La scène se passe dans la savane africaine. Au pays de Nelson Mandela. C'était la saison sèche. La pluie tardait à tomber. Et la brousse clairsemée laissait voir le flanc squelettique des arbustes desséchés. Le sol rouge ocre était couvert d'herbes dont le vert jauni par la chaleur se mêlait à l'ocre de la terre.
La rivière Ouélanza dont un bras coupe le Nord de la savane en deux avait baissé de niveau. Mais elle contenait assez d'eau pour attirer les bêtes sur ses rives endormies. Le soleil déclinait. La tribu Bufamo des buffles à peau épaisse et cornes larges étaient venue se désaltérer. Gbowèlè et sa compagne Zénabu et leur enfant Bofa se détachèrent du troupeau à la recherche du meilleur point d'eau. Ils avançaient, tête basse vers le rocher des pique-bœufs, l'endroit le plus sûr de la rivière où les animaux pouvaient boire à l'abri des attaques sournoises des crocodiles.
Mais derrière les rochers, un groupe de lions s'était embusqué et surveillait les buffles de loin. Tant que la tribu Boufamo était ensemble, il n'y avait pas moyen pour les félins d'agir. Et lorsqu'ils virent Gbowèlè et sa petite famille se diriger vers le rocher des pique-bœufs, c'était pour eux une aubaine. Les lions au nombre d'une demi-douzaine s'étaient camouflés sous les feuillages des arbustes. Et la tête aplatie au sol, ils observaient la lente approche de leur proie, prêts à se lancer dans la course à tout instant. Au fur et à mesure de l'innocente avancée de Gbowèlè et des siens, les lions avançaient eux aussi en rampant. Leur couleur ocre épousait l'orcre de la terre et les dissimulait. À une centaine de mètres du rocher, Gbowèlè était en tête, suivi de Zénabu et de Bofa. Un ordre conseillé par la prudence en cas de danger. Mais au moment où Gbowèlè allait descendre vers la rive du Ouélanza à quelques dizaines de mètres du rocher, les lions se lancèrent en sa direction. Surpris par l'attaque, le vieux buffle fit volte-face et prit la poudre d'escampette. Zénabu et Bofa ne se firent pas grogner deux fois avant de lui emboîter le pas. Et voilà les lions en chasse de Gbowèlè et de sa famille.
Très vite les lions furent à hauteur de leur proie. Avec astuce, ils isolèrent les parents de l'enfant encore jeune et inexpérimenté. Et pendant que la course était tendue, les lions maintinrent Bofa le long de la berge de la rivière Ouélanza. À ce train, l'un d'eux n’eut aucune peine, d'un coup de patte fatidique, à rabattre le jeune buffle dans la rivière. Gbowèlè et Zénabu qui fonçaient tête baissée n'eurent pas le temps de voir leur rejeton tombé à l'eau. Les lions se jetèrent eux aussi à l’eau et s'abattirent sur leur proie, heureux d'avoir pu séparer le jeune buffle vulnérable de la protection de ses parents. Heureux de fêter ce premier succès qui présageait à terme d'un festin inespéré. Quelques vautours envoyés en sentinelles par leur clan volèrent à ras d’eau pour bien être témoins de la scène. Et ils virent de leurs propres yeux qu'il ne s'agissait pas d'un simple jeu entre lions, mais d'une vraie scène de chasse qui augurait pour eux d'un généreux festin.
Bofa qui tenait à la vie ne s'était pas laissé noyer. Un tel abandon lui eût été fatal. Le jeune buffle s'était relevé sur ses pattes et se tenait maintenant debout. Les lions, le saisissant de toutes parts avec leurs mâchoires et leurs griffes, le tirèrent vers la rive pour lui régler son compte en terre ferme. Mais Bofa résistait et ne se laissait pas faire. Ce que voyant, les lions essayèrent de venir à bout de la résistance de leur proie en tentant de l'asphyxier. Bofa perdit conscience un instant, et les lions se mirent à nouveau et avec plus de force à le hisser sur la berge. Mais il leur était plus difficile de hisser un buffle sans conscience qui pesait de toute sa masse que de vaincre la résistance d'un jeune buffle vivant qui tenait sur ses pattes. Loin de là, dans l’arène des buffles, Gbowèlè et Zénabu avaient sonné l'alerte. L'armée des buffles se réunit et après concertation de son état-major, se dirigea sans tarder à pas précautionneux vers le lieu du drame. Elle observait de loin l'agitation des lions au bord de l’eau. Un crocodile futé s'était mêlé de la partie. Le reptile immergé tentait de saisir Bofa en le tirant par la jambe.
