En 2011 Monsieur Yayi était politiquement au creux de la vague. Son impopularité marquée par les affaires CENSAD, ICCS, Dangnivo et consorts, sanctionnait la déception du peuple béninois. Le changement est apparu comme un bluff, la corruption au plus haut niveau de l'État battait son plein, et la misère menaçait un nombre croissant de la population. Malgré ce sombre palmarès, Monsieur Yayi a manœuvré de mille manières pour rester au pouvoir. Pour réaliser ce coup de force, les divers dieux-lares auxquels il dut sacrifier sont nombreux. D'abord, du côté des anciens colonisateurs, M. Yayi s’est échiné à donner le gage de sa fidélité de président nègre-toutou, qui s'agenouille devant les blancs pour mieux mater son peuple, et inversement. La Françafrique a été rassurée dans la forme immuable de ses intérêts ; les Bolloré et autres Bouygues ont été comblés, l'ambassadeur de France d’alors a fait de bonnes affaires, pour lui, ses amis et sa famille. À l'intérieur du pays, M. Yayi avait verrouillé le cirque des roitelets, chef religieux et consorts qui, dans un concours bariolé de représentativité douteuse, garantissaient contre rétribution le rabattage électoral du peuple.
Mais d'une manière fondamentale, la stratégie de M. Yayi était ethnocentriste et régionaliste. Les nordistes au Bénin se sont toujours sentis les parents pauvres de la nation. Parce que l'histoire, la géographie, la sociologie, l'économie et la démographie héritées de la période coloniale ne les favorise pas en tant qu'entité. Dans ces conditions, la politique au plus haut niveau est conçue comme une compensation. Et le poste le plus prisé étant celui du chef dans un système centralisé, c'est l'élection présidentielle qui est considérée comme l'objectif suprême. Avec ce poste, les nordiques écumeront les ministères clés, et feront jouer à fond leur ardeur népotiste. Dans cette conscience claire de leurs objectifs, et compte tenu du fait que leur exposition tardive, grincheuse ou différée à la culture occidentale, ajoutée aux aspects conformistes de la culture islamique dominante au nord, leur a épargné le gros des effets d'aliénation culturelle dans lesquels se complaisent les sudistes ; pour toutes ces raisons, les nordistes sont prompts à s'unir, à se discipliner et chérir le lien social : tout le contraire des valeurs des sudistes, qui mettent un panache confondant à se distinguer et administrer à la face du monde le spectacle affligeant de leur division, sans voir les conséquences collectives de leur attitude égoïste. Fort de cette conscience, M. Yayi a poussé cinq ans durant les pions du jeu régionaliste pro-nordique. Il a d'abord érigé la confrontation politique en une joute régionaliste. Après s'être assuré de la connivence de quelques ducs assermentés du sud, agents impénitents de la Françafrique subtile et triomphante, M. Yayi a passé le plus clair de son temps à cultiver sans complexe la politique du fils du terroir. Avec des nominations ciblées à motivation régionaliste qui s'effectuent en dépit du bon sens. Un accaparement régionaliste du pouvoir qui va de pair avec un clientélisme implacable, gagé sur les maigres ressources du pays dont la gestion patrimoniale est une aberration pour le « Docteur-économiste »-président. Mais l'aspect le plus stratégique du régionalisme s’affirme violemment dans l'ordonnancement du système électoral lui-même. D'abord on a vu le jeu de bascule dans la gestion de la LEPI qui est passée des mains d'un sudiste à celles d'un nordiste. Parce que sur ce point décisif Monsieur Yayi n'avait pas confiance aux traîtres stipendiés du sud qu'il amadouait pourtant. À la fois pour une question de sécurité ethnique mais aussi pour être à l'abri de cette tendance pseudo-civilisée des sudistes à pinailler, ratiociner ou faire de l'esprit là où est requise la discipline dans l’intérêt collectif. D’où le choix sécurisant d'un nordiste pour finaliser le trucage de la LEPI. Ce dernier, avec la sournoiserie infâme qui le caractérise, a pris à cœur la tâche, l’a menée avec brio et cynisme, sans état d'âme conformément à l'objectif qui lui avait été fixé. Bons et loyaux services rendus pour lesquels, tout aussitôt après les élections, il sera récompensé par la nomination au poste de ministre des affaires étrangères… Mais l’organisation des élections elle-même, compte tenu du fait que le match essentiel opposait M. Yayi à Me Adrien Houngbédji, un nordiste putatif à un sudiste invétéré qui plus est Porto-Novien, devait être concernée par la stratégie régionaliste. Elle a consisté à se doter d'un sous-marin de taille au cœur du cercle rapproché de l'ennemi, en la personne de Lehady Soglo ainsi que de ses géniteurs tapis derrière lui auquel avait été adjoint Epiphane Quenum qui n’avait été détaché de la Lépi que pour compléter le tableau de la diversion du sous-marin ; sous-marin qui a joué à la perfection le double jeu du traître magnifique. Mais l'ossature de la stratégie régionaliste se trouvait surtout dans le dispositif d'encerclement ethnique de l'adversaire. Elle a consisté à faire en sorte que toutes les personnalités qui comptaient institutionnellement dans l'organisation de l'élection présidentielle de mars 2011, ainsi que dans la certification de ses résultats fussent non seulement originaires du Sud mais de la même ethnie que l'adversaire de M. Yayi. Ainsi en est-il de Robert Dossou, président de la cour constitutionnelle ; de Joseph Gnonlonfoun, président de la CENA ; de Albert Tévoédjrè, médiateur de la République. Et même le commissaire qui devait prendre la tête de la répression du soulèvement des Porto-noviens contre le holdup électoral était un homme de Porto-Novo, le tristement célèbre commissaire Houndégnon, dont le nom défraie actuellement la chronique parce qu’un arrêt de la cour constitutionnelle a condamné ses frasques dans une affaire de violation des libertés individuelles. Mais, au moment du holdup électoral où ce triste personnage sévissait en synergie avec le système d'encerclement ethnique mis en place par M. Yayi, il n'était pas question de l'inquiéter, encore moins de le juger au nom de la constitution du Bénin.
