Avec l’arrivée au pouvoir de Boni YAYI en 2006, on a vu débarquer avec lui à la direction des affaires du pays nombre des cadres de la BCEAO et de la BOAD. Bien sûr auparavant on en trouvait par ci par là comme conseillers techniques à l’économie à la présidence de la République ou au ministère des Finances. Il y a eu Abdoulaye Bio Tchané à la tête du ministère des Finances et qui en est parti après le scandale que l’on sait de la SONACOP rachetée avec les propres ressources de la société. Mais c’était comme des compétences individuelles appelées dans une équipe gouvernementale à horizon plus large.
Certes, ces équipes exécutaient toutes, sans exception depuis 1988 au moins, les injonctions du capital financier dictées par le FMI, la Banque Mondiale ainsi que les puissances dominatrices, française notamment à travers les Programmes d’ajustement structurel et ensuite les stratégies dites de croissance et de réduction de la pauvreté. Mais les interlocuteurs béninois de ces agences financières FMI et Banque Mondiale, n’étaient pas tous « formatés » par des dogmes monétaristes et les a priori idéologiques des maîtres de la finance internationale.
A partir de 2006, au contraire, avec Boni YAYI, ce sont les cadres de la BCEAO et de la BOAD qui se retrouvent à la commande directe de l’économie. Ils ont noms, à commencer par Boni YAYI lui-même dont le titre de docteur est clamé à tout bout de champ, Pascal Iréné KOUPAKI, Soulé Mana LAWANI, Idriss DAOUDA, Jonas GBIAN, au ministère des finances, KOUPAKI, Marcel de SOUZA au ministère chargé du plan, Nicaise FAGNON au ministère des transports et des travaux publics. Dans leurs cabinets respectifs dominent, en tant que directeurs de cabinet ou conseillers techniques à l’économie de nombreux cadres de la BCEAO.
Ils ont « débarqué » en nous promettant le Changement, une gestion rigoureuse de l’économie, la fin de la misère (le fameux ‘ya na yi’), la performance et la création de valeur. On allait voir ce qu’on allait voir. On nous a promis l’émergence avec un taux de croissance de 7% en moyenne à partir de 2008, pour atteindre un taux à deux chiffres à partir de 2010. La production de coton devrait atteindre dès la campagne 2006-2007 le niveau de 600.000 tonnes. KOUPAKI fit inscrire comme slogan en bas de page de tous ces courriers « performance et création de valeur »
Mais force est de remarquer qu’il n’y a pas échec plus retentissant que celui du pouvoir du Changement.
Malheureusement sur le dos dès travailleurs et des peuples dont les conditions de vie, déjà misérables plongent dans l’abîme. Au Bénin les travailleurs et les masses sont au bord de la dégénérescence physique, car il est difficile de s’offrir pour la grande majorité plus d’un repas par jour. Selon les chiffres de l’INSAE, En 2010, 40% de la population dispose de moins d’un dollar par jour pour vivre. Le chômage s’est accru avec un sous -emploi endémique frappant plus de la moitié de la population au Bénin (55,8%). La croissance économique est en berne : 2,7% en 2009, 2,2% en 2010, taux le plus bas depuis l’an 2000. L’inflation qu’on a promis maîtriser s’est envolée érodant le pouvoir d’achat déjà maigre des populations.
La production du coton s’est effondrée et le gouvernement qui, chaque année, y engloutit des milliards de francs de ressources publiques est incapable de donner des chiffres de la récolte de la campagne 2011-2012. Voilà le spectacle qu’offre la gestion de nos experts, agents du capital financier, relais du FMI et de la Banque Mondiale.
Disons tout court, on n’aura jamais une gestion plus improvisée, plus mafieuse, plus incohérente du pays sous la direction de ces experts de la BCEAO et BOAD, devenu président de la République, ministre d’Etat, ministre des finances, ministre des travaux publics. Le terme même de planification, dans la soumission servile aux thèses de HAYEK qui assimile tout plan à du planisme et planisme à la dictature, a disparu de l’intitulé du ministère qui devrait en avoir la charge. KOUPAKI, à la tête de ce ministère a géré les dossiers de dénationalisation (AIC, coton, et puis PVI, Bénin Télécoms) qui se révèlent tous aujourd’hui des scandales. Ailleurs l’équipe du capital financier au pouvoir au Bénin, accumulera d’autres scandales, CEN-SAD, Avion Présidentiel, machines agricoles, route Allada-Ouidah, etc. Chaque concours de recrutement est un scandale où sont déclarés prioritairement et majoritairement reçus les protégés de sérail.
