Une aubaine des tenants du pouvoir en Afrique, y compris et surtout dans le contexte de ce qu'on appelle démocratie --et le cas béninois actuel en est révélateur -- se trouve dans le rapport entre l'information et l’éveil de la conscience du peuple. Sur un sujet particulier ou en général l'opportunité de former son opinion et de s'informer à travers ce qui peut s'écrire, se révéler par écrit sur les affaires de la cité. L'aubaine touche au rapport à l'écrit en tant que source d'information permettant l’analyse, le recul du jugement, la capacité de croiser les données. Or en Afrique, --notamment en Afrique francophone--le premier écueil est la toute-puissance exclusive de la langue étrangère, celle de l'ancien colonisateur, qui de ce fait prouve qu'il n'est jamais vraiment parti. Vis-à-vis de cette langue, comme vis-à-vis de l'espérance lettrée, la grande majorité du peuple, les citoyens potentiels, est marginalisée, larguée, diminuée, mis à l'étroit et à l'écart. Elle subit de plein fouet la violence symbolique de l'ordre colonial et néo-colonial. Hier c'était le blanc, aujourd'hui c'est l’akowé qui prétend prendre sa place mais qui ne fait que le singer en pire. Dès lors, tout ce que le peuple, les citoyens peuvent connaître sur les dirigeants, leurs actions ou inactions, leurs manquements et la vie politique, sociale et économique, parce que ces choses s'écrivent, passe par-dessus la tête de 90 % de la population ! Tout simplement se pose le problème de la barrière de la langue écrite étrangère dans laquelle passe l'information sionon la connaissance. Telle est la première source d'aubaine pour la classe dirigeante des états africains, surtout francophones. Dans la mesure où en zone francophone, le palliatif de la prise en charge des langues nationales comme véhicule de la communication du savoir et des pratiques socio-administratives de base est fermement découragé en vertu du syndrome de l’assimilation hérité du passé colonial. Cette obscurité entretenue, et dans laquelle sont enfermés 90 % de la population, est une aubaine pour le dirigeant africain qui loin de miser sur l'intelligence de son peuple, parie jour et nuit sur la bêtise et l'obscurantisme pour continuer à le dominer. La deuxième source d'aubaine se trouve dans le rapport à la langue étrangère elle-même et d'une manière générale à la chose écrite des 10 % de la population étiquetés lettrés, c'est-à-dire ayant échappé à l'obscurité immédiate de l'analphabétisme. Car par-dessus le vernis de la compétence lettrée se trouvent les tares plus ou moins lointaines d’une aliénation symbolique. En vérité, sur ces 10 % de citoyens, le
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nombre de ceux qui lisent et pour qui, au-delà des usages sociaux immédiats, la lecture est un apport d'enrichissement dynamique, de curiosité critique et analytique, ce nombre se compte sur les doigts d'une main. Cette réserve et cette limitation de l'aptitude lettrée peut s'expliquer en effet par l'origine étrangère d'une langue qui n'exprime rien à l'âme de l'africain. L'information pâtit de la schizophrénie linguistique et intellectuelle dans laquelle est enfermé le lettré africain, qui trouve dans la langue du colon un moyen immédiat d'exhibition de sa bonne volonté intellectuelle mais qui au-delà de ce vernis ostentatoire est vite lassé, et n'adhère pas au fond de son âme et au plus profond de sa libido sciendi. La sclérose de la libido sciendi, dans son rapport dynamique à la langue, son essoufflement, à travers l'usage de la langue étrangère est ce qui assure au pouvoir autocrate la quiétude de l'ignorance du plus grand nombre à l'ombre de laquelle il prospère politiquement et continue à dominer sans coup férir. On comprend alors aisément pourquoi par exemple au Bénin les pouvoirs successifs, y compris celui qui parle de changement ou de refondation, ne se hâtent pas de mettre en place une politique d’utilisation pratique de nos langues nationales ; pourquoi l’Internet est dans un piteux état, et l’indigence numérique proverbiale : car tout ce qui peut bénéficier à l’éveil de la conscience du peuple, constituer une alternative d’édification de sa conscience autonome est une source d’angoisse pour l’autocrate.
Babatundé Arèmu
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