Les lions résistèrent en retenant leur proie. Il y eut alors une longue minute de bras de fer entre le crocodile et les lions. L'un avait la supériorité de ses mâchoires énormes et l'avantage de la poussée d'Archimède. Les autres, les lions avaient l'avantage du nombre. Et avec détermination ils surent rendre grâce à cet avantage après une lutte âpre et désespérée. Les lions réussirent à hâler leur proie à l'écart de la berge. Bofa était inconscient mais en vie. Pendant que les lions fatigués de leur bras de fer avec le crocodile reprenaient leur souffle, sans perdre une seconde, l'armée des buffles se porta en vitesse sur le champ de bataille. Elle avait à sa tête son chef d'état-major, le général d'armée Bozambo. À quelques mètres de l'endroit où les lions entouraient leur proie, un peloton se détacha et Bozambo qui était à leur tête se rua latéralement sur le groupe des lions. L'un d'eux fut délogé et se tint à l'écart. Selon une stratégie de combat rôdée et sous les exhortations de Bozambo, le bataillon se rapprocha des lions et forma une masse compacte en face d’eux. La masse des buffles, tête baissée et cornes déployées était parcourue de mouvements ondulatoires de droite vers la gauche et d'avant en arrière. Puis le mouvement reprenait en sens inverse pendant que l'arc qu'il formait autour de leurs ennemis se refermait peu à peu.
Du cœur de ce ballet bien réglé, un vaillant buffle se lança latéralement et délogea un deuxième lion qui prit la tangente, poursuivi par Bafala un capitaine bien connu pour ses prouesses de coureur de fond. Bafala chassa le lion sur une longue distance et rebroussa chemin pour reprendre sa place dans le corps d'armée. Pendant ce temps, la masse des buffles continuait son ballet lancinant en face des lions et refermait son étau sur eux. Un autre soldat encouragé par Bafala, usant de la même technique que ce dernier, attaqua les lions sur le flanc et encorna l’un d’eux qui fut violemment projeté dans les airs. Le lion volant manqua de tomber au milieu de l'armée ennemie. Étant parvenu à tomber sur ses pattes, il détala sans autre forme de procès, poursuivi par un escadron de buffles enragés qui le prirent en chasse longuement. Dans la cohue soulevée par l’attaque, deux lions profitèrent pour prendre la poudre d'escampette du côté du rocher des pique-bœufs. Mais le gros de l'armée des buffles, conscient que l'objectif n'était pas encore atteint, vint à nouveau se masser en face du dernier quartier de lions qui retenaient encore Bofa captif. Comme le font les preneurs d'otages, les lions qui étaient maintenant au nombre de trois s’abritaient derrière leur victime. Mais cet abri était très provisoire et incertain. Car tout à coup, encouragé par la vaillance des siens, le jeune buffle qui avait retrouvé ses esprits, se dressa sur ses pattes comme s'il venait de naître d'une violente nuit de gestation. Ce que voyant, l'armée des buffles resserra son étau sur les lions et le général Bozambo se rua entre eux et Bofa qui fut poussé au sein de la masse rassurante de la tribu.
Les buffles laissèrent entendre un grognement de victoire. Restaient à terre deux lions prostrés et privés de leur proie qui leur servait de boucliers. Mais malgré leur joie, la tribu des Bufamo ne s'estimait pas quitte pour autant. La seule présence de ces deux lions les mettait en rogne. Et ils n'eurent de cesse à coups de mouvements ondulatoires et d'attaque de les déloger et de les poursuivre dans leurs derniers retranchements. La débandade des lions fut lamentable. Les lions perdirent la face et le combat mais s'estimèrent sans doute heureux d'avoir eu la vie sauve.
La morale de l’histoire ? C’est que l’union fait la force. Et il n’y a de lion que parce qu’il y a des bêtes... désunies...Il n’y a de Blancs exploiteurs et pilleurs de l’Afrique que parce qu’il y a des nègres désunis et sans conscience de soi collective
Binason Avèkes
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