Quelques Bizarreries sur la Démographie Béninoise
La démographie est un outil de développement. Dans une société démocratique elle est un élément clé de construction de la rationalité légale. Mais malheur-eusement, en raison des incidences politiques et électorales, la démographie est vite prise en otage par le pouvoir politique.
L'une des raisons de cette séquestration politique de la démographie réside dans le régionalisme et l’ethnicisme qui inspirent et structurent les pratiques politiques et électorales dans notre pays.
De ce point de vue, la démographie béninoise est exposée au fantasme de perpétuation politique inhérent à la démocratie de façade, sans éthique, sans valeur, sans justice et sans alternance qui a la faveur de ceux qui détiennent le pouvoir. Une démocratie sans peuple et où souvent, tout se décide à coups de manipulation, de trucage et de supercherie par un petit nombre de gens qui s'évertuent à créer l'illusion de l'apparence démocratique et du jeu institutionnel. Une sorte de Canada Dry de la démocratie, sans l’essence ni le principe fondamental.
Cette torsion du champ politique dans le contexte régionaliste aboutit fatalement à quelques incongruités. Celles-ci mériteraient un examen sociologique approfondi pour découvrir leurs raisons et les voies et moyens de leur éradication. Mais le but visé ici, loin du sérieux d'une étude sociologique, est de relever ces bizarreries avec en ligne de mire l'élément dominant qui les détermine à savoir le régionalisme et la parodie démocratique ; toute chose prisée en Afrique et dont le Bénin vient d’éditer un chef-d'œuvre avec le récent maintien au pouvoir de son président. On sait que ce maintien a été, entre autres choses, rendu possible grâce au pouvoir inducteur d'une LEPI truquée, alors qu'elle était censée être un outil démographique de développement.
La première bizarrerie est celle de la fonction politique sous l'angle du clivage régionaliste Nord-Sud. Les études démographiques montrent que le sud est de loin plus peuplée que le Nord. Ces études montrent aussi une certaine unité culturelle et symbolique du Sud différente sinon opposée à celle du Nord. Un peu moins des trois-quarts de la population du Bénin se trouvent au sud ; et un peu plus du quart se trouve au nord. Certes tous ceux qui sont au sud ne sont pas des sudistes et tous ceux qui sont au nord ne sont pas des nordistes. Toutefois on calculerait aisément que 65 % des Béninois sont Fon, Goun, Yoruba, Adja, Mina, Aïzo, Nago, groupes linguistiques et ethniques du Sud (Adja/Yoruba). Ces groupes, malgré leurs différences partagent beaucoup de choses en commun et ce de façon historique. Comment se fait-il alors que 65 % des représentants ou des détenteurs du pouvoir politiques --à commencer par le premier d'entre eux—ne sont pas issus de ces groupes ethniques dans un contexte et une culture politiques qui mettent pourtant à l'honneur le régionalisme sur fond du clivage politique Nord-Sud ?
Comment se fait-il que dès qu'on en arrive à la fonction politique (ministres, députés, directeur de sociétés nationales, etc.) on voit sourdre de partout une nuée de nordistes qui pullulent dans l'espace politique au point d'être au moins en nombre égal sinon plus que les gens du Sud ? Comment se fait-il qu'en politique les représentants des 30 % de la population soient au moins aussi nombreux sinon plus que les représentants des 70 % ? Mystère de l'égalité citoyenne ? Et pourtant, régionalisme oblige, cette égalité qui aurait été le fer de lance de la démocratie n'est rien moins qu'un serpent de mer.
Deuxième bizarrerie démographique : le raz-de-marée démographique de certaines provinces du Nord sous Kérékou.
