Je cherchais à me préciser l’origine du footballeur Essien ; parce que son nom me disait quelque chose. Par rappel de la chanteuse nigériane Christy Essien-Igbokwe, je me demandais s’il n’était pas du Nigeria et plus particulièrement de l’ethnie Ibibio. Et ma recherche sur Wikipedia me renseigna qu’il était d’origine ghanéenne. Du reste le fait qu’il soit ghanéen n’infirme pas l’hypothèse de son appartenance à l’ethnie Ibbio, car comme le précise la documentation, “les Ibibios sont un peuple d'Afrique de l'Ouest, surtout présent dans le sud-est du Nigeria (État d'Akwa Ibom), mais également au Ghana, au Cameroun et en Guinée équatoriale”. Voilà pour ce qui est de mon intuition, quant à l’origine ethnique ou nationale du célèbre footballeur. Mais telle ne fut pas l’origine du petit choc que m’a procuré mes recherches, et que j’aimerais partager avec le lecteur. En fait j’ai regardé sur deux pages de wikipedia : une en anglais et l’autre en Français. D’abord celle en français, qui commence par me dire : “Michael Essien, né à Accra au Ghana le 3 décembre 1982, est un footballeur professionnel évoluant au club du Real Madrid”, etc. Cette présentation ne me disait pas ce que je cherchais. J’apprenais seulement que Mickael Essien était né au Ghana. Mais on pouvait être né au Ghana sans être Ghanéen, indépendamment de l’idée ambigüe du droit du sol chère aux Français. Après tout Marcel Desally était né au Ghana… Alors, comme je subodorais qu’il était du Nigéria et que c’était par rapport à ce soupçon que je m’étais mis à faire ma recherche, je décidai de pratiquer l’entrée en anglais correspondant. Et je tombai sur ceci “Michael Kojo Essien (also known as Mickaël Essien; born 3 December 1982) is a Ghanaian footballer who plays for Real Madrid” Alors vous voyez la différence ! D’abord la version française ne fait pas mention du prénom africain du joueur : elle l'a purement et simplement escamoté. Et pourtant, eussé-je reçu cette information que j’aurais compris sans autre forme de procès que le footballeur était Ghanéen. Donc la version française ne voulait pas de ce prénom, et il a été amputé. Il ne fallait pas trop multiplier les références à son identité africaine. Le fait qu’il est noir était déjà suffisant pour qu’il s’appelle Essien. Et peut-être qu’avec cet Essien, on pourrait le placer dans la catégorie d'un Desally. Parce que pour les Français, un Noir lorsqu’il est bon ne doit pas être laissé dans le giron obscur des Noirs. «Le nègre, disait Ernest Renan, est fait pour servir aux grandes choses voulues et conçues par le Blanc». Ils doivent donc être apprêtés pour être à leur service ; les blancs sont nos recycleurs, et nous devons être prêts à être enrôlés par eux : pour soutenir leur société, économie et avenir. Alors on peut penser que ce procès sur un petit détail est un
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procès en sorcellerie pour le moins délirant. Mais votre honneur, je voudrais déposer devant la cour que vous présidez, un autre détail qui ne manque pas d’importance : Pourquoi la version anglaise dit explicitement que Essien est un footballeur ghanéen tandis que la version française se contente de faire référence à sa naissance au Ghana ? Il y a là un fait troublant qui peut paraître anodin à ceux qui n’ont pas compris le poids de l’idéologie assimilationniste française et ses implications sur la réalité quotidienne. Pour les Français, Essien est un joueur de classe internationale ; esclave du ballon rond que les Mercatos du foot s’arrachent et s’échangent à volonté. Pour cela, selon l’esprit assimilationniste français, il ne s’appartient pas, il n’a pas d’identité originale ; il est fait pour servir la volonté des Blancs qui sont supérieurs aux Noirs, et qui décident de leur vie et de leur destin. Et pour qu’il soit ainsi blanchi, il faut déjà blanchir tout ce qui rappelle son origine. D’où l’oubli de son prénom Kojo, et l’escamotage subtil de son origine nationale, plongée dans un flou insidieux. Cette idéologie assimilationniste qui vient de l’époque coloniale, à quoi s’appose le pragmatisme libéral anglo-saxon de l’indirect rule, a aujourdhui son pendant philosophique : c’est l’universalisme dont encore une fois les Français sont les champions. Avec cet universalisme, les Français sont capables de prendre un ourson à la mère ourse et en faire un Français qui danse à leur rythme. Car l’universalisme c’est aussi l’occasion de nier l’origine particulière de quelqu’un pour le faire atterrir dans l’identité de ceux qui organisent et dominent le monde. Et la violence espiègle de cette conception anthropologique des rapports internationaux, surtout dans sa dimension symbolique, est l’une des choses dans lesquelles, dans son combat d’arrière-garde de nations qui ont mangé leur pain blanc dans ce monde-tourniquet, la France excelle le mieux… en gros mais aussi en détail. Aminou Balogun
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