Les grandes figures de la contestation politique au Nigeria sont légion. Nous connaissons des yoruba comme Wole Soyinka, dramaturge, écrivain Prix Nobel de littérature ; et surtout feu Fela Anikulapo Kuti, le maître de l’Afrobeat qui se faisait passer pour Présidentde KalakutaRepublic, une formation parodique, vouée à la contestation et à la musique. Kalakuta Republic avait aussi un parfum de harem, où le monarque Fela, au torse souvent nu trônait sur un chœur de femmes-épouses frémissantes de volupté et de jeunesse. Le discours de Fela était frontal, sagittal, et sans concession ; la provocation en était l’âme et l’arme. Et il y avait de quoi. En ces années de dictature militaire, de corruption généralisée qui ont suivi la guerre, il fallait être courageux pour défier le pouvoir. Et Fela a payé de sa personne. Au-delà de la liberté d’expression qu’un formalisme bourgeois entretenait, la voix du chanteur et la langue pidgin étaient un véhicule idéal, dans une population composée massivement d’analphabètes, et où l’oralité l’emportait sur l’écrit. Maintenant, à l’ère de la démocratie balbutiante et plus ou moins arrangée, Fela Anikulapo Kuti a fait des émules. L’un de ceux-ci a nom Joseph Osayomore.
Joseph Osayomore est né à la fin des années quarante dans un village près de Benin-city.
L’état d’Edo, dont Benin City est la capitale, est coincé au sud entre les états yoruba et les états du delta du Niger, d’où provient le pétrole. On y parle plusieurs langues comme le bini, l’esan, l’afemai, l’ora, l’ijaw etc. Selon une thèse non confirmée, les Houeda du Bénin et les Edo relèveraient d’une parenté commune. Quoi qu’il en soit, cette parenté se retrouve dans le nom de la capitale, Benin qui n’est pas sans rappeler le nom de notre pays. D’où la curiosité légitime que suscitent les Edo.
Tout jeune, Joseph Osayomore a décidé de suivre un parcours artistique qui l'a conduit, au cours des années soixante-dix, à devenir l'une des plus grandes stars du paysage musical nigérian. Fortement attaché à la tradition Joseph
Osayomore est un adepte des esprits du panthéon edo, un véritable
«animiste» ; parti-pris que reflète le nom Ulele donné à son
groupe : la puissance du l’Ulele se réfère à ses convictions
religieuses. Selon les croyances edo, la puissance de l’Ulele vient de
l’esprit de celui qui le sert et le respecte.
Musicalement parlant, si durant sa
longue carrière, Joseph Osayomore a tâté à quelques-uns des genres les
plus populaires du Nigeria, dont le highlife et l'afrobeat, son originalité le maintient dans le giron rythmique de la culture edo.
Joseph Osayomore, un musicien polémiste
L'héritage de Fela
La principale caractéristique du son edo est la puissance du groove. L’orchestration du « Ulelele Power Sound » -- son groupe musical -- est constituée de tambours, congas, basse, deux guitares, des instruments à vent et des voix ; tous les instruments sont utilisés pour le rythme. Le résultat est un puissant mélange d’harmonies grinçantes, sur lequel plane la voix envoûtante et mélodieuse d’Osayomore, accompagnée d'une rengaine hypnotique du choeur. Le résultat est une joyeuse invitation à la danse.
Joseph Osayomore suscite une réelle curiosité ; de par son talent, son énergie, son engagement, son franc-parler et sa critique sans concession de l'injustice et de la fausse démocratie nigériane, Joseph Osayomore est considéré comme une sorte de successeur de Fela Kuti. Et il est vrai qu’il a été plus d’une fois trainé devant les tribunaux et emprisonné. Son style, son jeu musical, puise ses racines dans la terre edo ; mais la culture et la langue edo sont fortement influencées par la culture yoruba depuis des siècles. En écoutant Osayomore Joseph, on sent son originalité edo avec ses impulsions orientales mais l’héritage de Fela et de la culture yoruba saute aux yeux. Cette sensation peut s’appréhender dans l’évolution de l’artiste depuis son stade de musicien du terroir jusqu’à son apogée de chanteur national mondialement connu, ainsi que dans son jeu rythmique et ses instruments.
Joseph Osayomore a à son actif plus de 60 disques ou albums parmi lesquels « Army of Freedom » et « Efewedo » -- une critique du matérialisme et de l’argent roi -- sont les plus connus. La thématique de la contestation, la posture de polémiste public, la rhétorique guerrière ou politique, la satyre, l’ironie, la mise en scène et la parodie, tout cela campe le décor d’une kalakuta Republic version démocratique. D’où le thème de la marche, du combat, et surtout le nom de son brûlot-phare : Osayomore Joseph Liberation Army
Une armée comme on en voudrait dans toutes les sociétés africaines, une armée qui vous libère de l’inertie et donne espoir à la résistance par ces temps de démocratie d’opérette… Le chanteur qui se fait appeler Ambassadeur Osayomore Joseph n'a pas sa langue dans sa poche, rien de diplomatique; ambassadeur doit être compris ici au sens de représentant, évidemment du Peuple… Noble mission, écoutez plutôt
Amokodhion Biareme
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