À supposer que 200 acteurs de Nollywood soient réunis pour un colloque touchant à leur métier d'acteurs, et à leur identité de nigérians vis-à-vis du monde et au regard de la compétition sur le marché international du film. Supposons qu'au cours de ce colloque où la salle était comble, plusieurs bombes explosent simultanément et font un carnage monstre. Pas un seul survivant ! Une hécatombe du monde cinématographique Nigéria ! On y verrait sans tirer sur la corde de l'imagination la main funeste de BOKO HARAM. On parlerait de violence inouïe, d'une perte atroce pour le cinéma nigérian et africain. Heureusement, il ne s'agit que d’imagination et cette hécatombe qui aurait pu se produire dans un Nigéria où tout le monde -gouvernants et gouvernés- tient la violence, et l'insécurité pour une fatalité, n’est qu'une supposition rhétorique. Supposons alors que dans ces conditions intervienne un statisticien, sociologue, un tantinet vicieux qui regarde les choses à travers le prisme ethnique ou régionaliste. Sur la liste des 200 acteurs participant au colloque et qui sont tous morts, notre homme relève que 140 sont Ibo de stricte obédience, 188 sont du Sud-Est et d'obédience plus ou moins ibo ; 12 sont Yoruba. Ce qui donne en termes de pourcentage : 70 % strictement Ibos ; 94 % du Sud-Est ou de large obédience ibo et enfin 12 % de Yoruba et 0 % de Haussa ou Peulh. Le sociologue qui a aussi une formation d'historien note que l'année précédente, au plus fort de la vague terroriste de BOKO HARAM, un colloque similaire s'est tenu dans la même salle et regroupait également 200 acteurs de Nollywood mais sur leur bannière, au lieu d'avoir, comme c'était le cas des malheureuses victimes de cette année « Nigerians movies », ils se réunissaient plutôt sous la bannière de « Yoruba movies » parce que, loin de faire main basse sur la totalité de l'identité nigériane, ils se contentaient d'en assumer la section yoruba dont ils étaient ressortissants. Le Nigéria est une mosaïque d’ethnies mais la perception synthétique veut qu'on divise toute cette diversité en trois grands groupes ethniques que sont : Yoruba, Haoussa et Ibo. Division qui correspond à la division régionale du pays à la veille de l'indépendance où le pays comptait trois grandes régions : Northern region, musulmane en majorité et composée de Haoussa, de Peuhls, de Baribas, etc. . Du Southwestern region à dominance yoruba, moitié musulmane et moitié chrétienne. Et enfin le Southeastern Region à dominance ibo et en grande majorité chrétienne. Au sud, outre les deux ethnies principales-- Yoruba et Ibo--existent d'autres groupes ethniques mineurs adjacents à l’un ou à l'autre comme les ethnies proches de la frontière du Cameroun : Efik, Ibom, etc. ou du delta, ou celles des Edo. Sur Youtube qui est la plus grande réserve numérique des films de la catégorie home video dans laquelle excelle Nollywood, ces divisions ethniques sont reflétées peu ou prou ; mais en même temps le consensus frauduleux d'une démarche qui consiste à représenter le tout par la partie mène une bataille farouche de naturalisation dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas dénuée d'arrière-pensées politiques. Un effet sur Youtube , on retrouve le reflet de ces grandes divisions ethniques du Nigéria dans la production mise sous la bannière de Nollywood. Mais avec des nuances, des substitutions et parfois des absences assez éloquentes. En effet l'une des productions ethniques conséquentes est celle du Yoruba movies, qui met en jeu des œuvres diverses et une pléiade d'acteurs de talent plus ou moins grand. Les œuvres oscillent entre la peinture de la vie quotidienne urbaine, de la vie villageoise, des aspects de l'histoire, de la culture. La religion--on dira plutôt les religions--y occupe une place de choix, reflétant de façon réaliste l'âme du nigérian moyen. Il y a aussi dans une d'une très moindre proportion des productions qui se revendiquent comme edo movies où on a à peu près les mêmes situations que dans le yoruba movies, mais plus axées sur les histoire urbaines et sentimentales. Le haussa movies existe