Ce qu'il se passe au Sénégal est significatif à plus d'un titre. Par rapport au Sénégal lui-même c’est un formidable regain de confiance et de notoriété pour la démocratie. Depuis Senghor à Abdou Diouf, même si l’un avait renoncé à se pérenniser au pouvoir et l'autre finit par accepter le verdict des urnes à contrecœur et l'âme en peine, la démocratie sénégalaise, à l'image de la politique sénégalaise, manquait d'autonomie et vivait sous le décret néocolonial français. Avec Abdoulaye Wade, ce décret s'est systématisé, et l'hégémonie d'un parti a scellé la nature douteuse des pratiques politiques. Les élections étaient truquées. Les grandes décisions politiques étaient le seul fait du prince. Le déséquilibre s'observe dans le contraste entre la pauvreté grandissante des Sénégalais, et le goût des réalisations pharaoniques de M. Wade ; réalisations dont la première fonction était d’immortaliser leur auteur supposé et dans le même élan de s'adonner au népotisme et à la corruption, pendant que le peuple se paupérise à vue d'œil. Après avoir reçu ses lettres de noblesse sous l'impulsion bienveillante de Senghor, le soleil de la démocratie au Sénégal a pâli ; la vie démocratique s'est conformée au modèle frauduleux en vigueur en Afrique et dont le Mali, qui vient de connaître un coup d'État, était cité en exemple. Une démocratie théâtrale, où les élections sont systématiquement truquées, les institutions instrumentalisées, et le peuple cyniquement mis à l'écart. Une démocratie frauduleuse de classe et de caste menée par un ramassis d'interlopes, à la solde néocoloniale des occidentaux--la France en tête. Dans cette logique viciée et aliénée, le pouvoir étant souvent présidentiel, ce sont les occidentaux qui nomment à l'avance le « bon président », et la farce électorale servait à le faire passer en contrebande comme président élu par le peuple. Et lorsqu'il se trouvait un homme fort pour résister à la farce comme en Côte d'Ivoire, on lui donne l'ONU et l'armée française ; on le guerroie sans merci, comme naguère la France guerroyait Béhanzin, jusqu'à le détrôner, l'accuser de tous les maux, l'humilier, le déférer devant le tribunal des Blancs quelque part à la Haye, en Europe ; le temps de le remplacer par un « bon président », c'est-à-dire, entre autres choses, un homme au bon pédigrée néocolonial, bien marié à une femme française comme cela se doit !
|
Et c'est là qu'intervient l'autre aspect intéressant du sursaut démocratique qu'on observe au Sénégal. Non seulement le peuple a marqué une victoire politique sur les manigances sempiternelles de la Françafrique qui a perverti l'élan démocratique initial du Sénégal, mais par sa résistance et sa vigilance, la jeunesse sénégalaise, le peuple tout entier a obtenu une victoire symbolique de taille : depuis 1960 c'est la première fois que l'épouse d'un président du Sénégal sera d’origine sénégalaise ! Cela marque bien un progrès dans la démocratie, qui a permis ce succès de la volonté authentique du peuple et dans le même élan, un progrès dans l'autonomie intime du Sénégal ; et ose-t-on l'espérer de toute l'Afrique… Banusô Akindele |
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.