L'un des motifs de ces divisions à la base consiste à justifier la volonté d'exorciser le démon de la sécession qui hante le Nigéria depuis l'exemple malheureux de la guerre du Biafra. Une entité ethno-étatique très grande peut vite, pense-t-on, céder à la tentation de la sécession. Aussi, l'antique politique de diviser pour régner est-elle appliquée au système des états de la fédération. Mais comment fait-on une fixation sur la désintégration de l'ensemble au prix du désir effectif des parties à vivre ensemble ? Un des cas concrets de cette division paradoxale est offerte par la situation du yorubaland. Contrairement à ce qui aurait pu paraître normal pour nous Béninois, nos frères Yoruba ne relèvent pas d'un seul et même État, mais sont répartis en au moins six État différents. L'idée est que toute différence politique au lieu de faire l'objet d'une discussion politique et démocratique est passée en pertes et profits de l'autonomie étatique. Il y a autant d'état yoruba que de volontés politiques autonomes. Et rien n'empêche la désintégration de continuer. L'équilibre actuel étant tout à fait précaire. Chaque fois qu'un petit groupe voire un homme puissant aspire à être gouverneur, eh bien, il lutte dans ce sens pour la création d'un État, et la chose finit par avoir lieu selon la fantaisie et les intérêts politiciens du pouvoir central. Pour donner du sens à cette autonomie fractale, il suffit d'aller dénicher dans l'histoire plus ou moins lointaine tel événement douloureux, telle guerre, tel massacre vivace dans la mémoire collective, tel esclavage qui justifie que telle partie puisse aspirer à son identité spécifique, à ne pas se compter ensemble avec les autres ou parmi eux. Et ce, en dépit de ce que les Yoruba et assimilés ont en commun de leur passé, de leur culture, de leur Panthéon, de leur langue et de leur géographie.
A priori cette logique de subdivision fractale ne connaît pas de limite, sauf bien sûr le risque de verser dans le ridicule et d'avoir par exemple autant d'États que d'affluents d'une même rivière… Dans le yorubaland c'est cette logique qui a fait passer de ce que l'on appelait jadis la région du sud-ouest aux six États actuels que sont Oyo, Ondo, Ogun, Osun, Ekiti, Lagos, le phénomène est le même dans toutes les parties, notamment au sud, dont la taille critique pourrait
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menacer l'a priori dogmatique de l'appartenance à la fédération Ainsi, le pays ibo est-il divisé paradoxalement en quatre états alors même que le discours éthique des Ibo ainsi que la manière dont ils se donnent à voir aux autres est marqué du sceau de l'unité fraternelle. Cette division fractale du même qui s'est voulue l'antidote de la hantise de la déflagration d'un assemblage fédéral géant est paradoxal ; elle hypothèque la survie même du Nigéria. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas désirer ou prêcher l'union fédérale là-même où on s'est acharné ou l’on s'acharne à cultiver la subdivision de parties que rien ne justifie. Ce paradoxe politique est devenu l'exemple et la cause même de la difficulté du Nigéria à se consolider comme nation. Le problème morphologique dans ce grand pays multiethnique c’est que le Nigéria se dit fédération comme les États-Unis ou l'Allemagne ; or dans ces deux derniers pays on sait de quoi et de quelles entités bien distinctes ils sont des fédérations. Ces fédérations n'ont pas été faites dans le souci de brider le désir de sécession. Ce sont des états positifs qui existent par eux-mêmes et dont l'existence est fondée : dans l'histoire, la géographie et l'économie. Mais dans le cas du Nigéria, à ne considérer que l'exemple du yorubaland, nous avons affaire à des États négatifs dans le sens où il s'agit d'une même nation artificiellement divisée en états sur la seule base de dissensions politiques plus ou moins servies par l'histoire ou la géographie et ce sous des motifs d'ordre politicien. Sous le rapport morphologique, à condition d'y remédier avec intelligence et courage, la stabilité et la paix ethniques du Nigéria restent sujettes à caution. |
Aderopo Biola
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