aussi de manière sobre, et campe la sensibilité retenue de la vie quotidienne sous le couvert de la référence aux valeurs de l'islam. La contradiction apparaît avec le vide quasi absolu de ce qu'on pourrait définir comme ibos movies, dans la mesure où très peu d'œuvres sont faites en langues ibo, et le peu qui est fait relève d'œuvres singulières, menées par des acteurs de talent. Ce qui est plus courant dans les rares productions que l’on peut placer sous le label ibos movies ce sont des oeuvres en langue anglaise doublées en ibo. En revanche, la plus grande partie des productions de Nollywood accessibles sur Youtube n'est pas celle des yoruba movies, aussi conséquente et fournie soit celle-ci, mais ce qui porte le label de « Nigerian movies ». Le « Nigerian movies » ainsi implicitement définie est une production vidéo qui met en scène des acteurs en grande majorité ibo ou du Sud-Est dans un environnement traditionnel (ibo) ou moderne (soi-disant Nigérian). Il traite d'une variété de sujets mais conscientes de sa vocation commerciale, cette production accorde une place importante aux histoires d'amour, se déroulant dans le contexte de la vie urbaine moderne et mettant en jeu tous les aspects de la modernité, la langue parlée étant l’anglais. Ce sont les acteurs de cette production qui constituent la liste des 200 acteurs nigérians présentés comme les acteurs de « Nigerian movies », de Nollywood à l'exclusion de tous les autres. Il s'agit d'une démarche rhétorique à motivation politique--même inconsciente--qui consiste à dire : « voici ce qu'il faut considérer comme le cinéma nigérian et ses acteurs». Le cinéma nigérian c'est ce qui est fait en anglais par des acteurs en majorité du Sud-Est, de culture ou de religion chrétienne et à dominance ibo. Une telle imposition, il faut l'avouer, dans le contexte fédéraliste et multiethnique du Nigéria, est en soi un acte de violence inouïe. Ainsi, la violence imaginaire par laquelle nous avions supposé que ces acteurs avaient été victimes d'un attentat à la bombe, perpétré par l'ennemi numéro 1 actuel du Nigéria, le groupe terroriste BOKO HARAM, n'est pas une violence initiale ou première ; elle n'est en vérité que l’expression imaginaire ou fictive d'une violence réactionnelle potentielle. Vu son caractère, ses méthodes et ses moyens qu'est-ce qui empêche ce que les gens appellent « Nigerian movies » de se mettre sous son vrai label de « ibo movies » ? Car comme on peut le voir sur Youtube, ce label ibo movies est quasi inexistant là où tous les autres labels de la production filmique du Nollywood sont pourtant représentés. Est-ce que c'est parce que nous sommes en Afrique et qu’en Afrique toutes sortes de choses farfelues et injustes peuvent s'imposer sans raison ? Peut-on imaginer que tous les acteurs qui font le cinéma en France soient originaires de Corse--eux et leurs producteurs--avec quelques originaires de Nice ou des environs, et que l'on s'enhardisse malgré tout à les étiqueter eux et leur production sous le label de « cinéma de France » ? Non, mais en Afrique, dans le plus grand pays noir du monde, ce genre de violence rhétorique à retombées politiques a lieu et cela semble aller de soi. Et si c'est de cette évidence que naissent les violences et tourments qui déchirent le pays et que l'on déplore par ailleurs ? Cet état de choses n'est-il pas la forme culturelle de la situation sociopolitique qui 30 ans plus tôt a embrasé le pays sous le nom devenu tristement célèbre de « la guerre du Biafra » ? Que les Ibo soient prolifiques en production cinématographique est une très bonne chose ; qu'il pullule dans leur région des acteurs talentueux est une chose tout à fait superbe dont on ne peut que se féliciter mais dans le contexte multiethnique du Nigéria, cette façon que leur production à de se mettre sans crier gare sous le label collectif du Nigéria sans en assumer les exigences sociologiques et culturelles est une violence politique cachée, source de violence politique ouverte. Aminou Balogun
Liste des 200 Acteurs Nollywood /source
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