Cette stratégie d'étranglement ethnique est saisissante et tout à la fois pathétique dans la mesure ou elle spécule non seulement sur la division ethnique du sud-- banalité politique et morale institutionnalisée--mais en raison de la facilité avec laquelle la haine de soi des gens du sud a dépassé les espérances de leurs manipulateurs nordiques. Ce qui rend saisissante la réussite de cette stratégie, c'est que d'un point de vue historique, à s'en référer aux méthodes des colonisateurs dont les nordiques se veulent les héritiers logiques et idéologiques, la méthode d’étranglement ethnique est tout le contraire de ce qui se faisait au temps colonial. Jadis, pour mater le Béninois ou le Togolais, le colon français faisait appel au soldat sénégalais dressé comme un chien à s'en prendre à des populations africaines tenues pour éloignées de lui. De même, du côté anglais pour « pacifier » les Yoruba, Ibo, ou Ijaw, etc. du sud les Anglais faisaient appel aux soldats Haoussa du Nord. Ses oppositions construites et encouragées par le colonisateur, comme cela a été le cas avec les Hutu et les Tutsi au Rwanda, contribueront à la tragédie des divisions nationales sur le golfe du Bénin, de la Côte d'Ivoire au Nigéria. Au contraire, et c'est cela qui en fait toute son originalité, la spécificité de la stratégie d'étranglement ethnique mise en place par M. Yayi dans le cadre de sa politique ethnocentriste consiste à mater le même par le même ; faire violence au même au moyen du même. Pour cela hélas, M. Yayi n'a pas eu à suer à grosses gouttes. Il avait à sa disposition et prêts à l'emploi, un ethos et un univers éthique--ceux des sudistes gangrenés par la haine de soi, la division et la résurgence des haines du passé : tout travers faussement stylisé et qui pour lui n'était que pain béni.
Réflexion sur la division des sudistes. En principe dans un pays sain, la question du gouvernement ne devrait rien avoir avec le fait d'être du sud ou du nord, de l'est ou de l'Ouest. Elle devrait concerner uniquement la compétence et la représentativité suffisante. À savoir comment mettre en jeu le fameux principe que les Anglais traduisent par «the right man at the right place ». Mais au Bénin, à l'instar des pays côtiers du golfe du même nom, il n'en est pas ainsi. D'abord comme partout en Afrique, la politique, démocratie ou pas, est soumise aux normes charismatiques du régionalisme. D’une certaine manière, ce n'est d'ailleurs pas le régionalisme qui est en cause. Car un régionalisme positif qui n’exclut pas mais s'appuie sur l'essence commune à une partie de la population peut être un moyen d'unir une nation hétérogène comme le Bénin. Le tout national n'est certes pas la somme des parties mais l'alchimie nationale passe par l'unification interne de chacune d’elles. D’une manière provisoire, le minimum qui aurait pu être espéré c'est que le régionalisme qui détermine la politique chez nous soit appliqué dans un esprit sain et de façon autonome. Or, le premier paradoxe de la politique au Bénin c'est que, bien que le régionalisme en marque la vie politique, c'est la région la moins peuplée qui gagne presque toujours les élections ; c’est d’elle que vient le président « élu » ! Cette aliénation est possible en raison des fraudes comme on l'a vu en mars 2011. Mais plus que les fraudes, la condition déterminante de cette aberration, réside dans l'héritage colonial qui a instauré la division au sud, l’a entretenue subtilement et la soutenue. Les sudistes plus nombreux, ayant été les premiers à être influencés par les Blancs, comme toujours chez les Noirs, n’ont retenu de leurs maîtres que les plus mauvais aspects : la division, le mépris de soi, l'individualisme, l'esprit de trahison, l'égoïsme, le pseudo intellectualisme, et pire la haine de soi... L'inauguration de tous ces travers a été scellée par le Blanc lui-même qui a appris au Noir à accepter l'inacceptable, l'improbable, l'impensable et à le rationaliser( le discours souvent oiseux sur l’équité, l’intérêt national, la République, l’égalité citoyenne, et tutti quanti…) Sinon au Dahomey, un pays dont le nombre de nordiques instruits en 1960 se comptait quasiment sur les doigts d'une main, comment le premier président élu pouvait-il raisonnablement être un type du Nord ? C'est tout de même renversant ! Non seulement il était un nordique mais, pour la petite histoire, originaire de la Haute-Volta ! De même, comment explique-t-on le fait