J’avais rendez-vous avec le Consul- Général du Bénin à Paris, et comme il n’était pas encore prêt pour me recevoir j’étais dans un petit salon jouxtant le bureau de la secrétaire aux affaires consulaires, et j’attendais. Le Salon était joliment meublé, de petits fauteuil noirs bien propres et coquets entouraient un guéridon chargé de magazines et de journaux. Cela respirait une netteté et un confort bien loin de l’ambiance de capharnaüm qui régnait dans le consulat du temps jadis, surtout pendant la période révolutionnaire. Au mur près de la photocopieuse, un document de certification du consulat était affiché. Manière de proclamer noir sur blanc le changement de concept, qui n’était pas seulement de décor mais aussi dans l’accueil et le service. Au mur d’en face, dans un encadrement oblong, il y avait un tableau représentant la dynastie royale d’Abomey. Les appliquées des images et symboles étaient en noir et vert ; couleurs inhabituelles plus sombres que les couleurs habituelles plus vives et plus riches et où dominent le rouge, le blanc, le bleu et le jaune. Comme d’habitude ce genre de document consacré commençait par le roi Gan-yè Hessou (1600 à 1620 ) et finissait par Agoli-Agbo, ( 1894-1900). Sans préciser si le premier était un monarque autonome et le second un roi hétéronome. Entre temps, on avait pris le soin subtil et tenace de passer sous silence Adandozan ( 1797-1818) enseveli sous un monceau de diabolisation convenue. Or cette version de l’histoire qui éliminait l’un des rois qui suscitent le plus de questionnements éthiques, politiques et historiques ( puisque la thèse qu’il fut le premier à oser se confronter à l’abolition de l’esclavage, et à s’y brûler existe et ne relève pas de simples affabulations)La version de l’histoire qui sous-tend ces toiles que la production artistiques diffuse étant une version traditionnelle, l’historiographie officielle doit-elle la prendre pour vérité scientifique ou doit elle les considérer avec toute la réserve épistémologique qui s’impose ? Dès lors me demandais-je, à quel titre cette toile suspendue au mur du petit salon d’attente du consulat du Bénin, l’était-elle ? Au titre d’objet d’art ou de document historique fiable ? Le Consul-Général étant toujours occupé, je continuais à fureter de-ci de-là par la pensée et le regard. Je feuilletai quelques vieux journaux et magazines, qui devaient avoir été mis là après le passage du certificateur : tellement ils étaient datés et sans intérêt…. pour moi. Plus d’intérêt toutefois était un magazine gratuit affichant la photo souriante d’une femme, une certaine PATIENCE DABANY dite LA MAMA avec le titre : LA MAMA EN ROUTE POUR LE ZENITH A PARIS. Je me précipitai la-dessus pour voir de quoi il s’agissait. Et de près je pus lire son titre en rouge : DIASPORAS NEWS avec pour sous-titre : la référence Afro-caribéenne. Dans ce genre de Magazine affichant photo de femme sur papier passablement glacé et se disant de la Diaspora avec référence ostentatoire à la Caraïbe, je savais que passé les grosses proclamations d’universalité tout se rétrécissait bien vite à une petite nation sinon ethnie africaine, et quelques animateurs politique qui s’en servent comme support de publicité. En tout cas, je ne m’attendais pas qu’on me parlât du Kenya ou de Trinidad et Tobago, encore moins de la Jamaïque ou du Ghana ; vous voyez ce que je veux dire ; cette hémiplégie représentationnelle qui frappe l’Afrique et qui se traduit par une synecdoque consacrée au terme de laquelle on prend une ou deux ethnies de deux ou trois pays francophones pour l’Afrique tout entière ! Et ce pince sans rire ni états d’âme … Et quand j’ouvris ce journal dont une des communications du consulat me semblait-il avait précédemment fait état, je compris tout de suite que je ne m’étais pas trompé. C’était bien le genre de papier pompeusement baptisé Diasporas mais qui dans le fond