Entre 1992 et 2002, c'est-à-dire en gros entre la première élection surprise de Kérékou sous le Renouveau démocratique et sa réélection frauduleuse en 2001, la population du Bénin a doublé. Mais cette augmentation a été plus forte dans le nord que dans le sud. Ainsi le Borgou a presque triplé sa population alors que le Littoral est resté près du rythme national et que la plupart des départements du Sud sont en dessous de ce rythme. Entre 1979 et 1992 le taux de croissance de la population béninoise a été de 47,6 % ; l’Alibori avec 67 % et le Borgou avec 90 % au nord dépassent ce taux. Les Collines, département détaché du Zou et auquel le pouvoir entendait imprimer une orientation régionaliste à polarité nordiste, dépasse le taux national avec 57 %. Au total trois départements acquis ou espérés comme acquis au pouvoir de Kérékou, très fort dans l'art de diviser pour régner, dépassent le taux de croissance démographique national. Alors que dans le sud, la plupart des départements font piètre figure en matière de croissance démographique. Seul le Littoral dépasse le taux national. Chose curieuse, le Zou , qui est le département sanctuaire de Soglo, la figure principale de l'opposition d'alors, obtient le taux le plus bas, 35,5 %, tandis que son voisin le plus immédiat, les collines, dont il a été séparé pour les convenances politiciennes, plane au-dessus du taux national avec 10 points d’écart sans qu'on puisse rendre raison de cette curieuse différence de sort entre ces deux départements voisins ; en dehors du fait que les départements non-acquis au pouvoir, et ce par ordre direct de certitude, voient leur croissance ralentir ou s'amenuiser. Il ne s'agit là que d'une hypothèse basée sur l’inspiration régionaliste de la politique, même dans un contexte prétendument démocratique . Le fait que l'égalité, sinon la surreprésentation au sein du personnel politique de gens originaires du Nord en ce qu'elle contredit la réalité du rapport démographique entre le Nord et le Sud a besoin d'être compensé par un artéfact statistique qui en étaye du même coup la légitimation politique.
En 1979, deux départements du Nord avaient une population supérieure à la moyenne des départements. Et cinq départements du Sud dépassaient cette moyenne. En 1992 le rapport est resté globalement inchangé même s'il y a eu des variations ponctuelles. Mais en 2002, année autour de laquelle M. Kérékou allait être réélu, eh bien, le rapport s'est équilibré par enchantement ! Quatre départements du Nord et quatre départements du Sud atteignent ou dépassent la moyenne démographique. Il y a sûrement une armée de statisticiens, d'économistes, de géographes et de sociologues sérieux qui sont capables de rendre compte de façon raisonnée et rationnelle de toutes ces bizarreries relevées ici, et qui titillent notre paranoïa, mais le soupçon que ces bizarreries puissent aussi avoir affaire avec le bidouillage statistique en rapport aussi bien avec les élections comme avec la volonté de légitimer la subversion du rapport démographique entre le Nord et le Sud en matière électorale ou politique, cette subversion, si banalisée qu’elle passe inaperçue et n’étonne plus grand monde, n'est pas à sous-estimer. Car on ne sait toujours pas pourquoi au Bénin, d'une part la vie politique est régie par le régionalisme et que d'autre part nonobstant cette réalité, la région qui ne compte au mieux que 35 % de la population puisse contribuer autant sinon plus en personnel politique que la région qui compte au moins 60 % de la population !
Troisième bizarrerie démographique au Bénin : la faible densité démographique du Bénin comparé à ses voisins du golfe du Bénin.
En considérant les cinq pays du golfe du Bénin que sont le Nigéria, le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d'Ivoire, une bizarrerie saute aux yeux : elle concerne la densité démographique. De tous les pays du Golfe du même nom, c'est le Bénin qui a la densité la plus faible, et ce de loin, très loin surtout si l'on met à part le cas ivoirien tributaire des dégâts de la politique dite de l’ivoirité. En effet le Nigéria a pour densité 137 ; le Bénin, 60 ; le Togo, 95 ; le Ghana, 88 et la Côte d'Ivoire 65 h/km².
Pourquoi, alors qu'il est coincé entre le Nigéria qui a 137 h/km² et le Togo qui a 95 h/km², le Bénin tombe au fond du gouffre à 60 h/km² ?
Pour la Côte d'Ivoire qui a 65h/km², l'une des explications de la faible densité relative pourrait se trouver dans la différence polémique entre le nombre d'habitants et le nombre de gens considérés comme des nationaux. Différence polémique quia été instrumentalisée par la politique de l’ivoirité. Pas moins des deux cinquièmes de la population de ce pays sont constitués de travailleurs étrangers, immigrés, saisonniers ou clandestins venus pour la plupart des pays limitrophes, notamment le Burkina Faso. Cette explication vaut ce qu'elle vaut et n'est que l'une des causes de la faiblesse relative de la densité de la Côte d'Ivoire. Mais aussi relativement faible soit-elle, il reste qu'avec 65h/km², la densité de la Côte d'Ivoire est supérieure à celle du Bénin de 5 points. Et se pose donc la question de savoir pourquoi la densité du Bénin est si faible. Pourquoi la densité démographique du Bénin décroche-t-elle aussi bien par rapport à son voisin de l'Est le Nigéria que par rapport à son voisin de l'Ouest le Togo ? Comment expliquer cette discontinuité qui singularise notre pays dans la sous-région du golfe du Bénin ?