qu'au Sénégal, pays à 90 % musulman, le premier président fût un chrétien ? Comment se fait-il qu'en Côte d'Ivoire, le premier président de ce pays--Houphouët-Boigny--soit d'origine ghanéenne ? Mystère… Et on pourrait continuer la litanie de ces loufoqueries et travestissements aliénants par lesquels le colon a repris le pouvoir dans les pays qu'il prétendait libérer de sa domination. Ces choix imposés, naturalisés et souvent passés inaperçus visaient seulement à sous-traiter la colonisation, en remplaçant l'étranger blanc qui s'éclipse en apparence par des Noirs minoritaires ou étrangers à leur propre peuple. C'est ce parti-pris d'aliénation au sens propre comme au sens symbolique qui devait assurer les fondements du néocolonialisme. Dans ce recrutement d'"étrangers" pour diriger les pays que les blancs prétendaient laisser à leur indépendance, la division était érigée en méthode de base. Or, en raison de l'hétérogénéité géographique, culturelle, historique et économique entre le nord et le sud du Bénin, hétérogénéité qui les pénalise, les nordiques n’ont de cesse de se faire volontiers les courtiers de la politique de perpétuation néocolonialiste des occidentaux. Tels ont été l'origine et le mode de la césure entre le Nord et le Sud dans les nations du golfe du Bénin. Les blancs voulaient des gens contrariés, minoritaires ou étrangers qui réprimeront la majorité et toucheront les dividendes de l'état de choses coloniales. C'est ainsi que sont nés les Eyadéma, Kérékou, Gowon, Abacha, Yayi et autre Ouattara pour qui, les Blancs mettent tout en œuvre pour garantir non seulement leur accession au pouvoir mais aussi et surtout leur perpétuation, parfois de façon héréditaire. Cette option colonialiste de la division pour régner explique ce qu'il se passe au Bénin depuis 50 ans. Entre la pression des nordistes à posséder le pouvoir présidentiel au titre de compensation et l'intérêt des Blancs, le ton du tropisme de la division, sa musique diabolique et son inspiration cynique remontent de loin et marquent l'ethos du sudiste. Mais avec la stratégie de l'étranglement du même par le même par laquelle M. Yayi s'est maintenu au pouvoir en mars 2011, lorsqu'on voit la conscience qui pousse les nordiques à la discipline régionale on se demande comment des gens instruits comme les Dossou, Tévoédjrè, Gnonlonfoun, et autres Houndégnon pouvaient avoir été mis en scène et manipulés pour frustrer la région dont ils sont issus, comment ils pouvaient jouer avec passion, parfois avec panache le jeu de la traîtrise et de la division alors que le camp d'en face ne trahit pas le moindre signe d'écart par rapport à l'impératif de l'unité ? Y aurait-il quelque chose dans l'ethos et l'univers culturel pour ne pas dire les gènes des sudistes qui les aveugle à ce point, leur fait perdre le sens du réel et des limites de la conscience de soi ? En voyant un tel spectacle de misère morale et intellectuelle, ne doit-on pas enfin comprendre dans un sens plutôt négatif le qualificatif de quartier latin par lequel les élites du Sud du Bénin se glorifient de détenir un plus intellectuel, qui en fin de compte n’est qu’un leurre et un trompe couillon ? Ne doit-on pas mettre radicalement en doute l'influence de la culture occidentale sans filtre ni recul ? Peut-on penser qu'un commissaire nommé Bio Worou ou Saliou Imorou pourrait être commis à mater les populations du Nord comme l’a fait avec zèle le préfet Nouatin ou le commissaire Houndégnon ? Peut-on penser qu'un président de la cour constitutionnelle originaire du Nord prononcerait avec alacrité un jugement favorable à l'élection truquée d'un président du sud parce qu'il aurait accepté l’ordre de la Françafrique et des milliards pour ce faire ? Peut-on penser qu’un président du CENA originaire du Nord, par la bénédiction de la Françafrique, et moyennant des dizaines de millions de rétribution, peut accepter de combiner pour faire élire sans état d'âme un président du sud ? Peut-on accepter qu'un médiateur de la république, originaire du Nord puissent, par l’influence de la Françafrique jouer les missi dominici auprès de la communauté internationale pour l'élection truquée d'un président du sud ? Tout cela est hélas possible ; et ça se passe au sud du Bénin, dans une inconscience renversante qui n’empêche pas les auteurs égoïstes de ces crimes de lèse-collectivité de pavoiser.
Adama Bougou
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