L'affaire Canal 3 continue de faire des vagues à travers les représailles du pouvoir contre tous ceux qui, de près ou de loin, ont trempé dans ce que Monsieur Yayi et ses griots tiennent pour un crime de lèse-majesté. Ainsi, aux dernières nouvelles, le DG de l'ORTB a, à son corps défendant, payé de sa personne par son limogeage décidé en conseil des ministres. Le communiqué du gouvernement sanctionnant l'éviction, reproche pêle-mêle à de M. AKPAKI le contrat léonin passé entre l'ORTB et Canal 3 pour l'installation des équipements de cette chaîne sur le site de l'Office public, le non recouvrement à échéance due des créances de l'ORTB sur Bell Benin, la maison-mère de Canal 3, le parasitage technique de l'ORTB depuis plusieurs années sans contrepartie, le branchement frauduleux des équipements de Bell Benin sur le réseau d'électricité de l'ORTB pour un montant dérisoire depuis plusieurs années. Toutes choses que le gouvernement considère, de la part du directeur de l'Office public, comme « négligence, légèreté dans la gestion de l'ORTB, manquements graves à ses devoirs et obligations en tant que garant du patrimoine national, complicité de pratiques frauduleuses, de faux et usage de faux, mise à disposition des biens publics à quelques privilégiés au détriment du contribuable béninois ». Tout cela est bien net, et résonne dans le langage de la loi et de la responsabilité. Apparemment, ce serait donc au nom de la rationalité légale que le gouvernement sévit. Et en cela, on est tenté dans un premier élan d'applaudir son initiative, de louer sa réaction de salubrité éthique. Mais se précipiter ainsi serait juger le petit bout de l'iceberg sans plonger vers les dessous ténébreux et mesquins de cette affaire. Il suffit de se poser les bonnes questions pour se rendre à l'évidence de la subjectivité autocratique et idiosyncrasique de ce qui est présenté sous les dehors de l'objectivité légale et éthique. En effet, aurait-on eu dénonciation des manquements du DG de l'ORTB aujourd'hui si M. Lionel Agbo n'était allé s’exprimer sur les ondes de Canal 3--pas qu’en bien-- de ce qui se passe à la présidence de la république qu'il a connue de près ? Évidemment non ! Au contraire, si, comme cela est le cas de la grande majorité des médias sous contrat ou stipendiés, Canal 3 n'était pas sortie de ses gonds et s’était contentée au jour le jour de donner la parole aux louangeurs de M. Yayi, aux diseurs de ses bienfaits, aux aboyeurs impénitents de dithyrambes à son endroit, aurions-nous eu coupure d'antenne de Canal 3 ? En serions-nous arrivés à être au courant des malversations, détournements et autres copulations abjectes opérées sur le dos du bien public ? La réponse négative va de soi. Ce qui suspend notre élan spontané--pour autant que tel fut le but des justifications rationnelles du communiqué du conseil des ministres--d'applaudir la réaction punitive du gouvernement à l'encontre de l'indélicat directeur général de l'Office public. Pour un directeur de l'ORTB coupable de manquements, de légèreté et de pratiques frauduleuses, et mis à découvert incidemment suite à la réaction du président contre la libre expression d'un homme politique, combien de cas de sociétés nationales, d'offices publics, de cadres de l'État dans tel ou tel lieu de gestion de la chose publique qui se vautre allègrement dans la gabegie, la corruption, le népotisme, les détournements, et les fraudes en tout genre, dont aucune indignation autocratique du chef de l'État ne viendra mettre à nu les dérives et excès ? Donc en réprimant notre premier élan nous ne faisons pas que suspendre notre jugement ; bien plus nous retournons celui-ci contre le pouvoir de M. Yayi dans ce qu'il a de foncièrement corrompu, irrationnel et autocratique. Dérives qui tracent les tristes contours d'une éyadémaïsation simiesque de la vie politique béninoise, synonyme de tyrannie et de dictature depuis 2006. Si même M. Yayi avait été réellement élu--c'est-à-dire sans fraude, ni mise en scène violente--par le peuple, nous lui aurions opposé le devoir de respect de la constitution et du peuple. Car le seul fait d'être élu ne l'autoriserait pas à s'attribuer un pouvoir personnel et se croire au-dessus des lois ; à vouloir brimer les droits élémentaires des citoyens, et réprimer la liberté d'expression de ceux qui ne disent pas
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ses louanges, et sévir contre ceux qui, à un titre ou à un autre, permettent que cette liberté d'expression s'exerce. Cette volonté d'imposer un récit unique de la vie publique, celui des louanges d'un homme à la médiocrité avérée, qui au demeurant a volé les élections pour s'imposer, cette dérive est scandaleuse et inadmissible. Et il n'aura pas suffi de trouver de bonnes raisons contre la gestion du DG de l'ORTB pour laisser croire que ceux qui disent autre chose que M. Yayi, ceux qui ont un autre son de cloche que son orchestre dithyrambique ont tort. Nous sommes en plein dans la gestion patrimoniale des biens de l'État. Celle-là même que le communiqué du gouvernement reproche au DG limogé. Car c'est pour le confort idiot de M. Yayi, pour que ceux qui ont permis de loin ou de près la libre expression de M. Lionel Agbo soient sanctionnés que M.Akpaki a été limogé. C'est donc sur l'autel d'une idiosyncrasie autocratique qu’est sacrifié le directeur de l'ORTB et non pour des raisons de rationalité légale objective. Sinon pourquoi avoir attendu l'incident révélateur de Canal 3 pour découvrir les malversations que le gouvernement reproche au DG de l'ORTB ? Ce faisant, cédant à la précipitation revancharde, le gouvernement n'a pas craint d'exposer ses propres tares, ses propres manquements. Pendant ce temps, des dizaines de sociétés ou d'offices nationaux dont on imagine qu'ils abritent les mêmes types de manquement que ceux pompeusement reprochés au DG de l'ORTB, des dizaines de cas inconnus ainsi que des centaines de cadres qui chacun se livre à la corruption avec pour seul paravent commode les louanges incantatoires et les aboiements dithyrambiques en faveur de M. Yayi, toute cette tourbe infecte de pilleurs d’État peut continuer à se la couler douce. La gestion patrimoniale des biens publics par M. Yayi se fait donc dans les deux sens : dans l'obscurité irrationnelle de la corruption comme dans la fausse lumière d’une rationalité légale alibi ; pourvu que sévisse la tyrannie d'un homme, sa mesquine volonté de puissance et son bon plaisir. C'est ce trou honteux dans lequel le Bénin est tombé par sa propre faute qui s'appelle éyadémaïsation simiesque de la vie politique béninoise. Cette dérive négatrice du peuple et de ses droits auxquels est substituée la seule volonté autocratique d'un homme, pendant combien de temps le peuple la subira-t-il sans réagir comme un peuple uni et digne de ce nom ?
Prof. Cossi Bio Ossè
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