À mon avis, la démocratie en Afrique doit commencer par une éducation morale et philosophique très forte. Elle doit être étayée sur un projet éthique clair. Car la démocratie dans les conditions où l'Afrique est appelée à l'acclimater est un défi de tous les instants. L'équilibre des institutions, des instances et des personnes pour ne pas dire des pensées doit être recherché à tout instant. La claire distinction entre l'esprit des lois et leur lettre doit être faite. Et préférence doit être accordée à l'esprit sur la lettre, car la lettre des lois sans leur esprit ou au-dessus de leur esprit mène à la déviance, au délire et à l'arbitraire. Ce projet éthique suppose a priori de mettre fin à la culture de la corruption, qui fait que les acteurs de la politique en Afrique sont essentiellement motivés par les avantages du pouvoir, l'appât du gain, l’enrichissement monstrueux, et le détournement sous toutes ses formes. Cette orientation de principe étant prise, la conception de la démocratie prend une tout autre tournure. Outre qu'il faille mettre fin au théâtre, qui consiste à placer la société politique tout entière devant le fait accompli d'élections truquées et d'élus mal élus, une rigoureuse éthique de gouvernement est requise, dans l'hypothèse d'élections justes et honnêtes, débarrassées de toute fraude. Pourquoi frauderait-on si ce n'est pas pour s'accaparer du pouvoir et s'enrichir facilement aux dépens du peuple ? Le fait même d'être élu proprement ne suffit pas pour s'enfermer dans un gouvernement autoritaire, ou monopartite. Dans les conditions actuelles de l'Afrique, l'expérience démocratique doit allier la responsabilité politique du fait majoritaire à la nécessité de l'ouverture sinon du consensus politique. Là aussi l'affichage trompeur du discours du consensus, sa mise en scène institutionnelle doit être rejetée au profit d'un consensus réel, et dynamique. Le fait d'être majoritaire, élu sans fraude doit rendre humble et prédisposer à la culture de la négociation, basée sur la transparence, la clarté des objectifs et le choix des moyens techniques et politiques pour les atteindre. Tout cela suppose une prééminence accordée à la culture, à l'instruction et au développement social des échanges de pensée. Au-delà de la lutte contre l'analphabétisme, l'accent doit être mis sur la valorisation de la réflexion au service du développement humain, individuel et collectif. Les Africains doivent redéfinir leur rapport à la culture et, rompant avec la logique d'aliénation qui caractérise jusqu'à présent ce rapport, ils doivent intensifier sa mise au service d'une prise de conscience radicale de leur situation dans le temps et l'espace. L'Allemagne donne un exemple éclairant de cette démocratie éclairée que nous appelons de tous nos vœux en Afrique. Bien que n'étant pas comparable à un pays africain tant du
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point de vue économique, intellectuel et culturel,--ce grand pays où la culture philosophique connut ses moments de gloire avec les Leibnitz, les Spinoza, les Kant, les Schopenhauer, les Nietzsche, les Heidegger, les Habermas, et j'en passe--est gouverné depuis cinq ans dans un esprit d'union nationale. Un esprit qui n'altère en rien l'identité des partis et qui vise à sauvegarder l'intérêt du pays et le conserver sur la bonne voie. Ce n'est pas pour rien que, malgré la crise qui secoue l'Europe jusqu'à décoiffer la France, l'Allemagne reste un havre de santé politique et de sécurité économique. Ce choix d'une démocratie éclairée et équilibrée est la preuve si besoin est que lorsque l'on pense, et que l'on pense bien, on doit accepter que la démocratie n'est pas une fin en soi. Prof. Atinpahun Barnabé |
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