujettir par la parodie est comme un grain de sable dans la machine répressive et autocratique. Il est source de honte pour l'autocrate. Pour cacher cette honte, le pouvoir n'a pas craint d'aller vers l'absurde, mettre en branle la machine judiciaire et policière du monde entier, au motif que le président de la république a été insulté, motif dont le manque d'objectivité trahit la tendance parodique du pouvoir béninois et de son chef à détourner les institutions de leurs buts pour les plier à sa volonté idiosyncrasique. À force de courir derrière un hypothétique offenseur d'un hypothétique chef d'État, d’une hypothétique démocratie, on se demande ce que feraient toutes les polices du monde ainsi alertées avec les cas autrement plus objectifs de criminalité lourde et réelle auxquels elles sont confrontées jour et nuit. Non, aussi ridicule soit-il, ce mandat d'arrêt contre Me Lionel AGBO n'est qu'une fuite en avant du pouvoir dictatorial qui veut se voiler la face et n'a pas craint de trahir davantage sa vraie nature antidémocratique. Et puis il y a cette volonté, malheureusement très béninoise, de faire mal, de compliquer l'existence de son prochain en montrant l'étendue de son pouvoir, le rapport de force, et ce dans le seul but d'humilier. Du temps de l’apartheid, imagine-t-on le pouvoir raciste d'Afrique du Sud lancer un mandat d'arrêt international contre un combattant de l’égalité comme Nelson Mandela ou Govan Mbeki ? Et pourtant toute honte bue c'est à peu près ce que vient de faire Yayi Boni et ses hommes de main, espérant que la mécanique frauduleuse du jeu des institutions dans lequel il injecte sa mauvaise foi parodique, saura faire la différence entre lui et un John Voster ou un P. W. Botha. Au total, mon cher Pancrace, ce mandat d'arrêt international lancé contre Me Lionel AGBO est comme tu l’as dit un coup d’épée dans l’eau lancé par le pouvoir pour cacher la honte du refus héroïque de sa victime de se soumettre à son jeu parodique. Toutefois, au-delà du coup d’épée dans l’eau je pense que c’est aussi et peut-être surtout un coup d'épée dans la cendre. Et comme le dit le proverbe fon, c'est celui qui a soulevé la cendre qui en est le premier sali….
Bien à toi et que Dieu Sauve le Bénin !
Binason Avèkes
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