ciblait deux ou trois pays qui en étaient à la fois l’âme et le corps. Par exemple et pour aller au rythme où je le feuilletais sachant qu’à tout moment je devais bondir de mon siège pour aller à la rencontre de mon hôte avec lequel j’avais un entretien d’importance stratégique, la MAMA DABANY de la première page qui était en route vers le Zénith était du Gabon, un pays situé en pole position dans la Françafrique, qui est à l’honneur en ce moment et dont on se demande – secret de Polichinelle – si elle allait être reconduite ou non par François Hollande. En dernière couverture on a la photo d’un chanteur joliment attifé dans une chemise blanc et marron avec une cravate or assortie, et qui se nomme MEIWAY. Tous ces noms ne me disent rien, ce qui en dit long sur mon côté vieux jeu, et sans doute aussi de qui s’en tape comme d’une guigne de tous ces gens qui pensent que c’est avec la chanson, la musique ou la danse qu’on va développer l’Afrique et la protéger de la domination politique étrangère. Tant qu’il n’y aura pas le prix Nobel du coupé décalé ou du zouk, je ne suis pas près à connaître des gens comme ce joli MEIWEY qui jouent les Bel homme de couverture. A l’enquête, ce MEIWEY, de son vrai nom Frédéric Désiré Ehui, est un Ivoirien, originaire donc de la capitale économique de la Françafrique ; capitale économique qui a fait trembler l’empire de l’ombre pendant toute la période ou Gbagbo, l’homme à abattre, était entré dans le champ du pouvoir par effraction. Et puis en feuilletant au pas de charge, on peut voir des sujets éculés sur les guerres endémiques en Afrique, les blabla sur la paix, la Somalie, le Soudan, la Francophonie. Un sujet sur la Présentation des lettres de Créances de SEM Joseph TEBAH-KLAH AMBASSADEUR DE COTE D’IVOIRE PRUS DU SAINT SIEGE ET DE LORDRE SOUVERAIN DE MALTE ! Rien que ça ! Un Monsieur Hilare, qui aurait pu s’appeler Hilaire au lieu de Joseph, et qui ne se prenait pas pour une merde. Ce que j’aime chez les Politiques africains, il font des guerres pour accéder au pouvoir et dirigent des pays qui n’avancent pas ou qui régressent même depuis 50 ans mais cela ne les gêne pas, et ils sont toujours content d’eux-mêmes, hilares comme cet ambassadeur Joseph alias Hilaire.. Un sujet sur la catastrophe du JOOLA, 10 ans déjà ! le temps passe !. Ensuite pour me faire une idée de la ligne du magazine rien ne valait un petit détour à la page édito. Où le sujet du jour était : LE MONDIALISME OU LA DICTATURE DES PLUS FORTS. Je n’ai pu que le traverser en trombe. Même quand on est sous l’ombre implicite de la Françafrique, il faut toujours avoir l’air, surtout lorsqu’on se dit africain, de critiquer les méchants de la CIA, de la FMI, de l’OTAN, de la Banque Mondiale, de l’ONU, même si la Françafrique s’en est servie, pour atteindre ses objectifs en Côte d’Ivoire, ça fait chic, ça fait révolté, ça donne un mieux pensant idéologique, etc. Mais je n’ai pas pu tiquer à la lecture du passage suivant : “on a fait la guerre au nom du mondialisme et de la démocratie classique moderne par opposition à la démocratie classique qui admet que le pouvoir est donné par Dieu” ! Bon sang où est-ce que l’auteur de ce petit papier a trouvé cette définition soi-disant classique de la démocratie, alors que le mot ne cache pas sa signification. Démocratie n’est pas Théocratie, tout de même ! Voilà le genre de choses que la “diaspora” est censée tenir pour la grande lueur de philosophie politique, entre deux Soukouss et un Coupé décalé… dans lesquels, il est vrai nous excellons plus qu’en pensées… Mais ce qui a été le plus subtilement remarqué dans l’édito précédait d’un paragraphe cette monstruosité sémantique qui en était du reste la conclusion. L’auteur, un certain Clément Yao, dont le nom dit bien son origine ivoirienne développe le concept d’”Etat Voyou” en ce que les pays qui s’y retrouvaient faisaient l’objet d’une guerre sans