Compte tenu de la très forte densité du Nigeria, qui est supérieure au double de celle du Bénin, on peut penser que la population du Bénin est naturellement siphonnée par son grand voisin, selon l’adage qui dit qu’on ne prête qu’aux riches. Et l’argument de la différence économique basée sur la civilisation du pétrole qui fait florès au Nigeria peut rendre raison de ce tropisme du drainage démographique vers le Nigeria. On peut aussi faire remarquer que le nord de chacun des pays du golfe du Bénin ne se présente pas de la même façon, et alors qu’au Bénin la circulation démographique et socioéconomique a une orientation Sud/Nord ou Nord/Sud, au Nigeria par exemple, elle est aussi et en plus Est/Ouest ou Ouest/Est. De plus, en dehors du Nigeria, les autres pays du golfe du Bénin situés à l’ouest du Bénin ( Togo, Ghana, et Côte d’Ivoire) n’ont pas la même extension sud/nord que le Bénin, dont une plus grande partie se trouve de ce fait dans la zone sahélienne, la moins peuplée. Enfin, il se pourrait que prévalent aussi des raisons éthiques et mentales. Les Béninois du Sud n’ont pas le sens de la solidarité et sont consumés par la mentalité du chacun pour soi sur fond de haine de soi. Ils valorisent plus que les Béninois du Nord le fait de se trouver à l’étranger. Pour le Béninois être à l’étranger est une réussite, qui lui permet d’accomplir son destin et ses ambitions de façon aussi individualiste qu'égoïste. Cet égoïsme méthodique du Béninois qui fait partie de son éthique du tchédjinnanbisme, explique pourquoi sur 8 millions de Béninois, il y en ait pas moins de 4 millions à l’étranger, qui se la coule plus ou moins douce, loin des réalités concrètes du pays ! Dans ces conditions et quelle que soit la manière dont on considère le rapport du nombre de Béninois à l’étranger et du nombre de ceux qui sont sur le territoire, cette énorme hémorragie migratoire peut expliquer pour une grande part la très faible densité démographique du Bénin.
Au total, ces bizarreries montrent que la Démographie est une chose trop importante pour être laissée aux seuls démographes, sociologues et autres géographes, qui s’y penchent de façon professionnelle et scientifique. Les hommes politiques ont tendance à s’en emparer. Pour le pire plutôt que pour le meilleur. La Démocratie de façade qui a la faveur des hommes politiques africains explique la volonté des autocrates, qui craignent l’alternance démocratique comme la peste, de trafiquer les outils démographiques en rapport avec les élections. Cette mise sous séquestre des outils démographique permet aussi de justifier ou de légitimer la réalité politique biaisée, en termes d’occupation ou de distribution de postes politiques ou économiques. Comme on l’a vu avec la LEPI sous le régime dit du changement, les seuls changements qu’il y a eus en matière de mise sous séquestre des outils démographiques censées être, à l’origine des outils de développement, sont des changements de mal en pis. Le fait d’en faire des outils de sous-développement et d’oppression politique. En effet le trucage de la LEPI, le chamboulement et le désordre monstrueux auxquels elle a donné lieu – plus du tiers des électeurs du sud exclus, des électeurs mineurs ou étrangers massivement enregistrés, un accroissement injustifié des électeurs appartenant aux sanctuaires électoraux du pouvoir, etc…– tout cela a contribué à fausser le jeu de l’alternance démocratique et à du même coup tuer la jeune Démocratie béninoise. Un type qui se réclame de façon régionaliste d’une région qui pèse à peine 30% du poids démographique national, parvient à conserver le pouvoir au nez et y à la barbe de tous les autres, bien qu’ils fussent unis contre lui ! Voilà les merveilles des outils démographiques en Afrique ! Ce que montrent – toutes explications paranoïaques mises à part – les bizarreries relevées ici dont la liste n’est hélas pas exhaustive.
Prof Akorede Bayinka
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Comme l'a si bien dit Benjamin Disraeli, Premier Ministre britannique, «Il y a trois sortes de mensonges: les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques»...
Rédigé par : BA | 05 juillet 2011 à 23:30