Notre approche des autres parle de nous-mêmes et devrait être abordée avec bon sens et cohérence, ce qui n'est hélas pas toujours le cas notamment dans les médias. Dans les journaux, le Béninois a souvent plus l'occasion d'entendre parler des vétilles du Gabon ou du Cameroun avant de savoir les nouvelles d'importance qui ont cours au Nigéria, pays voisin et frère dont nous sommes virtuellement le 37ème État ; ou au Ghana, autre pays frère avec lequel bon nombre de Béninois partagent des liens historiques de consanguinité. Pourquoi ce désordre et cette incohérence ? Parce que d'une part la différence de langue des colonisateurs nous sépare de nos frères directs de l'Afrique de l'Ouest, tandis que l'identité de langue du colonisateur nous rapproche indûment de nos cousins de l'Afrique centrale. Malgré les protestations passablement conscientisées de nos soi-disant intellectuels stigmatisant le néocolonialisme et la Françafrique, ces réalités continuent de gouverner notre quotidien à notre corps défendant. Le refus, la difficulté ou l'incapacité de réfléchir à nos actes, et nos actions, et le fait de les produire selon une seconde nature héritée du passé l'emportent sur tout autre retenue bien réfléchie. La force vicieuse du néocolonialisme et de l’histoire qu’elle a impulsée est à l'œuvre dans ces comportements têtus qui sont la preuve que l'Africain, d'avoir subi le colonialisme a du mal à s'en défaire dans ses tréfonds. L'hémiplégie représentationnelle par laquelle l'Africain considère comme Afrique la moitié de l'Afrique conforme au domaine restreint de son maître colonial n'est certes pas l'apanage des seuls francophones : elle sévit aussi cruellement dans l'espace anglophone. Au Nigéria ou au Ghana on connaît plus ce qui se passe au Kenya ou même en Inde avant de savoir ce qui se passe au Togo ou au Bénin. Le même travers s'exprime dans l'appréhension de soi par les Africains. Cette manière que nous avons d'avoir instinctivement l'Afrique à la bouche, de nous dire Africains, qui dépasse de loin la mesure dans laquelle un Indien ou un Français se désigne comme Asiatique ou Européen, alors même que ces gens sont plus organisés que nous collectivement. Comment se fait-il que les ressortissants de nations perpétuellement en guerre entre elles et en elles-mêmes et qui n'ont pas une idée fixe de leur identité réelle s'appréhendent comme un tout collectif continental, alors que les ressortissants de nations en paix en elles-mêmes, mieux organisées font référence plutôt à leur identité nationale particulière plutôt qu'à une hypothétique appartenance continentale ? Parce que le Sénégalais ou le Nigérian se décrit intérieurement comme le décrit extérieurement son colonisateur. Pour les Blancs, nous sommes des Africains sans distinction et comme nous parlons d'après le Blanc et réfléchissons à travers lui, eh bien nous n'hésitons pas à répéter comme un perroquet sa manière de nous désigner, sans chercher à réfléchir sur nous-mêmes et par nous-mêmes. Au total, l'Africain a besoin de linvojo ; nous devons faire un surcroît d'effort pour réfléchir sur nous-mêmes et nos actes les plus anodins afin de prendre conscience de l'influence d'une histoire de violence symbolique et d'aliénation sans l'éradication de laquelle nous serions d'éternels zombies. Il ne suffit pas d'être proclamé politiquement indépendant. Tout le monde reconnaît aujourd'hui l'importance de l'indépendance économique sans laquelle l'indépendance politique n'est qu'un vain mot. Mais l'indépendance ou plus exactement l'autonomie mentale, logique et symbolique est la condition sine qua non de toute indépendance réelle. Elle nous protège contre les actes insensés, paradoxaux et en fin de compte aliénés sans le dépassement desquels aucun progrès n'est possible. En l'occurrence faisons un effort pour briser les lignes de force héritées du conditionnement colonial. Sachons parler du Ghana ou du Nigeria avant de nous gargariser des vétilles du Gabon ou du Cameroun.
Prof. Bill Assiongbon
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