Le bonheur d’être Dictateur c’est la possibilité d’ériger des vessies en lanternes, ses rêves en réalité, ses fictions en histoires collectivement homologuées. Kérékou l’a montré avec l’histoire réelle de l’assassinat du capitaine Michel Aïkpé transfiguré en récit fictif d’un adultère qui aurait mal tourné. Mais le paradigme de l’érection de la fiction en réalité par le Dictateur dans notre sous-région du Bénin est fourni incontestablement par le criminel monstrueux Gnassingbé Eyadema, père de l’actuel régnant. C’est entre autres choses pour couvrir ces crimes monstrueux que le fils avant même que le cadavre du père ne refroidisse avait été fait président avec la bénédiction des grands acteurs de la Françafrique. Le mythe de l’accident de Sarakawa est l’idéaltype réalisé de cette transfiguration de la fiction en réalité. De quoi s’agit-il ? Officiellement un avion militaire supposé transporter le Général Gnassigné Eyadema et quelques membres militaires ou civils de son régime s’écrase lors de son atterrissage à Sarakawa le 24 janvier 1974. De cette version officielle qui ne résiste ni au bon sens ni à la réalité, la seule réalité indiscutable est celle de l’avion écrasé dont certains occupants ont été tués. Mais de la version officielle le régime d’Eyadema a tiré le mythe d’un complot des milieux impérialistes français contre son régime, histoire pour ce ludion du système françafricain de paraître plus blanc que neige, de mettre en scène les dissensions qui ne manquent de surgir entre corsaires conjurés du pillage de l’Afrique. Or comme le révèle un témoin haut-placés « l'avion présidentiel transportait ce jour-là des cargaisons de matériaux de construction pour la résidence privée de Pya et comportait des tonnes de ciment, des tonnes de barres de fer, des tonnes de sable et des tonnes de graviers bien lavés. N'ayant aucune idée de la surcharge de l’avion, les pilotes militaires avaient pour destination Niamtougou. Eyadéma n'était pas à bord, il était à Kara quelques jours avant l'expédition de ces produits, pour bien les réceptionner. » C’est ce montage cousu de fil blanc qui est la réalité que le régime Eyadéma a transformé en mythe ; mythe de son invincibilité miraculeuse ; mythe de sa pureté de combattant africain pour les intérêts du peuple du Togo, mythe de son amour pour le Togo contre ses ennemis et exploiteurs blancs. La distance qui sépare le mythe de Sarakawa de la réalité se structure sur trois niveaux de vérisimilitude. |
Au premier niveau, il y a le fait brut d’un crime crapuleux, qui consiste à faire un montage centré autour d’ un accident d’avion meurtrier. Deuxièmement, il y a le fait que l’accident peut être considéré comme un accident banal, comme tout avion peut en subir, et dont le Dictateur qui n’était pourtant pas au nombre des passagers sera érigé en l’unique survivant, au détriment des vrais survivants, véritables miraculés de son complot-sacrifice. Enfin le troisième niveau consiste à retourner ce crime en attentat contre la personne du Dictateur alors qu’il en est lui-même le cerveau… Cette érection de la fiction en réalité avec les moyens d’information et d’objectivation dont dispose un État est un idéaltype, modèle déposé qui porte la marque de fabrique du régime Eyadema au Togo. Or Monsieur Yayi qui a intériorisé le modèle Béninois et Togolais n’a de cesse de les reproduire. L’affaire de l’empoisonnement autour de laquelle Monsieur Yayi et ses thuriféraires mobilisent le peuple et abuse de sa candeur au lieu de le mettre au travail, cette affaire aussi absurde et pathétique qu’il paraît, appartient au genre du récit de transfiguration politique qui fait le bonheur des Dictateurs. Être dictateur c’est pouvoir se payer le luxe d’accrocher dans la conscience collective quelques tableaux fictifs dont on décrète le statut de réalité en dépit de leur nature grotesque. Prof. ATSIKE Bonaventure |
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