Dans les années qui ont suivi les indépendances - et passée l'euphorie de celles-ci - beaucoup de changement eurent lieu dans la vie politique des jeunes nations africaines. Certains de ces changements se produisirent dans la violence--comme les coups d'état--d'autres furent plus symboliques et idéologiques comme le changement de nom de certains chefs d'État. Ces derniers changements n'étaient pas sans rapport avec les premiers. D'abord parce qu'il apparaît qu'ils se produisirent tous dans la zone francophone de l'Afrique -- Congo, Gabon, Togo-- et qu'ils concernèrent des autocrates qui se considéraient implicitement sinon ouvertement comme présidents à vie. Le parti unique était dominant à cette époque où, même les régimes qui se disaient antimarxistes en Afrique organisaient le pouvoir et l’exerçaient sur le mode de de la démocratie populaire en Chine ou chez les Soviets. De fait, et peu à peu, l'Afrique avait fini par faire l'objet d'une fracture idéologique à l’image de la tension bipolaire qui caractérisait la période de la guerre froide dans le monde. On avait d'un côté l'Afrique révolutionnaire, l'Afrique des peuples, l'Afrique de la résistance, l'Afrique de la dignité et de la conscience ; et de l'autre l'Afrique de la réaction, l'Afrique de la répression des aspirations populaires à la liberté, l'Afrique des gouvernorat déguisés, l'Afrique des partis uniques. Les changements de nom interviennent à la suite de ces soubresauts politiques. Ils accompagnent l'instauration à marche forcée du monopartisme, qui est le régime idéal pour néocoloniser tranquillement les nations auxquelles les Blancs venaient pour d'obscures raisons d'octroyer de factices indépendances. La non-indépendance ou plus exactement la dépendance de fait est la donnée de fond de la condition politique africaine issues des indépendances formelles. Le cas du Gabon est assez significatif à cet égard puisque ce pays de l'Afrique centrale, loin de demander son indépendance avait, par l'intermédiaire de celui qui en sera le président, opté pour la départementalisation. Ce que le général De Gaulle refusa. L'homme qui venait de libérer la France du joug du nazisme n'entendait pas garder officiellement un pays--fut-il africain--sous tutelle coloniale ouverte, d'autant plus qu'après avoir combattu longtemps les légitimes aspirations des peuples africains à l'indépendance, les Blancs--toutes nations et cultures confondues--avait fini par découvrir le bénéfice essentiel du néocolonialisme : tous les avantages de l'exploitation coloniale sans aucun de ces contraintes ou inconvénients ! |
L'idée simple de cette fracture était qu'il y avait les vrais Africains patriotes d'un côté, ceux qui luttaient pour une Afrique libre et africaine ; et de l'autre une Afrique aliénée, trestresse,à genoux, vendue et à la merci de la domination des occidentaux. Certes ce clivage avait quelque chose de manichéen, de simpliste et réducteur ; car les personnages ainsi figés -en dehors de ceux qui étaient décédés-pouvaient évoluer idéologiquement. Ainsi un Sékou Touré de héros du non au général De Gaulle, aidé certes par le les provocations incessantes du néocolonialisme français, avait fini par devenir un sombre dictateur. De même, quel rapprochement peut-on faire entre le libérateur du Zimbabwe des premières années d'indépendance et le Robert Mugabe des années 2000 ? Toutefois, malgré le caractère réducteur de ce clivage, il contenait un fond de vérité qui résumait la lutte des classes en Afrique et la condition pluriséculaire de l'Afrique dans son rapport avec l'Occident capitaliste. C'est ce rapport et ce fond de vérité qui n'arrangeaient pas l'image des « pays réactionnaires », ainsi que les affaires de leurs maîtres hauts placés qu'il fallait gommer ou prendre de front. En se lançant dans une pseudo politique dite d'authenticité au Zaïre, le président Mobutu faisait de la surenchère pour se défaire de son image d'assassin de la dignité africaine et de sa liberté, afin de revêtir les atouts frauduleux de l'Afrique des origines et de l'identité africaine. C'est le même but qui a été poursuivi au Togo où le président Étienne Gnassingbé se donna à connaître au monde sous le nom de Eyadema. Et le président gabonais Bernard Bongo, devenu Omar Bongo, y ajoutait une touche religieuse pour montrer que son pays était ouvert à d'autres sources d'influence que celles auxquelles le monde entier le savait indéfectiblement attaché. Il est significatif de noter que ces opérations cosmétiques d'inspiration médiatique et dont le but était de manipuler les esprits et les opinions ne se sont produites que dans l'Afrique francophone. Non seulement parce que c'était l'espace ou le néocolonialisme était le plus actif et le plus sévère et aussi parce qu'en raison de la différence de nature entre le système anglais et le système français, dans la zone anglophone, où les autochtones avaient infiniment moins recours aux prénoms européens, rares étaient les chefs d'État qui n'avaient pas de nom typiquement africain. Au total, ces changements de nom, intervenus dans trois pays phares du système néocolonial français avaient une visée manipulatrice. Il s'agissait d'une dénégation symbolique du néocolonialisme et de leurs corollaires, la servilité aux Blancs et l’aliénation sous toutes ses formes ; une surenchère opportuniste et passablement trompeuse visant à brouiller la représentation clivée qui classait ces pays et leurs dirigeants éponymes parmi les traîtres à la cause africaine. |
Bouabré Anicet, Agrégé de Philosophie
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