merci de la part des tenants du “Mondialisme “et il poursuit son analyse en ces termes : “ Il n’y a l’ombre d’aucun doute, la révolution arabe a été savamment impulsée par les partisans du mondialisme tout comme les complots orchestrés contre certains régimes en Afrique noire. Que ce soit en Egypte, en Tunisie ou encore en Libye” Quel lapsus révélateur ! L’éditorialiste parle d’Afrique noire, mais ne cite que des pays de l’Afrique du Nord. Et surtout, cerise sur le gâteau, parmi les pays qui ont subi des complots de la part du mondialisme, silence radio sur la Côte d’Ivoire dont le changement violent de Président a pourtant été fait sous l’égide de la France de Sarkozy , avec l’ONU comme paravent ! On annonce le loup puis on parle du chacal… Pourquoi ce silence de Monsieur Yao sur le cas ivoirien ?… Pour le savoir feuilletons plus loin encore, pendant que le Consul, occupé comme je le sais tardait à me rencontrer. Et c’est là que je tombe sur une autre page dont le titre n’est pas sans rappeler la Côte d’ivoire puisqu’il parle de DES PATRONS DU ZOUGLOU. Puis au milieu de tous ces articles culturels dominés par la danse, apparaît la page Littérature, où là encore c’est un Ivoirien qui a la vedette. Un certain Ephrem Youkpo qui se fait photographier devant le sigle rouge de la Radio RFI, et dont l’ouvrage a pour titre : “ Là où les Caïmans se couchent” …Un roman qui, à en croire la quatrième de couv se veut critique des mœurs africaines, qu’elles soient éthiques, politiques ou économiques. Réalisme magique à la sauce françafricaine ? En tout cas là encore, c’est toujours Côte d’Ivoire qui apparaît comme le fil d’Ariane de l’interrogation qui me turlupinait, à savoir qui se cachent derrière ce magazine, pour qui roule-t-il, un peu comme pendant des décennies, le Magazine Jeune Afrique a roulé pour la Françafrique ! Enfin, pendant que je commençais par entendre des pas qui avaient l’air de s’approcher du petit salon où j’étais assis et qui pouvaient être ceux de mon hôte, je tombai sur une page dite Société et qui présente l’article ci-dessous intitulé :
LA RECONCILIATION EN COTE DIVOIRE, QU'EN PENSENT LES IVOIRIENS DE LA DIASPORA EN ITALIE ? pendant plus de dix ans, la côte d'ivoire a traversé la période la plus difficile de son histoire. un pays qui était au premier rang des pays en voie de développement dans la sous région a perdu son éclat et sa notoriété après cette longue et triste aventure. |
Comme on le voit il s’agit d’une enquête prétendument faite dans le milieu des Ivoiriens qui vivent loin de la Côte d’Ivoire. Or quand on fait le tour des “témoignages” on se rend compte d’un certain nombre de biais pour le moins ahurissants 1° Que tous les témoins sont des ivoiriens vivant pour la plupart en Italie et plus précisément à Rome. 2° En termes de témoignages autour d’une réconciliation consécutive à une guerre à motivation ethnique, on nous présente le personnel de l’ambassade et du consulat de Côte d’Ivoire en Italie, et c’est ce petit cercle de fonctionnaires du gouvernement en place que l’ont considère comme représentative de la diversité ethnique et religieuse au coeur du conflit ivoirien. Or, comme il fallait s’y attendre la plupart des témoins sont des sympathisants du pouvoir qui les a nommés ou confirmés à leur poste, et dans la ligne politique duquel, ils sont tenus de témoigner. Il s’agit de 3 femmes et 5 hommes – ce qui trahit déjà une disparité sexuelle ; de 5 nordistes pour 3 sudistes à en juger par leur nom ; de 4 chrétiens pour 4 musulmans, à en juger par leurs prénoms… Voici ce qu’on appelle réconciliation dans ce journal soit disant de la Diaspora, mais qui ne dépareillerait pas parmi les Magazine de Côte d’Ivoire. A moins que ce numéro ne soit un Spécial Côte d’Ivoire. En tout cas pour une réconciliation, il s’agit d’une réconciliation masturbée… |
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