Pour qu’une collectivité humaine s’épanouisse et progresse, elle doit connaître son histoire. L’histoire nationale est constituée des faits déterminants et des grands acteurs qui ont contribué à façonner l’état et la situation actuels de la collectivité nationale. Ces faits et ces acteurs ne sont pas tous et toujours positifs ; ils ne sont pas tous et toujours empreints de dignité ni d’égale valeur éthique, encore moins sont-ils tous dignes d’être cités en exemple. Cependant, pour la vérité, l’objectivité et la guidance historiques, il convient de les dire, ces faits tels qu’ils se sont déroulés, et ces acteurs tels qu’ils ont agi.
La question de la vérité historique se confronte à deux problématiques distinctes. L’une d’ordre épistémologique qui met en jeu la correspondance du discours avec les faits ; et l’autre d’ordre axiologique et éthique de ce qui fait valeur pour la communauté, de ce sans quoi, la communauté risque de ne pas atteindre ses buts primordiaux. Ainsi, si une communauté excelle dans l’art de se mentir à elle-même, il arrivera un moment où l’océan de mythes qu’elle invente pour se voiler la face la submergera et l’emportera dans sa furie autodestructrice. Non pas que, bien que relevant de la science, l’histoire ne doive pas frayer avec le mythe, mais la mesure dans laquelle elle peut user du mythe ne doit pas confiner à l’abus. Il y a donc un usage du mythe dans l’histoire, en tant qu’il est sociologiquement efficace ; et une mesure au-delà de laquelle cet usage devient débilitant, obscurantiste et rétrograde.
C’est pour cela que la recherche de la vérité historique, doit aller de pair avec le refus de toute complaisance, de la valorisation égoïste de l’émotionnel et de l’embellie mémorielle. Faire l’histoire ce n’est pas juger nos grands parents ou nos aïeux en tant que personnes mais des faits ou des actes dans lesquels, selon ou en dépit de leur détermination sociologique, et idéologique, ils furent amenés à agir. Les jugements nécessaires que le point de vue historique est amené à tenir sur eux en tant qu’acteurs nationaux ne mettent pas en cause leurs être et rapports personnels mais ces jugements ne visent qu’à établir la vérité historique. Celle-ci est le guide de la conscience collective, la lumière dans la pénombre du présent et le phare dans le long voyage du futur.
Deux exemples choisis dans l’histoire des nations européennes illustrent cette nécessité. D’abord en France, avec les deux figures principales du drame national qu’a été la seconde guerre mondiale : le Général De Gaulle et le Maréchal Pétain. Aujourd'hui en France, tout le monde s’accorde à reconnaître la place de choix et l’image exemplaire du Général de Gaule dans l’historiographie, l’imaginaire er la conscience collective des Français, tout au moins dans son rôle de protagoniste de la seconde mondiale. Dans le même ordre d’idées, comme le négatif d’une photo, le Maréchal Pétain est placé dans l’ombre de l’indignité. Il est, du moins dans son rôle durant la Seconde Guerre mondiale, qui a tendu à effacer ses actions antérieures, considéré et traité comme l’exemple de ce qu’il ne faut pas citer en exemple. Un silence gêné recouvre son image, défendue seulement par les inconditionnels du nationalisme délirant, et les révisionnistes en mal de nostalgie.
De même en Allemagne, Hitler est déchu de toute considération en tant que personnage national, alors qu’il a été le chef de l’Etat allemand jusqu’à la toute fin de la seconde guerre mondiale ; et seuls les extrémistes de droite, souvent des jeunes qui n’ont aucune connaissance claire des événements historiques, et qui en font une bannière mythique de leur fascination de la violence criminelle ou nostalgiques d'u troisième Reich, se réclament de lui.
C’est dire que l’histoire dans son objectivité en tant que vérité des faits du passé, comme dans son rapport à l’éthique en tant que ce qui vaut pour une collectivité, est amenée à faire des choix. Certes, il est des fois en effet où le regard jeté sur un fait ou un acteur de l’histoire n’est pas le même selon que l’on adopte un point de vue régional, spécifique ou partiel. Mais la nécessité de jugement de valeur dans l’histoire qui va de pair avec la recherche de l’objectivité historique transcende la relativité des points de vue. Cette nécessité vaut pour toutes les nations éprises de progrès et qui se veulent éclairées sur le chemin de l’avenir. Ce qui vaut pour les Allemands et les Français vaut aussi pour les Africains et les Béninois que nous sommes.
Ainsi, lorsqu’on considère deux personnages historiques importants que sont les Rois Béhanzin du Danhomè et Toffa de Hogbonou, force est de se demander si, d’un point de vue de la vérité historique et éthique, ces deux personnages doivent être placés sur le même piédestal. On a pu voir l’État s’intéresser à la célébration du centenaire de la mort de tel ou tel de ces rois. Le Roi Béhanzin a eu droit en premier à une reconnaissance nationale mettant en avant son image de Résistant à la domination coloniale. Le culte rendu à son image et à sa mémoire, d’un point de vue national et africain, était pertinent et juste. De plus, il traduisait la prise en compte de la vérité historique attachée à ses faits et gestes, à son héroïsme, son courage, son abnégation, son patriotisme et son sacrifice. Ce choix de célébrer comme il se doit la mémoire et l’image de Béhanzin était un choix pertinent et fondé de la part du régime Révolutionnaire des années 80, même s’il avait pu être instrumentalisé à des fins idéologiques pour servir une cause bien moins glorieuse….
Lire la suite
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.