Le record des scandales aura été atteint avec l’affaire ICC-Services. On a de la peine à croire qu’un pouvoir assumé par des banquiers à la Présidence (Boni YAYI), au ministère du plan et à la mobilisation des ressources financières, (KOUPAKI), aux finances (Lawani puis DAOUDA) ne puisse prévenir les travailleurs et les populations et les épargner de l’arnaque de la chaîne de Ponzi qui se tissait sous leurs yeux. Non seulement les ressources publiques sont pillées, mais également l’épargne des citoyens avec le silence coupable de ces experts de la BCEAO et de la BOAD au pouvoir au Bénin.
Enfin, la pratique des agents financiers au pouvoir aura confirmé, en matière de la gestion des libertés, la thèse selon laquelle le capital financier au pouvoir est d’essence et de nature fasciste. Boni YAYI, en a fait la démonstration aux dépens de toutes les couches sociales, sur toute l’étendue du territoire.
Des députés ont été bastonnés, des rois mis en prison, des ministres et hauts fonctionnaires de la justice assassinés sans suite, un cadre disparu avec effet et bagage jusqu’à ce jour. Les campagnes et missions ministérielles de dénigrement des grévistes, les menaces de leur radiation de la Fonction publique, les interdictions de manifestations publiques par le pouvoir central et ses préfets, l’envoi de la troupe et même des chars contre des manifestants pacifiques et contre la Bourse du Travail, le tout couronné par ce hold-up électoral de mars 2011 où l’on a voté sans listes préalables connues des électeurs et des bureaux de vote, la privation des douaniers du droit de grève, voilà le palmarès des experts qui nous gouvernent et qui peaufinent des plans et complots pour se perpétuer au pouvoir après 2016 soit directement avec YAYI ou bien par KOUPAKI, grand conférencier de la Refondation autocratique.
Est-ce un hasard ? A regarder ce qui se passe de par le monde et, mieux, la théorie et la culture des maîtres du capital financier, on doit répondre par la négative. Le capital financier n’a pas pour objectif le développement, c’est-à-dire une accumulation entretenue des ressources productives du pays. Son objectif, c’est de se faire de l’argent, à propos de tout et de n’importe quoi, dusse la production en pâtir et les hommes en mourir. Historiquement, c’est le capital productif (industriel) qui a été et qui est le moteur du développement des pays. Ce ne sont pas les chevaliers des finances, mais les capitaines d’industrie qui ont construit les pays aujourd’hui développés. Ce sont les révolutions agricole, puis industrielle qui ont transformé les pays autrefois arriérés en des puissances au point que les crises, de sous-production qu’elles étaient sont devenues des crises de sur production.
L’ancêtre du capital financier, le capital usuraire et puis bancaire n’avait pas alors fusionné avec le capital industriel et ne le dominait pas, mais au contraire servait la production. C’est entre 1870 et 1900 que le capital bancaire, fusionnant avec le capital industriel s’est transformé en capital financier avec de grands groupes monopolistes avec l’ère de l’impérialisme.
A partir de cet instant, le capital financier n’ayant pas pour objectif premier le développement de la production mais le profit maximum et la rentabilité immédiate, Le court-termisme prendra de plus en plus le pas sur les investissements et la rentabilité à long terme. La recherche du profit maximum et immédiat créera des bulles en détachement avec la production matérielle, avec l’économie réelle. Ce qui importe au capital financier, c’est le placement de l’argent et non l’investissement en tant que tel. La valeur des actions à la bourse par exemple augmente avec le licenciement des ouvriers et la destruction de secteurs entiers de la production. Les désastres inhérents à cette situation se remarquent avec la crise des « subprimes » qui a déclenché l’effondrement de nombre de pays en Europe.
