Au-delà de la Dualité Géoculturelle Adja/Fon
La culture yoruba, dans la sous région du golfe du Bénin, a, anciennement, exercé une grande influence et jouit d'un rayonnement qui marque aujourd'hui les identités—ethniques ou religieuses-des populations de cette région de l'Afrique de l'Ouest.
La puissance politique de l'empire yoruba a été le fer de lance de ce rayonnement, entre soumission, vassalisation, domination, migration, échanges, commerce, guerre et paix, la langue yoruba dont le foyer se trouve dans le sud-ouest du Nigéria (IFE, OYO), est allée dans son expansion occidentale plus loin que ne peut l'exprimer aujourd'hui la réalité de ses locuteurs explicites ou populations dont le faciès y correspond. Au Bénin, en dehors et au-delà des populations explicitement yoruba, les langues ressortissant de l'influence et de l'imaginaire yoruba sont légions. Ainsi, le Idatcha , le Tchabe, et nombre de dialectes des départements des Collines et du Zou émanent directement du yoruba.
La langue fon elle-même dont l'identité proclamée est censée s'opposer géographiquement et culturellement au yoruba dans la fameuse dualité géo-culturelle Adja/Yoruba, est en réalité, dans ses racines profondes, plus redevable du yoruba qu'il n'y paraît. Après tout, historiquement, le plateau d'Abomey sur lequel vinrent s’installer les descendants d’Adjahouto était originairement peuplé de populations yoruba.. Et c'est du mélange et ou de l'assimilation de ces populations que résultat le groupe ethnique fon. En fait, dans l'espace géographique qui s'étend du sud-ouest nigérian (Oyo, Ife, Egba, etc.) jusqu'aux régions méridionales du Togo et du Bénin, les langues parlées tiennent d’une sédimentation idiomatique dans laquelle, en raison de sa force politique et culturelle, la langue yoruba assure une présence de fond.
Ainsi, dans une approche spontanée qui ne relève certes pas d'une étude sociolinguistique sérieuse, on peut caractériser nombre de langues du centre, de l'Est et du Sud-Est du Bénin jusqu'au département des Collines, par la part plus ou moins visible ou latente de la langue yoruba qui les compose et dont elles constituent un sédiment plus ou moins typé, plus ou moins marqué.
Premièrement, il y a d'abord le yoruba pur qui est grosso modo le même que celui parlé à Oyo/Ifè, etc et qui se parle à Porto-Novo et dans le département du plateau avec des variantes tonales, idiomatiques et lexicales plus ou moins prononcées. À ce yoruba qu'on dirait à 100 %,, on peut, selon la localité, associer des sédiments linguistiques Adja, ou Aïzo avec une variante qui peut aller de 10 à 20 % (Adjaouèrè, Holli, Pobè, Sakété, Adjatchè). Les langues parlées dans le haut Centre, les Collines, et le département du Plateau, au Bénin et qui sont considérés comme proto-yoruba ou Nago, sont aussi dans ce rapport de sédimentation/mélange où la part de yoruba pour celles qui sont identifiées comme telles est supérieure ou égale à 75 % (Idatcha, Tchabè, Tchaorou, etc.).
Même le fon est un mélange sédimenté de yoruba et de langues adja ou aïzo, et ce dans une proportion pouvant atteindre 20 voire 30 % de yoruba !
Comme on le voit, l'influence yoruba dans la partie qui déborde au-delà des frontières du Nigéria est beaucoup plus forte qu'on ne le pense ; cette influence, portée par la puissance politique de l'empire yoruba dans la période historique avant l'invasion coloniale, possède plusieurs dimensions : symbolique, culturelle, humaine et linguistique. Si l'aspect religieux est visible avec l'assimilation du Panthéon et de la cosmogonie yoruba chez les Fon ainsi que les systèmes de médiation symbolique comme l'oracle fa, le culte des ancêtres à travers l'institution des égoun-goun et autre oro, l'aspect linguistique est souvent moins visible et parfois dénié pour des raisons d'affirmation identitaire. Tant il est vrai que le royaume du Danhomè, après avoir été harcelé longtemps par l'empire yoruba sous la dépendance duquel il a survécu pendant plusieurs décennies n'a eu de cesse sitôt son indépendance conquise, de défendre celle-ci en exacerbant son opposition identitaire. C'est cette négation identitaire qui, traduite en termes culturels et géographiques, a été naturalisée sous la dualité Adja/Ayo qui structure la représentation et l'imaginaire géoculturelles des peuples Adja et Fon. Mais au-delà de cette opposition, comme le montre la sédimentation linguistique, il y a plus de choses partagées entre Yoruba et Fon ou Goun que ceux-ci ou leurs représentants les plus éminents ne veulent bien admettre.
Prof. Adérokpo Bayonle
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