Le pouvoir total du capital financier fut consacré avec la victoire en 1974 avec l’attribution du prix Nobel d’économie à la théorie de HAYEK qui condamne toute planification et prône le libéralisme sans restriction. Thatcher en Angleterre et Reagan aux Etats-Unis en furent les champions. L’application aux pays arriérés consistera en les fameux et ruineux programmes d’ajustement structurels en cours depuis les années 1980 dans les pays africains par le FMI et la Banque Mondiale. Aucun pays ne s’en est sorti depuis trente ans et pourtant les cadres des officines financières continuent d’afficher arrogamment leur infaillibilité.
Les cadres du capital financier et en particulier ceux de la BCEAO sont formés et nourris de préjugés somme toute idéologiques de la non intervention de l’Etat dans la sphère de la production alors que l’histoire a montré que tous les pays européens(à l’exception de l’Angleterre) se sont développés sur la base de l’interventionnisme d’Etat et tous (y compris l’Angleterre) se sont reconstruits après la seconde guerre mondiale avec une forte intervention des Etats dans les secteurs stratégiques de la production, des finances, de l’énergie, des transports etc. Notre pays est-il dans un état meilleur que ces pays à ces époques là ?
En ce qui concerne spécifiquement la BCEAO, on sait qu’elle est chargée, après les indépendances de 1960, de la poursuite de l’économie de traite coloniale et en particulier de gérer le franc cfa (le franc des Colonies Françaises d’Afrique rebaptisé franc de la Communauté Financière Africaine) qui est demeuré un sous-multiple du franc français puis de l’euro. Elle n’est en réalité qu’une « caisse » pour le Trésor Français. Les réserves des pays africains sont déposées au Trésor français sur le fameux compte d’opérations et seule une part est mise à la disposition de la BCEAO. Conséquence, les résidents de ces pays, les opérateurs économiques ne peuvent, contrairement à ceux des pays voisins comme le Ghana ou le Nigéria, avoir et gérer des comptes bancaires en devises étrangères. C’est dire que la BCEAO continue d’être une structure néocoloniale où siège à son conseil d’administration des représentants officiels du Trésor français et dans chaque pays, dans les Comités de crédit, des représentants de l’Agence française de développement. Les cadres africains de la BCEAO ne peuvent définir une politique indépendante du maître français et des années d’exercice ont fini par mouler nombre d’entre eux dans les schémas du seul maître colonisateur. L’industrialisation de nos pays est freinée par toutes sortes de normes dites de bonne gestion. Alors que les taux directeurs, dont dépend les taux de crédit aux entreprises et aux particuliers fluctuent entre 0 % et 2 % en Europe, au Japon et aux Etats-Unis, ils sont de près de 5% dans les pays de la BCEAO. L’entrepreneur européen peut avoir son crédit à 3-4 % pendant que celui du Bénin ou d’autres pays de l’UEMOA, pays dits en voie de développement et qui devraient accéder à des crédits moins chers, se retrouvent avec des crédits à 10-12 % avec en plus la nécessité d’un apport personnel de plus de 30% du montant du crédit pour les projets d’investissement industriels et immobiliers. Les cadres de la BCEAO sont ainsi à l’école quotidienne de la gestion d’une économie de traite et leur proclamation de spécialistes des politiques de développement du fait qu’ils sont de la BCEAO ou du FMI est pure prétention.
On peut alors comprendre leur silence et complicité face à l’affaire ICC, du moment, disaient ceux d’entre eux qui en parlaient avant l’éclatement de la bulle, que cela enrichissaient des béninois. On peut comprendre que depuis 32 ans, les PAS et les stratégies soi-disant de croissance et de réduction de la pauvreté ne donnent rien. On comprend pourquoi les Boni YAYI, KOUPAKI et consorts de la BCEAO, de la BOAD et du FMI ont tragiquement échoué dans leur prétention à diriger notre pays vers l’émergence et, au contraire, l’ont conduit dans le gouffre. La faillite des experts du FMI, de la BCEAO, de la BOAD dans la conduite des affaires de notre pays est sans appel ! Les travailleurs, la jeunesse et le peuple doivent en tirer les leçons pour l’avenir.
J. K. Z.
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par Jean Kokou ZOUNON
Statisticien Economiste
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